lundi 31 janvier 2011

Iron & Flesh, de Thomas Gilbert


Iron & Flesh est le deuxième tome de la trilogie Oklahoma Boy, dont je n'ai pas lu le premier (non, je n'ai pas honte : je ne connais pas, loin de là, toutes les séries bd !). D'entrée de jeu, je suis séduite : la facture de la bande dessinée est soignée, le livre est beau et... monté à l'envers ! J'aime bien les livres un peu bizarres, ils ont toujours un côté un peu exceptionnel pour moi...
Passé ce premier avis, purement formel, qu'en est-il du contenu ? J'ouvre la bd et me plonge rapidement dans l'histoire. Oklahoma Boy s'est engagé dans l'armée, il est devenu aumônier et se voit dans la situation absurde de bénir des bouts de corps et de prier pour le salut des âmes des personnes dont ils proviennent. Il est confronté à l'absurdité de la guerre, mais doit aussi lutter pour sa propre survie.

C'est noir, très noir. Le dessin est minimaliste, brutal, sanguinolent, voire choquant. Mais alors que je n'ai absolument pas l'habitude de lire ce type de bande dessinée, j'ai trouvé celle-ci intelligente et intéressante en ce qu'elle interroge sur l'absurdité du monde, sur la foi, sur cette question de la vie après la mort, sur les rites et rituels qui font partie de notre vie et nous aident à passer les caps difficiles, à affronter les situations douloureuses.
N'ayant pas lu le premier tome, je n'ai qu'une idée très partielle de cette bande dessinée, et je ne pourrais pas vraiment dire si j'ai aimé. Ce qui est certain, c'est qu'elle m'a touchée : on y voit Oklahoma Boy en proie à ses doutes, à ses questions, à ses luttes intérieures ; on voit un homme face à l'horreur et à sa propre humanité, à sa finitude, aussi. Chose rare en BD, on y voit aussi le Christ souffrant, la lutte entre le bien et le mal, personnifié au travers de monstres informes, gigantesques et effrayants. Le récit bascule dans l'horreur absolue, dans le délire, la folie, l'angoisse. Les visages sont cadavériques, comme si la lutte pour la survie avait fait de ces hommes des presque morts... Oui, c'est noir. Et pourtant...
Finalement, je crois que je vais peut-être me mettre en quête du tome 1 et attendre le tome 3, moi...

Un grand merci aux éditions Manolosanctis pour cette étonnante découverte, et à BOB pour ce partenariat !

Paru aux éditions Manolosanctis, 2010 (Karma). ISBN : 978-2-35976-013-2

dimanche 30 janvier 2011

Mais où est mon pantalon ? de Aurélie Vaissier et Tony Rochon


Les éditions Loustik ont sorti ce petit livre pour enfants au milieu de l'année 2010, et je l'ai reçu début janvier, pour un partenariat avec l'éditeur et BOB. Nous étions encore près de Noël, et j'étais enthousiaste à l'idée de découvrir un nouvel éditeur, de nouveaux auteurs pour enfants, et une nouvelle histoire à raconter aux miens.
Ben... Je leur laisse d'abord la parole, parce qu'ils ont dit très simplement ce que j'ai aussi pensé plus confusément (les enfants sont formidables... !).

Noémi, 8 ans, n'a d'abord pas osé me dire clairement ce qu'elle en pensait, de peur sans doute de dire du mal ou de me blesser. J'ai du lui expliquer pourquoi je lui demandais son avis sur ce livre, et à quoi ça allait servir. Alors elle m'a tout lâché en bloc :
« J'aime bien le lutin dans la botte du Père Noël [première double-page du livre], mais le livre ne me plaît pas trop : je n'aime pas trop le visage de la Mère Noël. En fait, je n'aime pas trop les dessins. Et je ne comprends pas trop pourquoi la fée des Neiges emporte la chemise de nuit de la Mère Noël. Je ne trouve pas l'histoire drôle, je ne l'aime pas. Et puis j'aime pas les rennes : on dirait des vaches ! »
Verdict sans appel.

Rébecca, 4 ans, a été beaucoup plus concise : « Moi, j'aime le caleçon du Père Noël, il est drôle ! Et j'aime bien quand il a des tâches sur son pantalon bleu. L'histoire n'est pas drôle, c'est le caleçon qui est drôle !! »
Soit. Au moins, c'est clair.

Nathanaël, 6 ans, est sans doute le plus secret de mes trois enfants. Et le livre s'adresse plus à son âge, donc son avis était très attendu : Après un échec sur mes filles plus jeune et plus âgée, le livre peut-il toucher un enfant de la tranche d'âge pour laquelle il a été conçu ?
« Moi, j'aime bien parce qu'à la fin, c'est Mère Noël qui perd sa chemise de nuit. Mais je n'aime pas les dessins et je n'aime pas trop l'histoire. J'aime bien quand on voit le caleçon du Père Noël, les tâches sur son pantalon bleu et l'image du Père Noël qui réfléchit sur le toit. L'histoire est un peu drôle quand la Mère Noël se moque du Père Noël. »

Globalement, donc, c'est pas vraiment l'extase du côté des enfants. Et la maman ???
Ben... la maman n'a pas du tout aimé. Globalement, je trouve les dessins assez durs, les visages sont étranges, manquent de douceur, de rondeur, d'un je ne sais quoi qui aurait pu toucher les enfants. Le fait de voir les traits de construction autour des personnages participe peut-être à cette impression de « vite-fait, mal fait » ?
Au niveau de l'histoire elle-même, j'ai du mal à la trouver drôle, en effet, alors que c'est visiblement ce qui est recherché. Ca aurait pu être plus fin, plus drôle, oui, mais il manque quelque chose, ou plutôt il y a trop de choses. Le texte est un peu trop long, mélangeant allègrement narration et dialogues, voire coupant la phrase de dialogue par une parenthèse narrative qui coupe l'effet. Le texte est trop long, donc, et quelque peu répétitif sans entrer dans le comique de répétition, justement, qui aurait justifié cet artifice. Un loupé aussi, donc, côté humour. Je trouve les phrases un peu compliquées pour des enfants de cet âge-là, qui donnent aussi l'impression d'auteurs pour jeunes s'adressant à des enfants, n'ayant pas forcément l'habitude de ce public particulier de 6 ans. Graphiquement et au niveau de la mise en page, il y a une volonté de mélanger les genres, alliant le classique album pour enfants à la bande dessinée. Du coup, on est ici entre deux genres, et en tout cas pour mes enfants, ça n'a pas plu.
Enfin, la dernière double-page avec la Mère Noël est tombée totalement à plat avec mes enfants, qui n'ont pas du tout vu l'aspect comique visiblement recherché.

Finalement, la seule chose qu'ils ont bien aimée, c'est la recherche des lutins dans les pages du livre !
Une grosse déception, donc, pour mes enfants et moi !
Un grand merci tout de même à BOB et aux éditions Loustik pour le partenariat. Merci aussi aux auteurs qui ont pris le temps de dédicacer le livre à l'intention des enfants : ça en revanche, ils ont beaucoup apprécié !

Paru aux éditions Loustik, 2010. ISBN : 2-9531849-2-1

jeudi 27 janvier 2011

La Messagère du temps

Amis lecteurs, amies lectrices,

Ce petit billet pour vous annoncer que mon roman vient d'être accepté par une maison d'édition de Colmar, Jérôme Do. Bentzinger, et paraîtra au mois de mai ou juin.
Plus d'infos sur mon blog d'écriture !
(je suis toute fière et excitée, même si ce billet est très sobre ! Faut pas croire !!! :) )

mercredi 26 janvier 2011

Le Fils de son père, de Olivier Mariotti


Olivier Mariotti, artiste peintre, expose ses œuvres dans une galerie d'art. Le soir du vernissage, il est accompagné de sa femme et de ses deux enfants, ainsi que de sa mère et de ses amis. Lors d'une coupure de courant, il aperçoit, entre deux éclairs, une ombre, celle d'un homme.
Toute la bande dessinée est construite sur ce moment-là, sur cette rencontre fugace qui libère les souvenirs d'Olivier, souvenirs qui déferlent en vagues successives. L'auteur nous donne à voir ici son enfance et sa vie d'adulte, sa relation avec ce père qu'il ne voit plus, à qui il ne parle plus, une fois adulte.
Le lecteur voit ce père passer du statut de héros tout-puissant à celui d'homme haï... puis à l'indifférence de son fils. Et pourtant, il suffit d'une ombre pour relancer l'espoir d'une rencontre, d'une possible réconciliation.
Le dessin d'Olivier Mariotti m'a posé un certain nombre de problèmes au départ. C'est un graphisme auquel je ne suis pas habituée, à la fois doux et chaud dans les tons et couleurs employés et dur dans les formes, en particulier les traits des personnages, très anguleux, quasiment géométriques. En particulier, les yeux des personnages sont totalement blancs et m'ont au départ presque fait peur, tant l'absence de pupilles les rendait presque inhumains. Et puis je me suis détachée des traits pour rentrer dans l'histoire.

Les souvenirs d'Olivier nous transportent dans son enfance, auprès de ce père immense, fort, aimant, presque invincible. La force du dessin est de nous donner à voir avec les yeux de l'enfant qu'il était à l'époque, et d'entrer directement dans son imaginaire, d'entrer dans les événements tels qu'il les voyait et les comprenait à l'époque. Le texte est peu présent, voire totalement absent dans certaines séquences, renforçant le mystère autour de ce père et le décalage entre le monde de l'adulte et celui de l'enfant. Les fréquents allers-retours dans la vie actuelle d'Olivier permettent de voir quel homme il est devenu, artiste, drôle, père et époux aimant; perturbé aussi dès qu'il s'agit de sa relation avec son père. On sent qu'Olivier tente de se dégager de l'emprise de son père sur lui, mais aussi qu'il reproduit bon nombre de comportements. Finalement, cette bande dessinée est aussi l'histoire de la construction d'un adulte et de la manière dont il compose avec son vécu., et le travail qui consiste à redonner à ses parents leur place d'être humain, en les faisant descendre du piédestal sur lequel on les a installés durant l'enfance, parce qu'il faut bien des modèles pour se construire en tant que personne. La fin pose la question de la relation présente et la laisse ouverte, permettant d'imaginer une suite, quelle qu'elle soit.

Les remerciements à la fin de l'ouvrage permettent au lecteur de retrouver les personnages de la bande dessinée, laissant penser qu'il s'agit là en grande partie d'une œuvre autobiographique. Jusqu'où l'est-elle ?  Il est difficile de le savoir. En tout état de cause, c'est une bande dessinée d'une très grande sensibilité, que je suis vraiment très heureuse d'avoir eu la chance de découvrir. Cette maison d'édition « Les Enfants Rouges » me semble bien prometteuse !

Paru aux éditions Les Enfants Rouges, 2010 (Mimosa). ISBN : 978-2-35419-040-8

mardi 25 janvier 2011

L'Homme-Alphabet, de Richard Grossman


Le premier qualificatif qui me vient à l'esprit après la lecture de ce livre, c'est « bizarre ». Et immédiatement après : « visuel ». Ce livre est une expérience.

Au niveau de l'intrigue, je n'en dirai pas plus que ce qui est inscrit sur la 4e de couverture : un homme, dénommé Clyde, a passé vingt ans derrière les barreaux pour le meurtre de ses parents. Son corps est entièrement tatoué de lettres, et il est le poète le plus controversé des Etats-Unis. Sa fiancée Barbie disparaît et se retrouve en danger de mort, et Clyde part à sa recherche.

Une fois qu'on a dit ça, on a tout dit... et rien du tout. Parce que pour ma part, j'ai trouvé que l'essentiel était, pour une fois, tout à fait ailleurs.
Ce roman est foisonnant, étonnant, furieux, étrange. Chaque page ou presque amène une nouvelle découverte. Les chapitres se succèdent, mais leur numérotation est telle que les seuls points de repère que l'on peut prendre sont paradoxalement ceux que donne la seconde personnalité de Clyde, un clown, qui commence toutes ses interventions par une lettre de l'alphabet, dans l'ordre, depuis A jusqu'à Z.
C'est que Clyde est schizophrène. Il est totalement déjanté, totalement allumé. Il entend des voix, qui peu à peu prennent le dessus sur lui, jusqu'à le faire disparaître totalement. Clyde fait le récit de ce qui lui arrive, mais il n'est pas le seul à prendre la parole. Son « double », le clown, intervient sporadiquement, éclairant le récit de Clyde d'un autre jour, apportant une part de réponses, une part de vérité dans le récit parfois confus du héros. Ce qu'on lit, c'est autant le récit des événements tels que Clyde les vit que ses « black-outs », ses délires, ses cauchemars, les délires du clown qui prend le dessus sur Clyde... jusqu'à perdre le lecteur, sans jamais pour autant le « lâcher ». Les interventions du Clown ont ceci d'étonnant qu'il invente des tas de mots, il en répète d'autres jusqu'à la nausée, il ressasse, redit, mâche, mâche, répète encore, en une sorte de délire psychologique inventif et à vomir, la suite des mots est parfois sans aucun sens, et pourtant, je n'ai pas eu de mal à « comprendre » ce qu'il disait. Tout se passe comme si, pour une fois, les mots eux-mêmes devenaient moins importants que le récit lui-même. Les interventions du clown se succèdent, et finalement, ce sont elles qui donnent un rythme de plus en plus soutenu au récit.
Où se trouve la vérité ? Qui, de Clyde ou du Clown, raconte réellement l'histoire ? L'histoire de qui ? Quand se passe-t-elle ? Aucune de ces questions n'a de réponse évidente, les réponses arrivant à la fin du texte. Presque décevantes en elles-mêmes.

Visuellement, le récit de Clyde est très « normal », tant au niveau de la typographie que dans la mise en page. En revanche, les chapitres où le clown prend la parole sont étonnant, variant la mise en page, la taille des lettres, les polices de caractères, les répétitions d'une lettre, d'un mot, d'une phrase ou d'un paragraphe entier... renforçant encore l'impression de folie furieuse qui se dégage des lignes du clown.
Je ne saurais dire si j'ai aimé ou non ce roman. Ce qui est certain, c'est que je suis époustouflée par ce récit. Si l'histoire a un côté simpliste (un complot politique), elle est racontée avec un tel déploiement de mots, de délires, qu'elle en devient multiple, horrible et... irréelle. C'est ça qui est d'autant plus étrange ici : j'ai eu du mal à la fin à savoir qui de Clyde ou du Clown était vraiment le narrateur, qui était l'homme et qui était « la voix ». Le basculement, on le sent venir, inéluctablement. Ce qui est très fort ici, c'est qu'on entre littéralement dans la tête d'un cinglé, et qu'on suit le cheminement de sa pensée, ses doutes, ses délires, les personnalités multiples, la logique perturbée et proprement hallucinée qui guide les actes de cet homme totalement paumé.
Si le but du « jeu » était de perdre le lecteur, c'est en ce qui me concerne une vraie réussite.
Et l'intrigue ? Il faudra que je relise la fin : tout y est expliqué, mais je n'ai pas tout compris tout de suite. C'est que je suis un peu hermétique aux complots, en réalité... Je passe donc sans doute à côté d'une bonne moitié de l'intérêt du roman. Mais encore une fois, pour moi, l'essentiel est ailleurs.

Un grand merci aux éditions du Cherche-Midi et à BOB pour cet étonnant et enthousiasmant partenariat !

Paru aux éditions Le Cherche-Midi, 2010 (Lot 49). ISBN : 978-2-7491-1345-6

samedi 22 janvier 2011

L'Ange de Whitechapel, de Jennifer Donnelly


J'ai découvert ce roman un peu par hasard, lors d'une commande d'ouvrages pour la bibliothèque où je travaille. Le résumé de l'éditeur était tentant, et rentrait dans les thématiques abordées à l'ISSM, puisqu'il y était question des débuts de la santé publique en Angleterre, dans les premières années du 20e siècle, ainsi que des premières lois de politique sociale dans ce même pays.

J'étais loin de m'imaginer qu'il s'agissait de bien plus que cela. Je me suis d'emblée retrouvée dans un univers inconnu pour moi : les quartiers mal famés de Londres, dans l'East End, à Whitechapel en particulier. Whitechapel est en effet connu pour être le théâtre des meurtres commis par Jack l'Eventreur, et l'ambiance décrite par l'auteur est tout à fait fidèle à l'image que l'on a de ce quartier, quelques années seulement après cette série de crimes, évoqués d'ailleurs dans les premières pages du livre.
Ce roman est une merveille de 1000 pages, formidablement bien écrit, prenant d'un bout à l'autre. Il décrit la vie à Londres au début du 20e siècle, dans une société où la femme n'a pas encore le droit de vote. Une société où elle n'a pas les moyens de s'opposer aux désirs de son mari, où la contraception existe mais n'est absolument pas entrée dans les moeurs, où les douleurs de l'enfantement sont vues par les médecins comme normales, où les naissances s'enchaînent, où la mort est présente tous les jours, où les indigents meurent de maladies parfaitement évitables avec une bonne alimentation, mais qu'ils ne peuvent combattre faute de moyens pour se nourrir correctement.

India Selwyn Jones vient de terminer ses études de médecin. Elle fait partie des premières femmes à exercer cette profession. C'est une jeune fille déterminée, révoltée, ardente, convaincue, qui s'engage auprès des indigents de Whitechapel dans le dispensaire du Docteur Gifford, homme peu regardant avec l'hygiène, opposé farouchement à la contraception pour des questions religieuses, et abusant de l'engagement d'India pour son établissement. Elle rencontre Sid Malone, homme trouble et mystérieux, chef d'une bande de malfrats de l'East End. Leur rencontre est épique, mouvementée, fracassante. Leurs relations seront houleuses avant de devenir passionnées ; ils tombent éperdument amoureux l'un de l'autre, mais leurs positions sociales respectives, leurs « fantômes » à tous les deux et surtout Freddie Lytton, homme politique ambitieux, vont compliquer sérieusement leur relation et leurs projets.

Ces 1000 pages décrivent la société londonienne, des bas quartiers comme de la haute société. 1000 pages d'aventures épiques, où l'on rencontre des personnages hauts en couleur : India et Sid, bien sûr, Freddie Lytton, Wish, le meilleur ami de Freddie et d'India, Isabelle, la mère d'India, lady intransigeante et froide ; Fiona et Joe Bristow, son mari, issus tous les deux du prolétariat londonnien et ayant acquis un statut élevé dans la bourgeoisie, sans jamais oublier d'où ils viennent ; Seamus, le frère de Fiona, passionné d'alpinisme et d'aventures, et ses amis Willa et Albert Alden ; Ella, l'infirmière juive au grand coeur et sa famille nombreuse autant que généreuse ; Maggie Carr, propriétaire terrienne au pied du Kilimandjaro... Cette épopée emmène le lecteur de l'East End à Point Reyes, en Californie, en passant par l'Afrique Orientale, aux débuts de la colonisation de l'Afrique par les puissances occidentales que sont l'Angleterre, la France, l'Allemagne, l'Italie et la Belgique.

Cette lecture m'a fait du bien. Ce roman épique m'a fait penser à un autre roman d'aventures et d'amour, « Autant en emporte le vent ». La comparaison est osée, sans doute, mais si l'époque et les lieux ne sont pas les mêmes et qu'il est difficile de comparer ces deux romans d'un point de vue littéraire, le souffle épique qui se dégage de cette fresque est bien digne de celui qui anime le roman de Margaret Mitchell. J'y ai pris en tout cas autant de plaisir, avec la même envie de connaître la suite, le même enthousiasme aussi. Cela faisait très longtemps que je ne m'étais pas autant amusée à la lecture d'un roman ! Une lecture facile, certes, mais passionnante et divertissante. C'est tout ce qu'on demande à un bon roman, non ?

Traduit de l'Américain par Florence Hertz.
Pocket, 2010. ISBN : 978-2-266-19191-3

mardi 18 janvier 2011

Malamine, un africain à Paris, de Edimo et Simon-Pierre Mbumbo


Ce roman graphique raconte l'histoire de Malamine, brillant docteur en économie ayant étudié à la Sorbonne à Paris. Il est jeune, intelligent, ambitieux. Il a beaucoup d'idées sur l'Afrique, sur son économie, et pour lui, une autre voie est possible, vers un avenir plus beau, moins miséreux.
Malamine est brancardier. Sans emploi dans son domaine de compétences, il n'a trouvé que ce moyen pour vivre, chichement mais décemment. Il loue une chambre de bonne depuis 10 ans, s'entend bien avec les habitants du quartier et est apprécié des africains qu'il connaît et qui le reconnaissent pour son intelligence et sa bonne compagnie.
C'est un personnage complexe, à la fois brillant et ignorant, intelligent et influençable, vindicatif et timoré, plein d'espoir et extrêmement méfiant... Un homme bourré de contradictions, mais foncièrement bon, droit et généreux.
Ses rencontres l'amènent à fréquenter les leaders d'un groupuscule politique africain, installé en France, qui cherche à en découdre avec les ressortissants africains installés à Paris, qui semblent se satisfaire de leur sort. Malamine se sent pris au piège, coincé entre sa conscience et son ambition, entre cette violence qu'il refuse et la peur de voir son nom mêlé à un scandale raciste au moment où son livre va sortir.

Cette bande dessinée fait du bien. Africanocentrée, elle permet à nos yeux d'Occidentaux d'appréhender un tout petit peu mieux toute la complexité des immigrés d'origine africaine, coincés entre leur désir d'une vie meilleure, leur besoin d'aide et leur passé de peuples colonisés qui les rend méfiants face à toute aide venant des Blancs.
La géopolitique n'est en effet pas absente du débat, même si ce n'est qu'en toile de fond. On comprend que tous n'ont pas le choix et que même s'ils semblent l'avoir, la réalité fait qu'il leur est parfois impossible de rester chez eux.

Mais c'est aussi une bande dessinée pleine d'espoir, parce que, pour Malamine, l'immigration n'est pas une fatalité. Un retour au pays est possible et même souhaitable, afin que l'Afrique puisse sortir de son marasme à l'aide de l'intelligence de ses cerveaux, formés en France.

Un mot du dessin : en noir et blanc, il est souvent sombre et le passage du présent au passé n'est pas toujours évident à saisir graphiquement, d'autant plus que les indices textuels sont peu présents. Plutôt doux et réaliste, il est aussi très efficace et j'ai beaucoup apprécié la rondeur et la précision du trait qui donnent à voir les mouvements et la grâce des personnages. Je ne connaissais pas du tout cet auteur ! Une excellente découverte, donc.

Paru aux éditions Les Enfants Rouges, 2009 (Asturiale). ISBN : 978-2-35419-022-4

lundi 17 janvier 2011

Un Type immonde, de Dennis Cooper


Ce livre est un recueil de nouvelles, et voici ce qu'en dit l'éditeur : « Ces dix-huit nouvelles dont l'écriture s'étend sur plus de vingt ans permettent de prendre la mesure du talent de Dennis Cooper. Jouant et se jouant avec un humour décapant des tabous, des interdits, des fantasmes contemporains comme des pulsions les plus sauvages, il dresse aussi un état des lieux très sombre de la pensée et de la sensibilité occidentales. »
Ce qu'en dit l'éditeur est vrai. L'auteur a un certain humour (noir, voire très noir, cynique, à la limite du glauque, et on aime ou on n'aime pas). Et un certain talent aussi. Surtout beaucoup d'originalité, notamment dans la forme. Une des nouvelles est, par exemple, une liste commentée de sites internet.
Tabous, interdits, fantasmes, pulsions, tout y est aussi, en effet, et ces nouvelles sont dérangeantes à plus d'un titre.
Oui mais voilà : si état des lieux il y a, il est loin d'être exhaustif. Pire, il n'envisage les choses, la « pensée et [la] sensibilité occidentales » que sous un angle unique : celui de la perversité, de la déchéance, du crime, de l'humanité dans ce qu'elle a de pire, de plus sombre, de plus abject.
Soyons claire. Il est question ici de sexualité, et je dirais même de pornographie, n'ayons pas peur des mots. D'homosexualité, aussi, soyons juste. De toxicomanie, de meurtres gratuits, de cannibalisme.
Je n'ai rien contre la dénonciation de travers, de perversions, contre l'humour noir, même cynique, si l'objectif est clair, et ce quel que soit cet objectif. En effet, mon avis et mon opinion personnels ne comptent pas en ce qui concerne l'objectif lui-même, n'étant pas auteur du livre en question. La liberté d'expression existe et c'est tant mieux. En revanche, ce qui me dérange ici, c'est que cet objectif n'est pas clair du tout. En 18 nouvelles (plus ou moins longues, je vous l'accorde), je n'ai pas une seule fois compris où l'auteur voulait en venir. Il n'est visiblement pas « pro-homosexualité », ni défenseur d'une certaine morale qui pourrait être puritaine, prude ou pudibonde. Alors il se peut que je sois totalement passée à côté du second degré de ce livre. Il se peut que je ne l'aie pas compris du tout. Soit.
Quant à faire un état des lieux de la jeunesse américaine d'aujourd'hui, si tel est l'objectif de ce livre, il est particulièrement partiel et partial, réduisant les jeunes gens à des toxicomanes homosexuels, violeurs, meurtriers et cannibales. Pas de quoi se réjouir, donc. L'humour est effectivement présent, seulement j'ai du mal à y adhérer (mais je ne suis pas non plus sensible à tous les humours, et il faut de tout pour faire un monde, paraît-il). Une seule nouvelle trouve (un peu, un tout petit peu) grâce à mes yeux de ce point de vue, c'est celle qui met en scène un directeur littéraire, homosexuel comme il se doit. Pour le reste de ce texte (tout, hormis le ton léger et plutôt drôle), c'est à vomir, purement et simplement.
Quant aux autres nouvelles, il n'y a rien à en dire, et surtout presque rien à sauver. Je dis "presque", parce que certaines pages sont très originales (notamment la première nouvelle), et vues sous un angle cocasse. Mais ces aspects positifs sont trop vite noyés dans le glauque des textes et ce qui pourrait être un bon début devient vite navrant. Comme « état des lieux », on fait mieux, je dirais, et l'intérêt de ces nouvelles est de mon point de vue totalement absent.
Je n'ai rien lu d'autre de cet auteur, et tant mieux !
C'était une lecture inintéressante, à oublier le plus vite possible !

Traduit de l'américain par Emmelene Landon.
Paru aux éditions P.O.L., 2009. ISBN : 978-2-84682-268-8.

samedi 8 janvier 2011

Un Jardin sur le ventre, de Fabienne Berthaud

Autant le dire tout de suite, ce roman m’a déprimée. Et pourtant, ce n’est pas habituel chez moi.
Il s'agit ici de la mort d'une mère, racontée par sa fille. L’écriture est originale, en ce que le récit à la première personne (la fille) fait place à la seconde personne dans la majeure partie du texte. Gabrielle est la fille de Suzanne, et c'est toute l'histoire de sa mère, depuis sa naissance jusqu’après sa mort, que l’on suit pas à pas.
J’ai eu envie de donner des claques. A Suzanne d’abord, pour la secouer. A son insupportable mère ensuite, pour son incroyable égoïsme. A son frère, trop timoré puis à son mari, tellement imbu de lui-même et enfin à ses filles pour leur immobilisme. Aucune de ces personnes n’a su trouver grâce à mes yeux, tellement elles sont molles et horripilantes. Les seules qui me paraissent sympathiques dans ce récit sont Mémère (la grand-mère de Suzanne), Jackie, sa tante et le Franciscain du début. Trois personnes de cœur, trois personnes humaines.

Contrairement à ce que pourrait laisser penser les premières lignes de cette chronique, en définitive, ce récit fonctionne. Très bien, même. Les personnages de cette histoire sont très vrais, très crédibles et l’engrenage dans lequel ils se retrouvent prisonniers est parfaitement décrit. L’atmosphère est à vomir, à la limite du glauque. Ce qui fait encore plus peur c’est justement que tout y est plausible, du début à la fin.
Je ne peux pas en dire plus pour ne pas gâcher la lecture de ceux et celles qui seraient intéressés par ce roman. Il est question ici de maltraitance, surtout morale d’ailleurs, de mort ; de la vie, de famille, dans ce qu’elle a de bon et de pire aussi. C’est un roman dur, dépourvu de tout optimisme et d’espoir. Suzanne, « l’héroïne » (si on peut l’appeler comme ça), est touchante malgré son apathie. C’est sans doute justement cette apathie qui lui permet de tenir aussi longtemps. C’est la seule, hormis sa grand-mère et sa tante Jacqueline, à savoir un peu ce que signifie le verbe aimer, et à le mettre en pratique. Mais pour supporter son quotidien, il lui faut se murer dans la solitude et le déni, et tenter de voir, justement, les choses sous leur meilleur jour.

Une lecture dont je ne ressors pas enthousiasmée, loin s’en faut, mais qui ne me laisse absolument pas indifférente. J’ai l’impression ici de voir décrite la vie dans ce qu’elle a de pire, de plus noir, glauque : la vie ordinaire, pathétique aussi. Et ce qui est le pire, c’est de se dire que c’est sans doute extrêmement proche de ce que vivent des milliers de familles au quotidien. Si vous avez envie de lectures légères, abstenez-vous donc de lire ce roman. Sinon, accrochez-vous, il est prenant, et j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher, malgré le sentiment nauséeux que j’avais en le lisant.

Un grand merci aux éditions JBz et Cie et à BOB pour ce partenariat !

Paru aux éditions JBz et Cie, 2011 (à paraître). ISBN : 978-2-755606-89-8.

samedi 1 janvier 2011

Memento mori ou l'effroyable don d'Anastase Odilon, de Hervé de Chalendar


J’ai découvert ce livre paru il y a un peu plus d’un mois par le biais de Blog-o-Book, lors d’un partenariat. Une histoire étrange, un peu fantastique et pourtant très ancrée dans la réalité. Il y est question de vie et de mort, de guerre, d’amour, de pouvoir, de meurtre, de la République…
L’histoire se passe dans la première moitié du XXe siècle. Anastase, fils de paysans, découvre, enfant, qu’il "voit" les fantômes de ceux qui vont mourir, en commençant par celui de sa chatte et d’autres animaux qui l’entourent. Il se rend compte par la suite que son "don" s’applique aussi aux êtres humains. A la déclaration de guerre, en 1914, il est enrôlé, part à Paris, puis au front et en sort vivant, mais blessé. Commence alors sa seconde vie, celle où il rencontre Rose, Louis, son métier de journaliste, le pouvoir, les ors de la République. Son "don" ne disparaît pas, au contraire. Il prend même de plus en plus de place dans sa vie. Jusqu’à ce qu’Anastase découvre l’existence de son propre fantôme. Il va donc mourir, il passera la fin de sa vie à écrire pour révéler au monde ce "don" effroyable qui l’a accompagné durant toute son existence ou presque.

L’auteur, lui-même journaliste, a une jolie plume et sait rendre captivante cette histoire fantastique. Etonnamment, lors de ma lecture, je n’ai pas une seule fois souhaité un dénouement autre que celui qui s’annonce dès le départ. Anastase n'est pas un homme qui m'est apparu franchement sympathique. Il m'a paru mou, subissant les événements de la vie plus qu'il ne les vivait réellement. Malgré tout, malgré surtout cet "anti-héros", j’ai été happée par le récit de cette vie, que j’ai sentie comme vécue par procuration. Anastase vit-il vraiment pour lui ? La vie avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête (surtout celle des autres, mais il semble que pour Anastase, ce soit du pareil au même), cette vie valait-elle le coup d’être vécue ?

Finalement, à la fin de cette lecture, j’ai la sensation étrange que ce livre n’est qu’un prétexte pour dénoncer les "voyants", ceux qui prétendent pouvoir donner à ceux qui les paient grassement pour cela, des détails sur leurs vies, présentes et surtout futures. En définitive, ne vaut-il pas mieux vivre sans rien connaître de l’avenir ? Comment vivrions-nous si nous connaissions le jour, même approximatif, de notre mort ? Personne ne connaît l'échéance, justement, et à moins d'avoir côtoyé la mort de très près, bien rares sont ceux qui profitent de la vie "pleinement", comme si chaque jour était le dernier. Et c'est justement parce qu’on ne connaît pas l’échéance. Et parce que malgré les évidences, la mort paraît comme une perspective bien improbable… sans quoi nous ne ferions sans doute pas autant de projets. Ce court roman est donc aussi un hymne à la vie, celle de tous les jours où on ne réfléchit pas à la mort qui peut survenir n’importe quand.

C’est donc une jolie découverte que ce roman ! Un grand merci à BOB et aux éditions Les Soleils Bleus pour ce partenariat !

Et je ne résiste pas à vous livrer un très court extrait de ce joli roman (p. 46), qui illustre bien, malgré la noirceur supposée du texte, l’optimisme que le lecteur peut y voir :
"Combien de fois peut-on être miraculé ? C’est simple : chaque jour, jusqu’à sa mort. Au fond, le vrai miracle, c’est la vie. Au fond, la vie est un miracle permanent."

Paru aux éditions Les Soleils bleus, 2010 (Longs voyages courts). ISBN : 978-2-918148-03-6

Bonne année !

Une fois n'est pas coutume, pas de chronique aujourd'hui. La prochaine arrivera bientôt, puisque j'ai actuellement trois livre en cours de lecture, et trois partenariats BOB pour la fin janvier. Donc je n'ai pas de quoi m'ennuyer sur le plan de la lecture.

Mais pour l'heure, l'actualité prime, et l'actualité du jour, c'est que (ça n'aura échappé à personne), nous avons changé d'année !

Donc, chers lecteurs, chères lectrices, je vous souhaite à tous et toutes une très belle année 2011 ! Une année riche en lectures, en découvertes variées, en nouveautés aussi. Une année enthousiasmante, paisible, heureuse, pleine de douceur et de joie de vivre.
Je vous souhaite donc le meilleur pour 2011 !

Bonne année à tous !