Tatiana Ventôse est une vidéaste et analyste politique qui œuvre sur les réseaux sociaux, et dont je suis le travail sur Youtube depuis 2018-2019 approximativement. Je trouve son analyse pertinente, dérangeante parfois, et particulièrement intéressante. Issue d'une famille ouvrière de gauche, elle est intellectuellement brillante et ce n'est pas pour rien qu'elle a fait partie des cadres du parti de Jean-Luc Mélenchon : elle a des choses à dire, et ça se sent.
Son livre « Il est venu le temps des producteurs », dont je viens de terminer la lecture, m'attirait depuis sa sortie, l'an dernier, parce que je suis atterrée de voir ce que devient la France (mais pas uniquement la France, le constat vaut pour de très nombreux pays, en Europe et ailleurs). Pour résumer très grossièrement la thèse de cet ouvrage, on peut dire qu'il s'agit d'une analyse de la politique, particulièrement économique, de notre pays depuis les cinquante dernières années. Depuis l'arrive de Valéry Giscard D'Estaing au pouvoir en France, en gros, le paradigme a changé, et nous sommes progressivement passés d'un pays dirigé par une bourgeoisie industrielle (les anciens capitaines d'industries du XIXe siècle) à une domination par la bourgeoisie financière, mondialisée, dans le dernier quart du XXe, et surtout au XXIe siècle. Ce basculement d'une élite à l'autre s'est fait au détriment du peuple : les intérêts de la classe de la bourgeoisie industrielle étaient, au départ, les mêmes que ceux de la population française. Mais les intérêts de la bourgeoisie financière sont, eux, contraires à ceux du peuple.
Vous observez une déconnexion de plus en plus grande entre nos hommes politiques, nos « élites » et nous ? Vous ne comprenez pas pourquoi ces mêmes « élites » passent leur temps, et avec une constance rare, à scier la branche sur laquelle nous sommes tous assis ? Vous trouverez ici une réponse plutôt convaincante à ces questions. Le bon sens semble avoir purement et simplement déserté l'esprit de nos dirigeants économiques et politiques.
La principale qualité de ce livre est de poser des constats clairs et de permettre au lecteur d'engager une réflexion personnelle en faisant un « pas de côté », c'est-à-dire en permettant de regarder la réalité dans laquelle nous vivons d'une autre manière, en s'affranchissant du gloubi-boulga médiatique bien-pensant que nous servent à longueur de temps les média main-stream. Et ça, ça fait un bien fou. Se rendre compte qu'il y a une autre manière de voir, un autre point de vue, et qu'on n'est pas forcement fou quand on pense autrement. Rien que pour ça, je voudrais remercier l'auteur de ce livre : ce type d'analyse permet de libérer la pensée, de s'autoriser à réfléchir et à penser autrement, en-dehors des cadres. C'est libérateur.
Je mets quand même plusieurs bémols, parce que je suis gênée par un aspect de ce livre, qui me semble tomber dans les mêmes travers que ceux des communistes en leur temps, qui ont mené aux horreurs maoïstes et staliniennes du XXe siècle. Un être humain est bine plus qu'une bouche à nourrir et des bras pour travailler. Et Tatiana Ventôse en est elle-même le parfait exemple.
Dans ses vidéos et dans son livre, en moins « frontal », toutefois, elle semble considérer les producteurs (entendre par là ceux qui produisent quelque chose de leurs mains : agriculteurs, ouvriers, artisans, travailleurs manuels comme les plombiers, couvreurs, électriciens...) comme les seuls à même de redresser le pays, parce que leurs intérêts de classe sont les mêmes que ceux de la population française. C'est sans doute vrai du point de vue économique, et je fais partie de ceux qui appellent de leur vœux une véritable réindustrialisation de la France, avec du travail pour tous, afin de redonner à notre pays les moyens de vivre dans le monde. Au moment où j'écris ces lignes, le premier ministre François Bayrou vient d'annoncer des mesures économiques et budgétaires qui en présagent d'autres, bien plus dures et violentes, parce que notre pays, pourtant l'un des plus taxés au monde, croule sous la dette.
Mais depuis trois ans maintenant, je suis frappée de voir, à l'hôpital où je travaille comme aumônier, la soif spirituelle des patients que je rencontre, et ce quelle que soit leur religion – ou leur absence de religion d'ailleurs -. Ce qui me fait penser que Tatiana Ventôse oublie, omet une caractéristique fondamentale de l'être humain dans son analyse : le besoin de transcendance.
Je ne parle pas ici forcément de Dieu, mais de spiritualité, au sens plus large. De ce qui permet à l'homme d'avancer et de s'engager dans la vie, qui lui donne le moteur et la puissance nécessaire : ce besoin de sens, dans les sens du terme : celui de la direction à suivre, et celui de la signification, du but de ce que l'on fait, le « pourquoi » de nos actes. Pourquoi on se lève le matin pour aller travailler. Et pourquoi certains ne se lèvent plus. Ce qui me frappe, dans notre monde, c'est ça : en sécularisant autant nos sociétés, on a perdu le sens de nos vies. Il faut bien, alors, en trouver un autre. Celui qu'a trouvé la bourgeoisie financière décriée par Tatiana Ventôse est tout simple et terriblement banal. Il était déjà décrié et dénoncé par Jésus dans les Évangiles il y a deux mille ans : Mammon. L'argent.
« Nul ne peut servir deux maître ». C'est Dieu ou l'argent, pas les deux. En ce sens, remplacer la bourgeoisie financière par les producteurs sans redonner de la transcendance à notre société ne peut conduire qu'à remplacer une dictature par une autre. C'est exactement ce qui s'est produit avec le communisme de Mao et de Staline au XXe siècle, et qui se produit actuellement avec notre « élite » mondialisée, qui n'a d'autre Dieu que l'argent et son profit personnel.
Autre question que soulève ce livre, c'est celle de la mondialisation, justement. Dans le monde actuel, où fleurissent les conflits armés (Ukraine, Palestine, Iran pour ne citer que les plus proches géographiquement), il est peut-être quelque peu suicidaire de faire voler en éclat les instances gouvernantes, si délétères soient-elles.Sortir de l'Union Européenne au moment précis où le monde tel qu'il est organisé depuis cinquante ans explose, avec une démondialisation violente (émergence de blocs tels que les BRICS, lutte pour l'hégémonie américaine contre la Russie ou la Chine, émergence de l'Asie), est sans doute dangereux pour un petit pays (géographiquement et économiquement) comme la France.
Autant, donc, je suis très enthousiaste à cette lecture en ce que Tatiana Ventôse donne du sens, justement, à ce qui se passe actuellement du point de vue économique, autant je suis sceptique quant aux solutions proposées. Mon mari me dit régulièrement « Tout ça, c'est parce qu'il n'y a plus la foi ». Pendant des années, j'ai « lutté » contre cette idée, pensant naïvement que la question de la foi est personnelle et ne peut pas être un critère de compréhension du monde en général. Mais je ne peux que constater sa justesse : remettre Dieu au cœur de nos vies changerait absolument tout. Dieu ne s'impose pas. Nous sommes libres de l'accueillir ou de le rejeter. Le mouvement de conversion observé, en France et ailleurs, au travers de l'augmentation du nombre de baptêmes d'adultes et d'adolescents est peut-être un signe que quelque chose est en train de changer en profondeur. Pour sortir du marasme dans lequel nous sommes, il nous faut retrouver du sens à notre vie. L'argent n'y suffit pas, le plaisir individuel ne parvient qu'à nous isoler les uns des autres et à détruire la communauté humaine que nous sommes sensés être quand nous vivons sur le sol d'un même pays. Les familles sont atomisées, décomposées, recomposées et précarisées. Quels sont nos lieux, ceux où aujourd'hui nous faisons corps ? Où nous faisons société ? Pour ma part, je trouve dans ma foi ce corps dont j'ai besoin pour vivre, qui donne une direction et une signification à ma vie. Je crois que si nous redonnions individuellement une place à Dieu dans notre vie, notre relation aux autres en serait collectivement transformée. Nous pourrions alors faire société, avec une place pour chacun : jeune, vieux, banquier comme livreur, agriculteur comme enseignant... Je pense que chacun a sa place, son rôle à jouer dans notre monde, même un rôle modeste. Et qu'il ne sert à rien, après l'avoir viré de partout (espace public, hôpitaux, écoles, et jusque nos maisons) de crier vers Dieu en lui demandant pourquoi il ne fait rien pour que le monde aille mieux. Soyons cohérents : la soif de Dieu est inscrite au plus profond de nos âmes, même si nous n'en avons pas tous conscience. Laissons-lui une place, afin qu'il puisse agir dans nos vies. Et alors, peut-être qu'une autre société sera possible.
Paru aux éditions Le Fil d'Actu, 2024. ISBN : 978-2-487-560-00-0.