Une fois
n'est pas coutume : je ne suis pas trop éloignée de l'actualité
littéraire avec cette chronique sur l'ouvrage de Colson Whitehead
paru l'an dernier. Il faut dire que j'ai eu de la chance : il était
dans la hotte du Père Noël et j'ai eu la grippe, méchante maladie
qui m'a clouée au lit pendant plusieurs jours sans rien d'autre à
faire que de passer mes journées à lire !
L'histoire
se passe en Amérique, au XIXe siècle. Cora a seize ans et est
esclave dans une plantation de coton de Géorgie, avant la guerre de
Sécession et l'abolition de l'esclavage.
Abandonnée
par sa mère six ans plus tôt, elle survit à sa condition mais,
quand Caesar, arrivé récemment à la plantation, lui propose de
s'enfuir avec lui, elle n'hésite pas très longtemps avant de lui
emboîter le pas.
Leur but :
les États libres du Nord.
Je ne
connaissais rien, ou presque, à propos de l'esclavage aux
États-Unis, sinon la vision romanesque qu'en donne Margaret Mitchell
dans Autant en emporte le
vent, tout
simplement parce que je n'avais jamais rien lu d'autre sur le sujet.
J'avoue que c'est un peu light
pour se faire une idée de la question. Au mois de janvier, la
lecture de Bakhita
m'avait fait entrer dans une vision plus réaliste de l'esclavage à
laquelle j'avais pu rajouter ce que je savais, par mes cours
d'histoire, sur la traite des Noirs et commerce triangulaire ainsi
que sur le pillage des ressources du continent africain.
Mais j'ignore toujours beaucoup de choses sur la question du racisme
et de l'esclavage aux États-Unis, en dehors de la lutte de Martin
Luther King pour les droits des Noirs, ou encore du tristement
célèbre Ku-Klux-Klan et de leurs actes racistes odieux. La lecture
de ce livre a donc été salutaire de ce point de vue-là,
puisqu'elle me permet d'ouvrir un peu mon horizon sur les horreurs
que les hommes sont capables de faire subir à leurs semblables.
La
distance temporelle et spatiale ainsi que l'angle abordé rendent
l'histoire presque acceptable. Car si j'ai découvert là un visage
dur, atroce, de ce que les hommes ont infligé à leurs frères
humains
simplement à cause de la couleur de leur peau, j’ai
appris aussi que tout un réseau d’entraide clandestin s’est
développé pour permettre aux esclaves en fuite de commencer une
nouvelle vie ailleurs. Dans le roman, ce réseau clandestin est
devenu une véritable voie ferrée souterraine, matérialisant de
fait cette entraide, lui donnant corps, chair et existence
« réelle », rendant palpable aussi les risques pris par
ceux qui faisaient en sorte que ce réseau puisse vivre…
L’histoire de Cora pourrait être celle de dizaines, de centaines
d’esclaves. On en rencontre d’ailleurs un certain nombre au fil
du récit, depuis ceux qui échouent dans leur évasion et sont
rattrapés puis durement punis par leurs maîtres jusqu’à ceux
qui, trompés, tombent dans une forme de fausse liberté, une liberté
surveillée où tout est fait pour garantir qu’ils n’auront pas
d’enfants et ne propageront pas leur « race », en
passant aussi par ceux qui n’ont plus la force, qui sont trahis,
traqués, pourchassés… La fin du roman est ouverte, laissant le
lecteur imaginer la suite. Que deviendra Cora dans le monde où elle
va aller ? Quelles seront les difficultés qu’elle va devoir
affronter ?
Ce livre est dur, dense, salutaire aussi, en ce qu’il met en
lumière les travers de la société, celle d’avant l’abolition
de l’esclavage, bien sûr, mais qui n’est pas sans rappeler
certains aspects de la société d’aujourd’hui.
Colson Whitehead a reçu le prix Pulitzer pour ce roman plus que
nécessaire aujourd’hui.
Paru
aux éditions Albin Michel (Terres d'Amérique), 2017. ISBN :
978-2-226-39319-7.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire