lundi 20 novembre 2023

Jeanne d'Arc, le procès de Rouen, de Jacques Trémollet de Villers


Jacques Trémolet de Villers lit et commente dans cet ouvrage le procès de Rouen, durant les derniers mois de la vie de Jeanne d'Arc, procès qui va aboutir à sa condamnation et à sa mort sur le bûcher le 30 mai 1431. Je ne spoile personne : cette histoire est connue de tous et largement documentée depuis bientôt 600 ans. Il n'y a là aucun suspense.

L'intérêt de ce livre est ailleurs. Ce qui m'a beaucoup plu, ici, ce sont les commentaires de l’auteur, en petits caractères, sous le récit (qui se présente un peu à la manière d'une pièce de théâtre visuellement parlant). Jacques Trémolet de Villers est lui-même avocat au civil et au pénal. Il reprend les minutes du procès et les éclaire grâce à sa connaissance fine tant des procès et de leur déroulement que du langage employé et de la foi. Il explicite de manière très précise et très intéressante à la fois les enjeux, les joutes, les pièges tendus par les juges de Jeanne et les réponses de celle-ci, les raisons qui l'ont poussée à faire ce qu’elle a fait, son état d’esprit au moment des interrogatoires et les raisonnements qui ont pu ou du être les siens durant ces cent jours qui mèneront à sa mort. Ce qui est vraiment très beau, c'est le double regard juridique et religieux que l'auteur porte sur ce procès hors-norme.

Entre le 21 février et le 30 mai 1431, Jeanne est en prison à Rouen. Elle doit faire face à ses juges, des ecclésiastiques qui ont embrassé la cause des Anglais contre celle du roi de France légitime – et légitimé par les combats de Jeanne – Charles VII. L'action de Jeanne est avant tout politique : il s'agit de rétablir le roi de France sur le trône et d’en déloger le « roi de France et d’Angleterre » qui n’a rien à y faire.

Mais les juges ne peuvent rien contre Jeanne du point de vue temporel. C’est donc sur le plan spirituel qu’ils l’attaquent, la harcèlent, même, lui refusant tous les recours auxquels elle avait droit. Si la situation se répétait aujourd’hui, les conditions du procès lui-même rendrait invalide ce dernier quasiment dès son ouverture. Jeanne prend la main, décide sur quoi elle doit ou non dire la vérité, maîtrise le temps par l’intermédiaire des conseils qu’elle reçoit de ses voix (celles de Sainte Marguerite, Sainte Catherine et Saint Michel). Le tribunal ecclésiastique quitte donc la terre très rapidement pour se trouver dans une autre réalité, celle du Ciel et de la foi.

Ce procès hors normes à tout point de vue est le seul de ce type dans toute l’histoire de France (et sans doute du monde). Il a marqué notre pays, non seulement parce que c’est celui d’une jeune fille qui, par ses faits d’armes, a changé le cours de l’histoire de son pays, mais aussi parce que, d’un point de vue strictement juridique, il mêle comme aucun autre les questions judiciaires et spirituelles. Même pour un tribunal d’église, il est seul en son genre. C’est que Jeanne est jugée par l’Église, mais pour des faits militaires et politiques, par des hommes d’Église qui ont une mission politique. Ce mélange des genres ne se reproduira pas dans l’histoire.

C’est en tout cas une très belle lecture, avec la fin que l’on connaît (la pseudo abjuration de Jeanne, sa condamnation et sa mort sur le bûcher après sa rétractation). Mais le livre va plus loin en analysant les rapports de Jeanne avec son temps. Le procès peut en effet se lire à différents niveau, et l’auteur, à la fin, explore les relations de Jeanne avec le Roi (et l’identité de ce dernier, pour elle), mais aussi avec l’État, le droit, la langue française, la guerre, les miracles, l’Église, la laïcité, avant de laisser la porte ouverte sur une dernière question : et si Jeanne était docteur de l’Église ?

Paru aux éditions Perrin, 2017 (Tempus). ISBN: 978-2-262-06780-9.

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