Je crois que je n'ai aucun besoin de présenter l'auteur de ce magnifique roman (ni le roman d'ailleurs, mais bon, je vais le faire quand même, puisque c'est le but de ce blog:) ), tant ce livre a été encensé, et avec raison.
Smita est une jeune maman, en Inde, qui appartient à la caste des Dalits, les Intouchables. Pour vivre – on pourrait plutôt dire « survivre » compte-tenu de ses conditions d'existence et de celles de son mari et de sa fille – elle exerce un « métier » qu'on ne pourrait même pas imaginer sous nos latitudes : elle vide les latrines des autres. Son travail consiste à retirer la m***e chez les Jatts, contre quelques roupies si elle a de la chance, ou quelques restes alimentaires pour se nourrir et nourrir sa famille. Un travail repoussant, sale, nauséabond et nauséeux, dangereux aussi pour sa santé, qu'elle exerce comme l'a fait sa mère avant elle, et qui le lui a appris. Smita est une femme digne, malgré sa condition de (quasi) esclave. Elle a une fille, Lalita, qui est âgée de six ans, pour laquelle elle rêve d'autre chose : Lalita ira à l'école, apprendra à lire et à écrire et sortira de sa condition misérable. Elle n'apprendra pas à vider les latrines, non. Elle aura, un jour, une chance de vivre autre chose. Sa mère se l'est promis et elle met tout en œuvre pour cela.
Sauf que, bien sûr, tout ne va pas se passer exactement aussi facilement que Smita l'espère. Elles vont toutes les deux devoir lutter pour que les choses changent.
Giulia, de son côté, vit en Sicile, à Palerme. Elle travaille dans l'atelier de cheveux de son père, que son grand-père avant lui avait créé. Elle en est fière, car l'atelier, non seulement fait vivre sa famille, mais fait aussi vivre plusieurs femmes, les ouvrières que son père emploie, et qu'elle connaît bien, qui font presque partie de la famille.
Le 14 juillet, son père est en tournée pour récolter les cheveux dans les environs de Palerme, mais il ne rentre pas, ce jour-là, de sa tournée : il a eu un accident et se retrouve dans le coma.
Pour Giulia, cet événement signe un changement radical dans sa vie, puisqu'elle va découvrir à l'atelier ce que son père n'a jamais dit, pas même à sa famille. La situation est grave et il faut toute la ténacité, l'inventivité et la foi de Giulia pour redresser la barre et donner un nouveau souffle à sa vie. Elle est aidée en cela par un mystérieux homme qu'elle a rencontrée complètement par hasard, un Sikh arrivé illégalement en Sicile, qui travaille de nuit dans les plantations d'oliviers.
Sarah, elle, vit à Montréal, où elle exerce le métier d'avocate. Elle est brillante, ambitieuse. Elle a la quarantaine et est promise à un brillant avenir d'associée dans un prestigieux cabinet d'avocat. Tout lui réussit, et elle est indispensable. Sauf qu'un jour, en pleine plaidoirie, elle s'écroule. Elle aussi voit sa vie changer du tout au tout en cet instant précis, où sa vie a basculé.
J'ai lu ce livre en quelques heures seulement, incapable d'abandonner les trois héroïnes à leur sort sans en connaître la fin. Toutes les trois sont des prisonnières, d'une certaine manière. Smita est emprisonnée dans sa caste, dont le régime est atroce : sans aucun droit, aucun espoir de sortir un jour de sa condition. En tant que femme, elle est en plus inexistante : ses maigres biens appartiennent à son mari et, en cas de décès de celui-ci, elle en est tenue pour responsable et donc mise au ban de la société. Le système des castes, en Inde, est cruel et parfaitement injuste, mais Smita ne le remet pas en question en tant que tel : pour en sortir, il faudrait – il suffirait ? - qu'elle se convertisse au bouddhisme. Mais Smita a une grande foi en Vishnou, le dieu protecteur en lequel elle croit et qui lui donne la force d'avancer. Quitter sa religion pour devenir bouddhiste lui est viscéralement impossible.
Giulia est elle aussi prisonnière, de sa famille cette fois. Les choses, en Sicile, se décident en clan. Elle n'est pas seule : en l'absence de son père, les décisions se prennent collégialement avec sa mère et ses sœurs, et ces dernières verraient bien Giulia épouser un coiffeur de la ville qui est amoureux d'elle depuis des lustres et... riche. Giulia, sans surprise, se rebelle et va trouver sa propre voie, envers et contre tout.
Sarah, elle aussi, est prisonnière, mais sans s'en rendre compte. Prisonnière de sa carrière, de l'image qu'elle doit donner d'elle-même. Elle doit prouver à chaque instant qu'elle est capable de travailler « comme un homme », ou plutôt d'être un homme comme les autres. Elle a tout compartimenté dans sa vie : d'un côté son travail, de l'autre sa famille (elle a trois enfants), et les deux mondes sont totalement étanches, car rien ne doit entraver sa carrière professionnelle. Alors quand elle tombe à terre en pleine audience, ce n'est pas un tout petit problème qui vient d'avoir lieu, c'est un véritable tsunami qui va tout dévaster dans sa vie. Et qui lui demandera de changer du tout au tout sa manière de voir, de vivre.
« La Tresse » est un magnifique roman sur la femme, sur les forces de vie qui habitent les femmes. Dans l'adversité, dans les difficultés rencontrées, et quelles que soient leurs conditions de vie, ces trois héroïnes du quotidien avancent et défient les obstacles qui se présentent devant elles.
Je suis très circonspecte en ce qui concerne le discours féministe d'aujourd'hui. Celui porté par Sandrine Rousseau, par exemple, qui parle de « déconstruction » de l'homme en particulier. Il me semble qu'en Occident, on a tellement peu de problèmes qu'on est obligé de s'en chercher, voire de s'en inventer. Ou bien alors on a tellement peur de regarder les vrais problèmes en face qu'on en crée de toutes pièces pour se donner une certaine importance. En tout cas, il y a des combats qui me semblent totalement stupides aujourd'hui. Mais pas ceux qui sont dénoncés dans ce roman. Sortir d'une situation injuste, inhumaine comme celle que vit Smita, ou pouvoir décider soi-même de qui on va aimer, de son métier, comme Giulia, ou encore de pouvoir affronter la maladie sans être laminée professionnellement au passage, juste parce qu'on est une femme, comme Sarah, tous ces combats sont réels et importants.
Ce livre est rapide et facile à lire, profond, important. Il raconte aussi la foi que ces femmes ont en la vie, en leur Dieu, qu'il s'appelle Vishnou, ou Jésus, ou qu'il n'ait pas de nom d'ailleurs. Ces trois femmes sont portées par une foi qui les dépasse, qui les transporte, qui les meut et les entraîne vers la vie. C'est un livre que j'ai trouvé très dur dans ce qu'il décrit de ce qu'elles vivent. Et c'est magnifique.
Paru aux éditions LGF (Le Livre de Poche), 2018. ISBN : 978-2-253-90656-8.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire