samedi 22 avril 2023

Voyage en Amérique, de Charles Dickens


De Charles Dickens, je connaissais surtout Oliver Twist et David Copperfield. Mais pas ce livre ici, que j'ai du mal à qualifier de « roman »… ce qu’il n’est d’ailleurs pas. Et pourtant, le récit pourrait en constituer la trame !

Voyage en Amérique est un récit de voyage, que Dickens a fait alors qu’il avait 30 ans, en 1842. Il commence par la traversée, puis détaille, chapitre après chapitre, son épopée en passant d’une étape à l’autre, d’une ville à l’autre. Dans son avant-propos, Timothée de Fombelle parle de l’humour ravageur de l’auteur, et je vais tout de suite y venir, afin de régler cette question. Oui, le texte est écrit avec force traits d’esprit… mais j’avoue y avoir été quelque peu hermétique. Sans doute une question de culture ou de connaissance de l’auteur, de son univers littéraire ? Je n’ai eu que peu d’occasions de lire Dickens et je ne connais que très peu de choses au monde anglophone et nord-américain. Sans doute me manque-t-il là des références pour apprécier cet humour à sa juste valeur… Mais que le lecteur de ces lignes se rassure : cela ne m’a aucunement empêchée d’y prendre beaucoup de plaisir.

Plus que l’humour, ce que j’y vois, c’est plutôt une grande attention aux détails, aux ambiances. Une très belle description des endroits, des conditions de vie et de voyage, et alors qu’à ma grande honte, je me rends compte que je n’ai en réalité jamais lu un roman de Dickens en entier (je n’ai eu sous les yeux que des extraits, sans jamais aller jusqu’à lire les œuvres), je découvre un grand auteur (il était temps… Hem !:) )

Pour en revenir au récit lui-même, j’ai beaucoup apprécié la narration. Ce livre a été écrit il y a plus de 180 ans et en le lisant, je me faisais la réflexion que ce type de voyage n’existe quasiment plus. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est la destination : je me rends de tel endroit à tel autre endroit, pour des raisons aussi diverses que les affaires, les vacances, la famille, les fêtes de Noël ou d’anniversaires… mais pas pour le voyage en lui-même, exception faite des voyages luxueux de type croisière ou des pèlerinages religieux qui peuvent entrer encore (mais de moins en moins malheureusement) dans ce cadre.

Ici, ce qui compte n’est pas tant la destination que le voyage en lui-même. Les pages décrivant les divers moyens de transport empruntés par l’auteur et ses compagnons de route occupent une très grande place dans le récit. Entre chaque voyage à proprement parlé, le lecteur suit Dickens durant ses escales et ses visites, où il ne manque pas de décrire ce qu’il voit, avec semble-t-il une prédilection pour les endroits qu’on aurait plutôt tendance à éviter a priori (prisons, orphelinats, hôpitaux…). D’après l’avant-propos, lorsqu’il fait ce voyage, Dickens était déjà connu du monde anglophone, des deux côtés de l’Atlantique. C’est donc un personnage public et une célébrité qui débarque en Amérique, et pourtant, comme le souligne Timothée de Fombelle, il n’y a aucun détail concernant les modalités d’accueil : réceptions, cotillons, fêtes en son honneur… comme si Dickens, finalement, n’était qu’un voyageur lambda, n’en avait strictement rien à faire du décorum et se focalisait sur ce qui lui semble essentiel : l’humain, et en particulier le petit, le pauvre, le malade, le malmené par la vie. En cela, on retrouve un peu Oliver Twist dans les pauvres et les marginaux croisés durant ce récit de voyage. Mais ce livre va encore plus loin. Même s’il semble bienveillant pour le pays qui l’accueille ainsi, Dickens n’hésite pas à intégrer à son ouvrage une charge impressionnante contre l’esclavage, question qui occupe à elle seule un chapitre entier, à la fin du livre. Écrit comme un appendice, un ajout au récit lui-même, il laisse entendre au lecteur que cette question de l’esclavage n’est pas un problème ou une situation isolée géographiquement, circonscrite à un endroit précis (et qu’il aurait pu intégrer à un chapitre sur telle ou telle ville par exemple), mais bien un problème de fond qui gangrène toute la mentalité du pays. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas tendre. Dickens, dans ce chapitre, reproduit sur plusieurs pages les petites annonces des journaux, où les propriétaires décrivent leurs esclaves en fuite, avec toutes les particularités physiques de ceux-ci, révélant du même coup l’étendue des sévices qu’ils leur ont fait subir et qui, pour le lecteur d’aujourd’hui (mais également pour Dickens visiblement aussi), sont tout simplement abjects.

J’ai mis du temps à lire cet ouvrage, parce que le temps est une denrée très rare de mon côté, tout simplement. Parce que sinon, ce livre se dévore très vite et il est passionnant. Certains passages sont en effet très drôles (notamment la description de la traversée depuis l’Angleterre jusqu’aux États-Unis) et, surtout, lu aujourd’hui, il introduit le lecteur dans un autre rapport au temps, justement.

Je le soulignais plus haut, le voyage, entendu comme le fait de se déplacer physiquement d’un point à un autre, fait ici pleinement partie du séjour en tant que tel. Il est tout aussi passionnant et épique que ce qui se passe pour l’auteur dans les villes où il se rend successivement.

Ce rapport au temps, au déplacement, m’a beaucoup donné à réfléchir, dans un monde, le nôtre, celui du XXIe siècle, où tout déplacement physique est devenu une contrainte qu’on accepte à la double condition qu’elle soit indispensable et la plus courte possible. Entre les TGV, les avions et le télétravail, nos déplacements ont acquis une sorte de statut d’impondérable tout juste acceptable si on ne peut faire autrement. Le télétravail, depuis la pandémie, devient pour certains un moyen d’aller plus vite et « plus loin », en ce sens qu’il n’est même plus nécessaire, pour assister à une conférence ou à une formation, par exemple, de se rendre physiquement sur place. Les réunions « Zoom » et autres plate-formes de formation en ligne font très bien l’affaire, tant qu’on se concentre sur le contenu de la conférence ou de la formation.

En revanche, aucune réunion « Zoom » ou formation en ligne ne remplacera jamais les liens fraternels et interpersonnels qui se tissent entre les participants à une conférence ou à une formation « en présentiel »… et c’est bien cela qui a été le plus dur à vivre pendant le confinement strict de 2020 : l’absence de l’autre, l’absence de contacts, de liens fraternels. Les appels téléphoniques, les « apéros WhatsApp » et autres visios n’en étaient que des ersatz qui ont peut-être permis à certains de prendre la mesure du besoin de contact « en chair et en os » que nous avons tous. Ce n’est pas pour rien que l’être humain a un corps...

Ce livre m’a en quelque sorte renvoyée au monde « d’avant ». Avant la pandémie, bien sûr, mais aussi avant le TGV, avant Internet. Un temps où, quand nous partions en vacances avec mes parents, le trajet pouvait prendre deux jours rien que pour traverser la France, parce qu’on s’arrêtait au passage pour visiter un château, pour manger chez des amis, y dormir… le voyage, là aussi, faisait partie des vacances et du séjour lui-même. Puissions-nous redécouvrir, quand c’est possible, ces moments de grâce, de joie et de fête en prenant réellement le temps de voir l’autre, de le visiter, d’échanger en profondeur avec lui.

Merci, M. Dickens !

Paru aux éditions Libretto, 2021. ISBN : 978-2-36914-593-6.

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