Ce
troisième tome de la trilogie « Le Siècle », « Aux
portes de l’éternité », débute en 1961, à Berlin où le
lecteur retrouve Rebecca, fille adoptive de Carla (fille de Maud et
Walter von Ulrich) et de Werner Frank, industriel et ancien
résistant. Rebecca est mariée, enseignante, et au moment où débute
ce troisième opus, elle découvre que son mari est membre de la
Stasi, la police secrète allemande, et qu’il a profité de sa
situation pour mieux espionner la famille Frank, très engagée
politiquement. La situation des Frank va singulièrement se
compliquer avec la construction du Mur de Berlin et la fermeture de
la frontière entre le monde communiste à l’Est et le monde
capitaliste à l’Ouest.
Tout le
roman se trouve finalement ancré dans cette opposition Est-Ouest.
En
Allemagne, la famille Frank se retrouve coupée en deux par le mur,
Lily (la jeune sœur de Rebecca et Walli) restant à Berlin Est avec
ses parents. Contraint de fuir, Walli, le jeune frère de Rebecca, se
retrouve à Hambourg chez sa sœur aînée, où il survit grâce à
la musique. Il y rencontre Dave Williams, anglais, le fils de Lloyd
et Daisy Williams, avec qui il va connaître le succès, en Europe et
aux États-Unis.
Aux USA,
au même moment, George Jakes, le fils illégitime de Greg Pechkov et
de Jacky Jakes, serveuse noire, a terminé ses études de droit à
l’université et il s’engage aux côtés de Robert Kennedy,
ministre de la justice de son frère, John F. Kennedy, pour la
défense des droits civiques. Dans l’Amérique des années 1960,
être de couleur noire est en effet un sérieux handicap, en
particulier dans les États du Sud. Les actions militantes de George
le mèneront sur les traces de Martin Luther King et de son
assistante, Verena Marquand, fille de riches mécènes noirs. George
rencontre aussi Maria Summers, promise à une brillante carrière au
sein de la haute administration à Washington.
De son
côté, Woody Dewar, le fils de Gus, a eu deux enfants, Cameron et
Ursula. Cameron s’engage lui aussi en politique, pendant que sa
sœur fait la rencontre de Dave Williams et de Walli Frank.
C’est
également en Amérique qu’on retrouve Jasper Murray, le fils d’Eva
Murray, allemande expatriée en Angleterre (cf tome 2) et mariée à
un officier anglais. Jasper est attiré par le journalisme alors
qu’il est encore étudiant et s’expatrie en Amérique pour tenter
sa chance à la télévision. Il va se retrouver, bien malgré lui,
enrôlé dans l’armée américaine et envoyé au Vietnam où il
découvrira tant les horreurs de la guerre que les mensonges proférés
dans la presse pour éviter une prise de conscience de la population.
Il n’aura de cesse, une fois démobilisé, de rétablir la vérité.
Sa sœur, Anna, travaille, elle, dans l’édition où elle est
spécialisée dans les œuvres littéraires de l’Est.
C’est
grâce à elle que Tania Dvorkine, journaliste et petite-fille de
Grigori Pechkov, parvient en secret à faire éditer les écrits d’un
ami dissident. Son frère jumeau, Dimka, est conseiller au Kremlin et
évolue rapidement vis-à-vis de l’idéologie communiste, appelant
de ses vœux un assouplissement et une réforme du régime
soviétique.
Dans ce
roman, on suit pas à pas la crise des missiles à Cuba, la lutte
pour les droits civiques aux USA, le combat des Allemands de l’Est
pour la liberté, la guerre froide entre les USA et l’URSS, la
Glasnost et la Perestroïka de Mikhaïl
Gorbatchev, la chute du Mur de la Honte à Berlin et du Communisme en
général… en même temps que l’on assiste à la mort de John F.
Kennedy et de Martin Luther King et à l’avènement d’une société
qui s’émancipe des carcans d’avant-guerre, une société de fête
où règne la libération sexuelle, la libération des mœurs et
l’usage immodéré des drogues… Le tour de force de l’auteur
est de parvenir à mêler faits historiques, personnages réels et
personnages de fiction. On imagine sans peine l’incroyable travail
de documentation qui a présidé à une telle trilogie.
Cette
partie du « Siècle » est foisonnante et m’a touchée,
parce que je me souviens encore de certains de ces événements que
j’ai pu vivre via la télévision : la chute du Mur de
Berlin, en 1989, celle de Nicolae Ceausescu, l’élection de
Jean-Paul II au trône de Saint Pierre, les luttes des Polonais de
Solidarnosc pour la liberté, tous ces événements (qui en
réalité ne concernent que les dernières pages du roman) sont
gravés dans ma mémoire visuelle. Mais tous ces événements de la
fin de la guerre froide résonnent aussi en moi parce que j’ai
grandi, dans mes premières années, dans ce monde porteur de terreur
où la menace nucléaire n’était jamais bien loin, même si le
spectre de la guerre nucléaire s’éloignait à grands pas durant
mon enfance. Ken Follett ne parle pas de Tchernobyl, ni du féminisme,
ni de la construction européenne ou de la création de l’État
d’Israël, par plus qu’il n’aborde les conflits du Moyen et du
Proche-Orient qui ont endeuillé la fin du XXe siècle… Peut-être
que ces « coupes » ont été rendues nécessaires pour
une meilleure compréhension du contexte, sachant qu’à ce
moment-là de l’Histoire, la mondialisation grandissante des
échanges et des politiques rend le monde extrêmement complexe...
Sans doute
aurait-il pu malgré tout évoquer le bouleversement connu par le
monde lors des attentats du 11 septembre 2001. Ces attentats ont en
effet fait basculer le monde entier dans un nouveau siècle, tout
comme l’avait fait l’assassinat de l’archiduc
François-Ferdinand, héritier de l’empire Austro-Hongrois, à
Sarajevo, un siècle plus tôt, propulsant le monde dans le premier
conflit mondial…
Symboliquement,
les dernières pages évoquent l’élection de Barak Obama, premier
Président Noir aux États-Unis, comme le résultat d’une évolution
lente et laborieuse vers plus d’égalité, plus de fraternité.
Avec le
recul et les événements de ces dernières années (et, en France,
de ces derniers mois), on ne peut que constater que rien n’est
gagné. La corruption règne toujours, le pouvoir de l’argent est
plus important que jamais, même si certaines manipulations semblent
moins grossières et moins visibles qu’avant… Il y a encore du
travail pour que ces rêves d’égalité et de fraternité, mais
aussi de dignité pour tous, particulièrement pour les plus
fragiles, deviennent réalité.
Ce livre
se termine en fait comme un point virgule. L’histoire n’est pas
achevée, contrairement à ce que les omissions volontaires dans les
dernières décennies (entre 1989 et 2008) laissent entendre.
L’histoire, elle, s’écrit jour après jours, sous nos yeux. Le
monde est en mutation, tout comme il y a presque soixante ans. À
l’heure où une nouvelle crise économique majeure se prépare, où
notre niveau de vie et surtout nos modes de vie délirants doivent
nous faire réfléchir à nos habitudes, sommes-nous prêts à faire
les sacrifices qui s’imposent ? Quand on regarde l’urgence
climatique, on se rend compte qu’il s’agit là sans doute d’une
question de survie. Mais en avons-nous réellement conscience ?
Paru
aux éditions LGF, 2016 (Le Livre de Poche), 1273 p. ISBN :
978-2-253-12597-6.
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