Mon ancien
accompagnateur spirituel m’avait demandé, au mois d’octobre
dernier, de me renseigner sur Takashi Nagai, médecin militaire
japonais, mort quelques années après la fin de la Seconde Guerre
Mondiale. J’ai bien sûr commencé par Internet, en première
exploration : qui était cet homme ? Avait-il écrit des
ouvrages ? Une biographie existait-elle ? Et j’ai trouvé
immédiatement beaucoup de réponses. Takashi Nagai, radiologue, a
survécu à l’explosion de Fatman, la bombe qui est tombée
sur la ville de Nagasaki, le 9 août 1945, trois jours après celle
qui a détruit en grande partie Hiroshima.
De mes
souvenirs d’histoire, je gardais en mémoire la martyre
d’Hiroshima, les images de l’horreur absolue, la colère face aux
destructions et surtout à l’atroce massacre d’innocents,
immédiat, mais aussi à retardement, lié aux radiations. Jamais je
n’avais osé ouvre cette fenêtre, ne voulant pas voir l’horreur
en face.
Et voilà
que ça m’était demandé par mon accompagnateur spirituel, comme
quelque chose qui me permettrait d’avancer dans la foi.
Le
« jeu », dans l’accompagnement, consiste, pour moi, à
obéir à ce qui m’est demandé et de voir où cela me conduit,
quitte à tout arrêter si c’est trop dur ou à différer si je ne
suis pas prête. Ces arrêts, définitifs ou temporaires, font partie
d’ailleurs de l’accompagnement.
Concernant
Takashi Nagai, j’ai d’abord lu des résumés de sa vie et des
extraits de son livre « Les Cloches de Nagasaki », me
familiarisant peu à peu avec cet homme. Jusqu’à commander ce
livre d’occasion, puisque introuvable neuf à des prix
raisonnables.
Et j’ai
commencé ma lecture.
Paul Glynn
livre là plus qu’une biographie, puisqu’il retrace
(succinctement, puisque ce n’est pas l’objet premier du livre)
les vies du grand-père et du père de Takashi Nagai, vies
indispensables à connaître pour comprendre Takashi lui-même. Mais
il donne également de nombreuses clés pour permettre à
l’occidentale que je suis de pouvoir un peu comprendre aussi la
mentalité japonaise. Sans ces éléments, le récit brut de la vie
de Takashi Nagai serait totalement incompréhensible, tant la
mentalité japonaise du milieu du XXe siècle est éloignée de la
nôtre, occidentaux.
Takashi
Nagai est un jeune étudiant en médecine, athée, au moment où
éclate la guerre sino-japonaise durant les années trente. Juste
avant sa mobilisation, il avait trouvé un logement dans la maison
des parents de Midori, à Nagasaki, dans le quartier chrétien
d’Urakami. Cette famille, chrétienne, sera le point d’ancrage de
Takashi et lui permettra de vivre un début de conversion au
catholicisme à Noël 1932, quelques temps avant d’être envoyé
comme médecin militaire sur le front chinois.
Après la
guerre sino-japonaise, Takashi se convertit et épouse Midori. De
leur union naîtront un fils puis une fille.
Takashi
Nagai est ensuite devenu médecin radiologue, qui travaille
d’arrache-pied pour permettre aux nombreux malades de la
tuberculose de pouvoir bénéficier, grâce aux radios thoraciques
récemment mises au point, d’être diagnostiqués puis traités à
temps. Il étudie du même coup les radiations elles-mêmes et, le 8
août 1945, il apprend à sa femme, Midori, qu’il est atteint de
leucémie, contractée suite à une trop grande et trop fréquente
exposition aux radiations. Il n’a plus qu’une espérance de vie
très limitée mais il repart à l’hôpital pour y assurer sa garde
qui doit durer jusqu’au lendemain soir.
Le
lendemain matin, 9 août, c’est l’explosion de la bombe sur
Nagasaki, dont les effets vont être dévastateurs.
Takashi
est à l’hôpital au moment de l’explosion, dont il va être
protégé des effets directs, contrairement à nombre d’étudiants
et, surtout, à Midori qui a été brûlée vive à 11h, ce matin-là.
Ce qui m’a
frappée dans ce récit, c’est la personnalité de Takashi. Toute
sa vie, après la bombe, a été éclairée par sa foi lumineuse.
Takashi Nagai a, dans un premier temps, porté secours aux malades et
aux mourants au sein même des ruines de l’hôpital où il se
trouvait au moment de l’explosion. Ce n’est qu’au bout de trois
jours qu’il a pu se rendre à l’endroit où se trouvait
auparavant sa maison, où il n’a retrouvé que les cendres de son
épouse, ainsi que son chapelet, intact. Par la suite, le docteur
Nagai a organisé les secours dans les villages alentours, puis la
reconstruction, en commençant par la cathédrale d’Urakami, lieu
important pour la population de la ville, à majorité chrétienne.
Son intervention et sa foi ont aussi permis que la haine n’envahisse
pas les cœurs des survivants. À tel point que la perception du
drame, sans en oublier ni en minimiser l’horreur, a été
durablement différente de ce qui s’est passé à Hiroshima.
« Hiroshima
crie, Nagasaki prie. »
Aujourd’hui
encore, plus de soixante-dix ans après, cette vision pacifique de
Takashi Nagai imprègne encore les lieux mémoriels de Nagasaki.
Ce qui m’a
frappée, c’est en particulier la lumière et la paix qui émaillent
toute la vie de Takashi Nagai, en dépit des drames auxquels il a du
faire face. Loin d’une sorte de « méthode Coué » qui
l’aurait empêché de voir la réalité en face, il a observé,
durant les cinq ans qui lui restaient à vivre après l’explosion
de la bombe, en scientifique, les effets des radiations tant sur les
sols que sur la végétation, les animaux ou les êtres humains. Et
il s’observait lui-même en premier… Il était donc parfaitement
conscient de ce qui se passait autour de lui, et en lui. Pourtant,
cette paix intérieure et cette joie ne l’ont pas quitté. À la
fin de sa vie, il s’est installé dans un minuscule abri tout
proche de l’épicentre de l’explosion, où il n’a cessé
d’écrire et de recevoir des visiteurs. Il était lumineux. Sa vie
et celle de Midori disent beaucoup, en creux, de ce que peut être
une réponse à la vocation des époux chrétiens. Ou comment la Foi
parvient à transcender l’horreur absolue.
Paru
aux éditions Nouvelle Cité, 1994. ISBN : 2-85313-267-6.
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