samedi 20 mai 2023

Apprendre à écouter, de Joël Pralong

« Joël Pralong est prêtre du diocèse de Sion (Suisse). Infirmier en psychiatrie de formation, il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages qui utilisent le double éclairage de la psychologie et de la spiritualité »1. J’ai découvert ce livre dans le cadre de ma formation d’aumônier, commencée en octobre dernier. Il faut dire que, de mon côté, je démarre dans ce métier, justement en hôpital psychiatrique. Ce double regard psychologique et spirituel est donc la matière première, quasiment la base de mon métier. Et dans les rencontres avec les patients, l’écoute est primordiale. Comment écouter ? Qu’est-ce qu’écouter veut dire réellement ? Quelles sont les attitudes à adopter ? Pourquoi ? Quels sont les pièges à éviter ? Quels sont les risques, aussi, tant au niveau de la personne écoutée (« l’écouté(e) ») que de celui(celle) qui écoute (« l’écoutant ») ?

Toutes ces questions (et beaucoup d’autres !) sont abordées dans ce livre qui se lit très vite (deux-trois heures en ce qui me concerne). Lors de ma lecture, j’ai été particulièrement interpellée par le premier chapitre, celui qui, là où j’en suis actuellement de ma formation et de mon expérience « d’écoutante », m’a le plus parlé et a le plus fait écho aux erreurs et difficultés que j’ai déjà rencontrées. Parce que oui, quand on démarre dans ce ministère d’accompagnateur/écoutant, la pratique est immédiate et est une sorte de « crash-test » permanent. C’est en faisant des erreurs qu’on apprend le plus (malheureusement, ou heureusement!).

Le premier chapitre m’a particulièrement intéressée aussi parce qu’il donne une belle définition de ce que veut dire « écouter ». Et ce qu’il en dit est parfaitement conforme à ce que j’ai eu la possibilité d’expérimenter, justement : écouter, c’est faire preuve d’empathie et de compassion.

Empathie, parce que bien écouter, c’est savoir se mettre à la place de l’autre.

Compassion, parce que bien écouter, c’est aussi souffrir avec l’autre, souffrir avec celui qui souffre.

Cela ne veut pas dire qu’il faut porter ses souffrances, ni qu’on sait exactement ce que vit l’autre (ça, c’est purement et simplement impossible!). Mais faire preuve d’empathie et de compassion, cela me permet de mettre de côté mes propres sentiments et émotions, afin de mieux cerner et comprendre celles de la personne que j’accompagne ou écoute.

Du côté des dangers et problèmes liés à l’écoute, il en est un qui m’a sauté aux yeux lors d’un entretien avec un patient : c’est l’emprise que l’écoutant peut rapidement avoir sur la personne écoutée. Bien écouter une personne suppose donc d’une part une grande discrétion, mais aussi beaucoup de délicatesse. Quand la personne vient parler, elle ne vient pas forcément pour avoir des conseils, contrairement à ce qu’on pourrait penser, mais pour trouver quelqu’un qui va écouter vraiment ce qu’elle a à dire. Donner des conseils, des recettes, même ce qui a fonctionné pour moi dans une situation qui me semble similaire, c’est prendre le pouvoir sur elle et l’empêcher, en quelque sorte, de trouver en elle ses propres réponses. L’écoutant n’est donc pas quelqu’un qui va donner des réponses, mais qui, comme un miroir, permet à la personne écoutée de mettre des mots sur ce qu’elle vit, de clarifier sa pensée, son vécu, de l’ordonner et donc de trouver son propre chemin. Si l’écoutant dépasse ce cadre, il risque de devenir rapidement le « gourou » de la personne écoutée, de prendre l’ascendant sur elle, de l’enfermer dans sa manière de penser. On peut peut-être voir là justement une partie des problèmes qui se sont fait jour dernièrement dans certaines communautés, comme à l’Arche ou chez les Frères de Saint Jean, où de nombreux abus spirituels ont eu lieu et font encore aujourd’hui des dégâts sur les personnes qui en ont été victimes, alors même que ces abus ont cessé…

D’autres dangers existent, comme par exemple s’écouter soi-même au lieu d’écouter la personne, ou encore la manipuler, ne pas la comprendre si l’écoutant ne fait pas l’effort de prendre conscience de ses propres biais, sentiments et émotions...

Écouter est donc quelque chose de difficile, si on veut le faire bien. Écouter avec son cœur, avec compassion, empathie, amour pour l’autre, en particulier pour celui qui souffre, cela demande beaucoup d’énergie. C’est fatigant, épuisant, même, à cause en particulier de la concentration que demande cet exercice.

L’auteur aborde donc l’écoute sur différents plans : écouter Dieu pour agir, l’écoute « affectueuse », la solitude, l’écoute en famille, l’écoute dans l’Église, la contemplation… Sans être tout à fait un manuel pratique, parce qu’il ne donne pas un « mode d’emploi » de ce qu’est « écouter », ce livre est très intéressant par les points délicats qu’il fait surgir dans la pratique de l’écoutant, les points d’attention à observer, afin qu’écouter ne soit plus synonyme d’emprise ou d’abus… C’est indispensable, en particulier en ce moment !

Je suis heureuse d’avoir lu cet ouvrage au tout début de ma pratique professionnelle (je suis en poste depuis un peu moins de cinq mois à l’heure où ce billet est publié), parce que d’emblée, il met en mots les écueils que j’avais déjà remarqués, les risques et problèmes susceptibles de se poser dans la pratique. Avertie et mieux préparée, j’espère que cette lecture me permettra de mieux accueillir la parole de l’autre. Parce qu’ « écouter, c’est aimer ».

Paru aux éditions Artège, 2023. ISBN : 979-10-336-1377-0.

1Extrait de la quatrième de couverture.

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