Ce livre a
fait partie des sélections pour les prix décernés chaque année à
la rentrée littéraire, au mois de septembre. D'habitude, je ne fais
pas mes achats en fonction des sélections, ni même de la rentrée
littéraire, tout simplement parce que j'ai trop peu de temps pour
lire et qu'il m'est donc extrêmement difficile de suivre l'actualité
littéraire. Pour tout dire, un des livres, conseillé par mon
libraire, attend encore que j'aie le temps de l'ouvrir. Depuis un peu
plus d'un an.
Bakhita a
été enlevée à sept ans pour être vendue à des marchands
d'esclaves. Dès le début, elle subit l'horreur et elle va y
survivre, ainsi qu'à toutes celles qui vont suivre. Sans rentrer
dans les détails, l'auteur donne à voir les souffrances subies par
la petite fille puis l'adolescente. Pendant des années en effet,
passant d'un maître à l'autre au gré des ventes et des marches
forcées, elle va voir l'humanité dans ce qu'elle a de plus dur, de
plus horrible, de plus noir.
Un point
commun à toute sa vie : les enfants. Enchaînée très rapidement à
une petite fille de son âge, elles seront vendues ensemble et feront
de concert leurs premiers pas d'esclaves, jusqu'à la première
séparation. Il y aura d'autres maîtres, d'autres enfants, d'autres
tortures, d'autres souffrances, jusqu'à ce qu'un jour, en plein
conflit au Darfour, le consul Italien l'achète lorsqu'elle est
adolescente. Sa vie va alors changer progressivement pour la mener
vers la lumière. Les enfants resteront des êtres proches d'elle, y
compris lorsqu'elle sera devenue religieuse.
Ce roman m'a
bouleversée à plus d'un titre. En premier lieu par l'histoire de
Bakhita, cette petite fille dont on ne saura jamais le nom véritable,
celui que lui ont donné ses parents, parce qu'elle-même l'a oublié
dans son exil et sa marche forcée. Cette absence de nom, c'est aussi
une volonté de la part des marchands d'esclaves. Pas de nom, pas
d'identité, pas d'existence. Le nom marque l'existence même de
celui ou de celle qui le porte. D'ailleurs, l'existence de Bakhita
aura pris un tournant décisif lors de son baptême, plusieurs années
après son arrivée en Italie, avec son nouveau nom.
Le troisième
aspect qui m'a marquée, c'est l'omniprésence du langage, de la
langue, comme marqueur d'appartenance. Si Bakhita avait su son
prénom, le Consul d'Italie aurait pu, grâce à un ami connaisseur
de la plupart des dialectes du Darfour, retrouver son ethnie, son
village, sa famille. Mais la mémoire de Bakhita avait été effacée
par la souffrance et les seuls mots dont elle se souvenait étaient
ceux qu'elle avait appris au cours de sa captivité, son mélange,
sabir connu d'elle seule où se mêlent des mots arabes, turcs, puis
italiens et, plus tard, vénitiens et latins. La question du langage
m'interpelle, parce que c'est par le langage qu'on acquiert la
pensée, la réflexion. Sans langage, peut-il y avoir une conscience
? Je pensais que non. Mais l'histoire de Bakhita m'a montré que
cette question est bien plus complexe que ce que je pensais (comme
d'habitude !), puisque, malgré la perte de sa langue maternelle et
sans que personne n'ait jamais pris le temps de lui apprendre à
parler correctement une autre langue (il y a bien des essais,
notamment avec le Vénitien, qu'elle arrivera à parler presque
correctement à la fin de sa vie), une langue dans laquelle elle
pouvait s'exprimer librement, Bakhita a pu développer un trésor au
fond de son coeur et être touchée par la grâce. La question du
langage est donc importante, mais pas nécessairement le seul moyen
d'entrer en relation avec les autres (évidemment, on peut entrer en
relation par le toucher, par les autres sens...), mais là, Bakhita
utilise encore d'autres moyens, en en privilégiant un parmi tous les
autres à sa disposition : l'amour qu'elle a pour les plus petits,
pour les enfants. C'est cet amour immense, inconditionnel, qui la
sauve de la barbarie et lui permet de survivre à l'enfer.
Sainte
Bakhita fait partie de ces personnes qui ont tout souffert et qui ont
fini par trouver dans le Christ leur sauveur. Sa vie est un exemple
de foi et de simplicité, d'humilité et de droiture. J'ai été
frappée par la formidable capacité de Bakhita à avancer malgré
les difficultés et les souffrances, peut-être malgré elles
d'ailleurs. Je ne connaissais pas du tout la vie de cette femme, j'en
ai été profondément bouleversée. L'auteur a su évoquer et saisir
toute la profondeur de l'âme et de la personnalité de Sainte
Bakhita et en restituer l'incroyable destin.
Paru aux
éditions Albin Michel, 2017. ISBN : 978-2-226-39322-7.
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