mercredi 3 juillet 2024

Yoko Tsuno, tome 31 : L'Aigle des Highlands, de Roger Leloup



 Dernier album sorti, « L’Aigle des Highlands » nous ramène en Ecosse, bien sûr, où Yoko et son petit monde s’est installée depuis quelques albums (depuis « La Servante de Lucifer », la 25e aventure).

Fidèle à la tradition qu’il a lui-même créée, Roger emmène cette fois-ci son héroïne non pas dans l’espace, mais « ailleurs », sur Terre - et pas mal sous terre aussi, d’ailleurs. Mais pas que. L’histoire commence dans le banal quotidien de la vie normale. C’est le soir, le soleil se couche, et il est l’heure pour les enfants d’aller au lit. De son aventure précédente dans la banlieue de Saturne, Yoko a ramené la petite Pia, résultat « vinéen » de manipulations génétiques, qu’elle élève comme sa fille adoptive Rosée, avec l’aide de Bonnie et d’Emilia, sans oublier les amis de toujours Vic et Pol. Il commence à y avoir du monde au cottage et des travaux sont nécessaires pour remettre l’habitation aux normes.

C’est d’ailleurs un problème électrique qui lance l’aventure. En allant nourrir un renard dans les ruines de l’abbaye qui jouxte Loch Castle, la demeure de Cécilia près de laquelle se trouve le cottage, Emilia et Bonnie tombent sur deux moines à la recherche de « quelque chose » dans les ruines. Yoko se renseigne auprès de Cécilia, qui lui remet une étrange patte d’aigle, ce qui va lancer Yoko dans une aventure temporelle et souterraine à la fois.

Par certains côtés, cet album est la suite du précédent, malgré l’indépendance des deux récits. Yoko est marquée par les risques qu’elle a pris durant sa précédente aventure. Là encore, Roger Leloup prend le temps d’installer le récit, encore plus longuement que dans le 30e album. Du coup, le récit se déroule en plusieurs parties, une dans le « quotidien » (c’est une sorte d’introduction), la seconde dans le passé et la fin se termine sous terre. Ce qui est étonnant, dans cet album, c’est que Roger Leloup ait réussi à y réunir plusieurs univers, ainsi que les personnages qui en sont les « marqueurs » habituellement. Khany pour l’univers souterrain, et Monya, pour le voyage temporel. Les thèmes de prédilection de Roger Leloup sont bien présents, et notamment un aspect qui est plus une question de fond, relative au mode de vie des Vinéens sous terre. Dans un ancien album, « Les 3 Soleils de Vinéa », ainsi que dans le tout premier (« Le Trio de l’Etrange »), Yoko et Khany se retrouvaient face à une sorte de pouvoir suprême, une intelligence « humaine » (biologique en tout cas), secondée par la technologie vinéenne et placée en léthargie magnétique. Cette intelligence finissait par se laisser déborder par la technologie, et par se retourner d’une manière ou d’une autre, contre ceux qu’elle était sensée protéger ou « guider ». Ici, on retrouve fugitivement cette thématique, mais dans le monde vinéen souterrain « nouvelle version », c’est-à-dire celui que Yoko et ses amis ont découvert dans « Le Temple des Immortels » (28e album).

A la lecture de ce dernier opus, j’ai été quelque peu déstabilisée par les choix de Roger Leloup de « mixer » tant d’univers différents. Les personnages et l’intrigue sont toujours bien amenés et interviennent logiquement dans l’intrigue, mais leur accumulation rend à certains moment l’histoire plus complexe à lire et donc à comprendre. L’impression que me laisse ma lecture, c’est que Roger Leloup a encore beaucoup, beaucoup de choses à faire vivre à son héroïne et qu’il sait maintenant que chaque album peut être le dernier de la série, compte-tenu de son âge. Yoko est sa « fille de papier » et il est évident qu’il veut lui faire vivre encore de nombreuses aventures. Mais la multiplication des personnages (qui évoluent, d’ailleurs, toujours par binômes : Yoko-Khany, Rosée-Poky ou Rosée-Pia voire comme ici Rosée-Poky-Pia, Yoko-Emilia, Emilia-Bonnie, Pol-Mieke, Yoko-Monya, Yoko-Cécilia), a tendance à « perdre » un peu les personnages « principaux » du Trio de l’Etrange : Pol et Vic n’ont plus qu’un rôle très subalterne, Pol comme « clown » de service, et Vic comme caution sage et protecteur (de loin) de Yoko. Cette évolution de la série me laisse quelque peu sur ma faim. Si j’aime beaucoup Yoko, je suis presque déçue de l’éviction de Pol et Vic au profit des « rôles secondaires » que sont Emilia, Bonnie, Monya ou Cécilia, sans parler de Mieke qui, finalement, a un rôle très peu important (et peut-être n’est-ce pas plus mal : lui donner une place plus grande ne ferait sans doute qu’ajouter de la confusion au récit). Malgré ce petit désagrément, je dois reconnaître que Roger Leloup s’y entend pour construire des histoires cohérentes – si tant est qu’on entre dans l’univers qu’il a créé et dans sa cohérence interne – et toujours interpellantes.

Les grands formats (que ce soit celui qui reprend « Les Gémeaux de Saturne » ou le présent album) sont toujours passionnants. Ils sont d’une très grande qualité pour ce type d’ouvrage. L’éditeur, comme toujours depuis « Le Septième Code », ne se moque pas des lecteurs. Toutefois, le prix du dernier volume est très supérieur à celui des précédents… Prix du papier ? Effets de l’inflation ? Je l’ignore… En tout cas, cest grands formats s’adressent plutôt à des collectionneurs ou à des mordus de la série (voire les deux, l’un n’empêchant pas l’autre, bien sûr). Le cahier graphique et les textes qui accompagnent la bd en grand format sont bien fournis : pas moins de 32 pages d’esquisses, de crayonnés, de cases avec les indications de couleurs de l’auteur. Et les textes, précieux, pour mieux comprendre l’intention de Roger Leloup. C’est d’autant plus important dans les derniers albums, compte-tenu de la complexité des dernières intrigues. On entre ainsi plus profondément dans les récits, avec les questions qui sous-tendent les histoires racontées. Roger Leloup n’écrit pas pour ne rien dire… On peut même dire qu’à travers son art, il porte une vision du monde et de l’humanité, les Vinéens étant un peu, par certains côtés, une version « noire » de l’humanité, ou plutôt « grise », d’ailleurs. C’est-à-dire à l’image de notre propre être : ni tout blancs, ni tout noirs, mais quelque part entre les deux, avec nos bons et nos mauvais côtés. C’est aussi un des éléments qui traverse la série depuis quelques albums : ce n’est plus tellement la technologie qui est interrogée dans ce qu’elle a de bon ou de mauvais, dans l’usage qui en est fait, mais plutôt les choix posés par les êtres humains qui l’utilisent. Une interrogation qu’il est important, pour nous, aujourd’hui, de se poser également, tant les possibilités apportées par notre technologie sont immenses et n’ont pas terminé de se développer. Jusqu’où doit-on aller, ou plutôt, jusqu’où peut-on aller, sans y laisser notre humanité ?

 

Paru aux éditions Dupuis, 2024. Format classique : ISBN : 978-2-8085-0494-2. Grand format : ISBN : 978-2-8085-0674-8.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire