lundi 9 septembre 2019

Le Dernier Caton, de Matilde Asensi




J’ai acheté ce livre il y a très longtemps et, comme souvent, je n’avais pas eu le temps de le lire. Cette « erreur » est maintenant réparée, et je vais pouvoir en parler un peu longuement, parce que vous allez voir que ce livre m’embête un peu.

Pour commencer, l’histoire.
Quand on lit un livre d’une collection intitulée « Folio Policier », l’avantage, c’est qu’on sait à peu près où on met les pieds. Il va s’agir a priori d’une enquête, d’un meurtre, de quelque chose d’éventuellement assez noir… mais on n’est pas vraiment surpris par le genre du livre, on est en quelque sorte en terrain connu. Et c’est effectivement le cas ici.
Sœur Ottavia Salina, l’héroïne de l’histoire (et de la série, parce que je me suis rendu compte qu’il y avait plusieurs livres dans la même veine du même auteur), est paléographe et historienne de l’art, « sans compter ses autres titres académiques ». Elle travaille à l’Hypogée, le département le plus secret des Archives secrètes du Vatican. Elle est un jour appelée à la Secrétairerie d’État, chargée des relations diplomatiques du Saint Siège avec le monde, car on a besoin de ses lumières au sujet d’un corps qui a été retrouvé et qui porte d’étranges scarifications.
Sœur Ottavia se voit adjoindre le secours de Kaspar Glauser-Röist, garde suisse imposant, froid et efficace, afin de mener l’enquête au plus vite et de trouver rapidement la réponse à la question suivante : que signifient ces marques ? (la question de savoir qui l’a tué et pourquoi semble totalement accessoire, pour le coup). Seulement, pour Sœur Ottavia, les choses vont se révéler un peu plus complexes que prévu. Son enquête l’amène bien malgré elle (du moins au début) sur les traces d’une confrérie plus que millénaire dont l’objet est de veiller sur la Sainte Croix, cette croix découverte par Sainte Hélène en 326, sur laquelle le Christ serait mort crucifié. Durant des centaines d’années, des morceaux de cette croix ont été disséminés dans le monde : les reliques sont par exemple présentes à Paris, dans la Cathédrale Notre-Dame.

Après avoir désobéi en cherchant des informations qu’elle n’était pas sensée connaître, Sœur Ottavia est écartée de l’enquête et envoyée en Irlande, avant d’être rappelée immédiatement à Rome, au Vatican, où l’attend un archéologue éminent, Farag Boswell, dont les connaissances devraient aider Ottavia et Kaspar à aller au bout de l’enquête. Il faut dire qu’entre-temps, une autre relique a été volée et qu’au Vatican, on s’affole un peu des proportions que prend l’affaire…
Les trois enquêteurs sont mis sur la piste de la Divine Comédie de Dante (que Kaspar connaît parfaitement bien) et se servent de cet ouvrage pour passer eux-mêmes les épreuves de cette confrérie afin de retrouver les auteurs des vols (et accessoirement de retrouver les reliques). Seulement tout ne va pas se passer exactement comme prévu.

Je ne dévoilerai rien d’autre de l’intrigue (quoi que…) parce que l’intérêt (et mon embarras à propos de ce livre) se trouve ailleurs.

Alors, qu’ai-je pensé de ce roman ?

Tout d’abord, il est très bien écrit (et la traduction est très convaincante, Matilde Asensi étant Espagnole). C’est agréable à lire, prenant (on n’a pas envie de lâcher ce roman, pour être claire), l’intrigue est vraiment très bien montée, très détaillée et on sent un véritable travail documentaire derrière. Pour qui n’est pas spécialiste de l’Empire Byzantin et de l’art antique en général, c’est passionnant et on voyage beaucoup, dans ce livre très dépaysant (depuis Rome et le Vatican jusqu’à Palerme, Ravenne, Marathon, Constantinople, Alexandrie, et plus loin encore…). Du bon roman, quoi.

Sauf que… sauf qu’il y a un certain nombre de choses qui me posent un véritable problème dans ce livre. À commencer par les « Archives secrètes du Vatican ». Il est question, dès les premières pages, de ces archives, puisque c’est là que travaille l’héroïne. Il y est dit explicitement qu’Ottavia travaille à l’Hypogée, une partie secrète des archives secrètes. Mouais… Je ne sais pas trop d’où cela sort, mais par curiosité, je suis allée voir sur Internet ce que c’était qu’une hypogée (j’avais déjà entendu ce mot, mais je ne me souvenais plus du tout de sa signification). Eh bien, une hypogée, c’est une tombe souterraine, en gros. Ce qui, pour le coup, s’accorde parfaitement avec ce qui est décrit dans le roman, puisque l’Hypogée dont il est question est un service souterrain secret au sein des Archives secrètes du Vatican dans lequel personne n’a le droit d’entrer… sauf ceux qui sont accrédités et qui y travaillent (pour le compte d’on ne sait pas trop qui, d’ailleurs. Mais c’est un autre sujet). Bref. Alors ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a un gros « fake » à propos des Archives vaticanes, qui ne sont absolument pas « secrètes ». Ici, le terme « secrètes » signifie tout simplement « privées », c’est-à-dire que ce sont les archives destinées au Pape et à la Curie romaine, pour les aider dans leur travail. D’autre part, la plupart des documents sont ouverts à la consultation pour les chercheurs en particulier, du monde entier bien sûr. Rien de « secret » là-dedans, donc. J’ai l’impression en lisant ce livre (et d’autres auparavant d’ailleurs) que ce qui tourne autour du Vatican a souvent un arrière-goût sulfureux et alimente nombre de fantasmes dont on va voir dans ce billet qu’ils sont présents à foison dans ce roman.

Dès les premières pages, un autre poncif est présenté (mais je ne l’ai en mémoire que parce que j’ai relu les premières pages, justement, preuve que ça ne sert pas à grand-chose dans l’intrigue du roman) : les cardinaux, les prêtres, seraient, au mieux, imbus de leurs personnes et, parfois, peu recommandables. Un lieu commun qu’on entend chaque jour ou presque, et de plus en plus depuis la médiatisation des abus sexuels de prêtres dans l’Église. Je ne suis pas en train de dire qu’ils n’existent pas ou ne sont pas graves, simplement que ce n’est pas parce que certains prêtres (même s’ils sont trop nombreux) sont coupables d’agissements abjects que tous le sont. Bref. J’ai trouvé cela plutôt gratuit et finalement inutile, d’autant plus qu’il y a un autre moment dans le roman où il aurait été plus judicieux de le mentionner, quand l’auteur en dit plus sur le capitale Kaspar Glauser-Röist… Parlons-en, justement, de ce cher capitaine. Son rôle, semble-t-il, est de « nettoyer »… c’est-à-dire d’effacer les traces laissées par les clercs qui ont commis des fautes afin de maintenir une belle image de l’Église. Soit. On peut imaginer cela. Seulement, j’ai trouvé que c’était un peu léger de faire de ce garde Suisse une sorte de mercenaire, d’homme de main de l’ombre, chargé des basses besognes, quand on sait que les Gardes Suisses sont un véritable corps d’armée entièrement dévoué au Pape et dont les hommes sont des soldats prêts à donner leur vie pour défendre celle du Pape… Ce sont aussi des catholiques pratiquants qui ont fait l’objet d’une sélection drastique, notamment sur leur moralité et leur foi. L’image qui est donnée d’eux via le capitaine Kaspar est malheureusement peu compatible avec ces exigences de recrutement, puisque le capitaine n’hésite pas à mentir, à voler, à tricher… ce qui constitue quand même un certain nombre de problèmes de conscience pour un catholique pratiquant à la moralité normalement irréprochable. Je n’ai donc pas trouvé le personnage très crédible, dans le sens où la raison d’État, là, ne peut pas tout expliquer ni tout excuser.
Sur Ottavia, maintenant (puisque là aussi, il y a quand même un certain nombre de choses qui m’ont dérangée dans le personnage), il s’agit d’une religieuse de 39 ans, paléographe de formation et historienne de l’art, qui partage, au moins au début de l’histoire, un appartement avec d’autres sœurs de son ordre (l’ordre de la Bienheureuse Vierge Marie). La seule information que j’ai trouvée après une très brève recherche, c’est qu’il existe un « Tiers-Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie », qui est une branche laïque de la famille carmélitaine. Pour info, les carmélites sont des religieuses qui vivent cloîtrées… et ne sortent que très rarement de leurs couvents. Les tiers-ordres sont des branches séparées des religieux en ce sens que les laïcs qui les composent ne vivent pas dans des couvents ou des monastères, mais vivent selon la même spiritualité que la « maison-mère » de l’ordre. Dans l’histoire, Sœur Ottavia explique que son ordre a abandonné l’habit après Vatican II. Cet ordre n’a donc rien à voir avec les Carmélites, puisque ces dernières portent aujourd’hui encore l’habit monastique. Bref. Cet ordre a pu tout simplement être inventé de toutes pièces pour les biens de l’intrigue, le problème ne se situe pas là. Non, le problème, c’est que sœur Ottavia est présentée comme une véritable experte dans son domaine, mais totalement naïve dans tous les autres domaines ou presque de la vie, en particulier sur les questions de sexualité, sur la vie de couple, sur les relations entre hommes et femmes. Et, je suis désolée, mais ça, ce n’est pas du tout crédible. Pas au XXIe siècle en tout cas.
L’intrigue se situe au tout début des années 2000, sous le pontificat de Jean-Paul II. Or Jean-Paul II est connu, en particulier, pour sa théologie du Corps, qui parle abondamment des relations entre l’homme et la femme, du mariage, et de la beauté du don entre les époux. De fait, une religieuse qui travaillerait au Vatican sous son pontificat ne pourrait ignorer ce qu’en dit le Saint-Père. Or ce qui transparaît dans ce roman, c’est une opposition entre l’état de vie de religieuse et celui d’épouse et de mère… ce qui est parfaitement faux, les deux n’étant pas opposés mais complémentaires. Dans la foi catholique, et particulièrement depuis Jean-Paul II justement, il n’y a pas (ou plus) de « hiérarchie » entre les vocations, mais une complémentarité qui, bien comprise, rend toute sa beauté au sacrement du mariage. Or on a l’impression, en lisant ce roman, que Sœur Ottavia est entrée dans les ordres sans se poser une seule fois la question de sa vocation (sa mère l’aurait fait pour elle) et que, surtout, elle ne s’était jamais interrogée sur une possible vie maritale. Cela, pour qui connaît un tout petit peu l’Église et a quelque peu fréquenté les monastères ou même simplement les prêtres et religieux ou religieuses de sa paroisse, c’est totalement impossible de nos jours (même si ça a été le cas par le passé). Donc là encore, c’est assez peu crédible. Mais bon, soit. Imaginons.

Il y a pire, bien pire dans cette histoire. Le gros morceau que j’ai beaucoup de mal à digérer, c’est le relativisme présent dans cet ouvrage. Il s’agit d’une fiction, certes, et certains des personnages sont peu recommandables, comme on l’a vu plus haut (en particulier Glauser-Röist, le garde suisse). C’est pour le coup tout à fait normal, dans le sens où on est dans un roman policier et qu’il est quand même plutôt logique d’y trouver des traîtres à peu près partout, et même de trouver des gens qui prétendent être ce qu’ils ne sont pas, qui mentent et volent… bref, ça tient très bien la route dans ce cadre-là. Mais là, il ne s’agit pas de cela, loin de là. Il s’agit des « gentils » de l’histoire qui justifient des actes mauvais, malsains ou délictueux au nom de soi-disant valeurs qui seraient supérieures ou justes… Je m’explique.
Par exemple, le custode de Terre Sainte, à Jérusalem, qui se trouve être le frère d’Ottavia, a eu affaire à Glauser-Röist parce qu’il revendait des objets d’art religieux pour gagner de l’argent. Mais il s’auto-justifie en disant que l’argent n’était pas pour lui, mais pour construire des écoles et des hôpitaux en Terre Sainte et que son ordre, qui lui avait pourtant demandé d’opérer ces constructions, ne lui avait pas donné les moyens financiers de le faire. Il devait donc se débrouiller seul pour trouver de l’argent, et il n’avait rien trouvé de mieux que de vendre ces objets pour réunir les fonds suffisants. Cependant, pas de souci, l’honneur est sauf ! Il s’était assuré que ces objets avaient été vendus… à des cardinaux du Vatican ! Bien sûr, eux, ils ont de l’argent ! (au passage, encore un poncif qui veut que les cardinaux soient tous très riches… il faudrait un jour faire des recherches là-dessus, je ne suis pas du tout convaincue que ce soit le cas pour tous, dans la réalité…).
Autre exemple, la confrérie qui subtilise les reliques (et ça s’appelle du vol en langage courant, c’est interdit par la loi, mais aussi par les Dix Commandements de la loi que Dieu a donnés à Moïse) le fait parce qu’en fait, ces morceaux de la croix lui appartiennent et qu’elle ne fait que récupérer sa propriété… Mouais. C’est marrant, ça, c’est comme dans « Cat’s Eyes »… (ok, j’ai des références bizarres, je sais). Il n’en reste pas moins vrai que c’est toujours du vol et que ces « stavrophilakes » se disent catholiques… Ils semblent avoir oublié la notion de péché…
Autre chose, la description qu’en fait l’auteur est très intéressante : par la bouche d’Ottavia, elle parle d’orgueil, pour décrire les personnes rencontrées dans cette confrérie. Or les épreuves que doivent subir les postulants pour entrer dans cette confrérie (et que subissent donc Ottavia et ses deux compères) ont pour objectif d’éliminer les sept péchés capitaux. Juste pour mémoire : l’orgueil fait partie de ces péchés capitaux… et c’est même le plus grave d’entre eux ! Alors là, il y a carrément un problème de cohérence, non ?

En fait, je n’aime pas quand on donne un nom à quelque chose ou à quelqu’un et que ce nom cache une autre réalité que ce qu’il est réellement. Masquer la vérité, c’est tout simplement mentir. Or, le « Père du Mensonge », c’est Satan… Vu le fonctionnement de cette confrérie, telle qu’il est décrit dans le roman, il faudrait plutôt parler de « secte », et même de secte sataniste, pour le coup.

(Petit rappel : une société secrète, une secte, etc, se caractérise en général par le secret, justement. À plusieurs niveaux : secret sur les activités réelles, sur le financement de la secte ou de la société, sur l’identité des membres, sur les moyens pour en faire partie… On peut aussi penser à des épreuves initiatiques, à des grades, un peu comme dans la Franc-Maçonnerie, par exemple. Ce qui n’est absolument pas le cas dans l’Église catholique. Pour entrer dans l’Église catholique, il suffit de le demander à un prêtre et de recevoir le baptême. Et, tenez-vous bien, l’Église ne refuse jamais de donner le baptême ! En plus, c’est totalement gratuit ! Et pas du tout secret non plus, hein.)

Bon, vous avez compris l’idée. Ce qui me gêne vraiment, dans ce livre, c’est le renversement complet des valeurs, avec le bien qui devient mal et le mal qui devient bien (le vol, le meurtre sont justifiés et justifiables, donc), la vie conjugale devient mieux que la vie religieuse (d’ailleurs Spoiler ! Ottavia quitte sa congrégation pour se ruer dans les bras de Farag Boswell, le bel archéologue qui travaille avec elle), l’Église catholique devient l’ennemi et la secte représente le bon, le bien… Le garde Suisse en devient d’ailleurs le chef à la fin. Là, pour le coup, ça redevient logique qu’un tricheur et un voleur froid et calculateur devienne chef d’une secte de meurtriers...

Les esprits chagrins me diront sans doute que ce n’est qu’un roman, que rien n’empêche une armée, fût-elle celle du Vatican, d’avoir des agents de renseignement dans son sein, et que ce serait même une bonne chose pour déjouer les tentatives d’attentat contre le Pape… Mouais. Je ne suis pas vraiment convaincue par ces arguments. Parce que cette histoire se situe au XXIe siècle. Pas au Moyen-âge. De fait, ce qui était vrai au Moyen-âge ne l’est plus vraiment aujourd’hui, au moins sur certains aspects, et ce qui m’attriste, finalement, c’est surtout le fait que l’auteur s’est donné beaucoup de mal pour se documenter sur l’Empire Byzantin, sur Constantinople, sur les bâtiments, églises… etc. Mais qu’elle s’est laissé emberlificoter par les poncifs actuels sur l’Église, son soi-disant fonctionnement, sa doctrine telle qu’elle est perçue de l’extérieur alors même qu’elle est totalement méconnue à l’extérieur (et donc très mal interprétée). Je trouve simplement dommage qu’un travail de recherche plus approfondi n’ait pas été fait dans ce domaine-là aussi. Parce que ça aurait donné beaucoup plus de force et de crédibilité au récit s’il n’était émaillé de toutes ces invraisemblances.
Et puis, quand même, le coup de grâce, pour moi, c’est que finalement, l’auteur s’en tire avec une pirouette : l’enquête sur laquelle Sœur Ottavia, Kaspar Glauser-Röist et Farag Boswell sont chargés de travailler n’arrive jamais à son terme. Et ça, pour un roman policier, c’est quand même très dommage. La victime semble oubliée, les coupables sont connus mais restent en liberté, ceux qui ont demandé cette enquête n’ont plus de nouvelles de leurs enquêteurs… Oui, c’est vraiment dommage : j’ai eu l’impression que ce roman se finissait en queue de poisson. L’intrigue était-elle trop bancale ? C'est vraiment dommage, parce que ce roman possède d'immenses qualités !

Paru aux éditions Gallimard (Folio Policier), 2008. ISBN : 978-2-07-034268-6.

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