samedi 14 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 1 : Le Trio de l'Etrange, de Roger Leloup




Je commence une nouvelle série de billets sur la bande dessinée, et je vais vous parler tout d'abord de Yoko Tsuno. Ceux qui suivent ce blog depuis longtemps savent que c'est avec cette héroïne que j'ai attrapé deux virus : celui de la lecture et celui de la bande dessinée. On pourrait dire aussi que mon appétence pour la science-fiction « soft », réaliste, vient de là et que l’œuvre de Roger Leloup imprègne en grande partie mes propres écrits, mes réflexions, mes rêves.
Cette bande dessinée est née à la fin des années 1960, tout début des années 1970. Dans ce premier tome, le lecteur découvre d’abord Vic Vidéo et Pol Pitron, qui laisseront très vite leurs patronymes respectifs au vestiaire pour devenir simplement Vic et Pol. Tous deux travaillent à la R.T.N., la Radio Télévision Nationale, où Vic est réalisateur et Pol cameraman. Il est minuit et ils achèvent avec leurs collègues l’enregistrement d’une émission sur le sommeil.
La première page les met en scène tous les deux, et même si le style de la bande dessinée va évoluer au fil des années, les deux caractères bien trempés des personnages principaux sont d’ores et déjà marqués : Vic est le « sérieux » de la bande, celui sur qui on peut compter. Pol est plus fantasque, loufoque… c’est un peu le « pitre » du duo (comme son patronyme l’indique d’ailleurs tout à fait à propos). Vic en est donc le meneur, mais il a besoin de Pol.
Quant au personnage de Yoko, il n’apparaît qu’à la fin de la troisième page. Yoko s’introduit dans un immeuble à l’aide d’une grue et Vic et Pol, témoins de la scène, la rejoignent pour empêcher le cambriolage. On apprend très vite qu’en réalité, Yoko est employée par le propriétaire pour tester les systèmes d’alarme du laboratoire où toute la bande se trouve réunie. Et c’est cette rencontre fortuite, basée sur un malentendu, qui donne naissance au trio… où Yoko prend très vite l’ascendant sur Vic.

Les trois amis décident de tourner ensemble un documentaire sur la spéléologie et se rendent dans une grotte où coule une rivière souterraine dont nul ne sait où elle ressort. C’est ce mystère que les trois amis cherchent à résoudre dans leur première émission.
Le tournage commence normalement, mais va vite précipiter nos trois héros dans un univers inconnu, sous terre, où ils font la connaissance d’un peuple étrange à la peau bleue qui vit sous nos pieds depuis des millions d’années : les Vinéens, qui ont fui leur planète condamnée.
Ils sont pris en charge par Khany qui a pour mission de les conduire au « Centre », le coordinateur-robot qui contrôle le complexe souterrain des Vinéens, afin que ce dernier décide de ce qu’il doit advenir d’eux.

Évidemment, les choses ne vont pas être très simples, ni pour le trio formé par Yoko, Vic et Pol, ni, d’ailleurs, pour les Vinéens.

Je ne vais pas dévoiler la suite, pour ceux, sans doute rares, qui ne connaîtraient pas encore cette histoire.
Cette bande dessinée est passionnante à plus d’un titre. Elle démontre en premier lieu le talent de Roger Leloup pour le dessin, tant pour les personnages que pour la technologie. Il fait preuve là d’une inventivité impressionnante, puisque c’est tout un monde qu’il crée.
Sa grande force (et c’est vrai dans tous les albums de la série) réside dans le réalisme et la cohérence des univers qu’il décrit et crée.
On est bien dans un univers de science-fiction, mais une science-fiction aux antipodes des monstres, aliens, guerres spatiales et autres robots plus ou moins malveillants qu’on peut rencontrer ici ou là.
Les Vinéens sont des êtres qui ressemblent beaucoup aux Terriens et qui, comme eux, sont sujets à la jalousie, la trahison, la malhonnêteté, la recherche du profit et, surtout, essaient de survivre dans des conditions plus ou moins difficiles. Comme eux aussi, ils sont capables d’amitié, d’empathie, d’attention à l’autre, même si ces qualités n’apparaissent pas forcément évidentes au début.
En écrivant ces lignes, je me rends compte que le personnage de Khany, qui apparaît extrêmement froid au début, change au fil des pages au contact de Yoko. Un peu comme si la vie sous terre, entourée de toute cette haute technologie, déshumanisait les Vinéens et que l’irruption de Yoko, Vic et Pol dans leur univers réchauffait un peu les cœurs…

Dans cet album, Roger Leloup nous parle, finalement, de la technologie et du danger qu’elle représente pour les relations que les êtres humains entretiennent les uns avec les autres. La technologie est un outil qui peut pervertir les rapports entre les êtres, s’il prend l’ascendant sur les relations réelles.
C’est marrant. Quand cette bande dessinée a été créée, les téléphones portables et autres objets connectés n’existaient pas encore. Et pourtant, n’est-ce pas ce danger précis, qui consiste à avoir davantage confiance en la technologie qu’en l’être humain, qui nous guette tous ?

Roger Leloup est à la fois un grand dessinateur, un humaniste, un philosophe et un visionnaire. C’est pour cette raison que sa série Yoko Tsuno est toujours actuelle, cinquante ans après sa création.

Paru aux éditions Dupuis, 1979. ISBN : 2-8001-0666-2.

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