Je
commence une nouvelle série de billets sur la bande dessinée, et je
vais vous parler tout d'abord de Yoko Tsuno. Ceux qui suivent ce blog
depuis longtemps savent que c'est avec cette héroïne que j'ai
attrapé deux virus : celui de la lecture et celui de la bande
dessinée. On pourrait dire aussi que mon appétence pour la
science-fiction « soft », réaliste, vient de là et que
l’œuvre de Roger Leloup imprègne en grande partie mes propres
écrits, mes réflexions, mes rêves.
Cette
bande dessinée est née à la fin des années 1960, tout début des
années 1970. Dans ce premier tome, le lecteur découvre d’abord
Vic Vidéo et Pol Pitron, qui laisseront très vite leurs patronymes
respectifs au vestiaire pour devenir simplement Vic et Pol. Tous deux
travaillent à la R.T.N., la Radio Télévision Nationale, où Vic
est réalisateur et Pol cameraman. Il est minuit et ils achèvent
avec leurs collègues l’enregistrement d’une émission sur le
sommeil.
La
première page les met en scène tous les deux, et même si le style
de la bande dessinée va évoluer au fil des années, les deux
caractères bien trempés des personnages principaux sont d’ores et
déjà marqués : Vic est le « sérieux » de la
bande, celui sur qui on peut compter. Pol est plus fantasque,
loufoque… c’est un peu le « pitre » du duo (comme son
patronyme l’indique d’ailleurs tout à fait à propos). Vic en
est donc le meneur, mais il a besoin de Pol.
Quant au
personnage de Yoko, il n’apparaît qu’à la fin de la troisième
page. Yoko s’introduit dans un immeuble à l’aide d’une grue et
Vic et Pol, témoins de la scène, la rejoignent pour empêcher le
cambriolage. On apprend très vite qu’en réalité, Yoko est
employée par le propriétaire pour tester les systèmes d’alarme
du laboratoire où toute la bande se trouve réunie. Et c’est cette
rencontre fortuite, basée sur un malentendu, qui donne naissance au
trio… où Yoko prend très vite l’ascendant sur Vic.
Les trois
amis décident de tourner ensemble un documentaire sur la spéléologie
et se rendent dans une grotte où coule une rivière souterraine dont
nul ne sait où elle ressort. C’est ce mystère que les trois amis
cherchent à résoudre dans leur première émission.
Le
tournage commence normalement, mais va vite précipiter nos trois
héros dans un univers inconnu, sous terre, où ils font la
connaissance d’un peuple étrange à la peau bleue qui vit sous nos
pieds depuis des millions d’années : les Vinéens, qui ont
fui leur planète condamnée.
Ils sont
pris en charge par Khany qui a pour mission de les conduire au
« Centre », le coordinateur-robot qui contrôle le
complexe souterrain des Vinéens, afin que ce dernier décide de ce
qu’il doit advenir d’eux.
Évidemment,
les choses ne vont pas être très simples, ni pour le trio formé
par Yoko, Vic et Pol, ni, d’ailleurs, pour les Vinéens.
Je ne vais
pas dévoiler la suite, pour ceux, sans doute rares, qui ne
connaîtraient pas encore cette histoire.
Cette
bande dessinée est passionnante à plus d’un titre. Elle démontre
en premier lieu le talent de Roger Leloup pour le dessin, tant pour
les personnages que pour la technologie. Il fait preuve là d’une
inventivité impressionnante, puisque c’est tout un monde qu’il
crée.
Sa grande
force (et c’est vrai dans tous les albums de la série) réside
dans le réalisme et la cohérence des univers qu’il décrit et
crée.
On est
bien dans un univers de science-fiction, mais une science-fiction aux
antipodes des monstres, aliens, guerres spatiales et autres
robots plus ou moins malveillants qu’on peut rencontrer ici ou là.
Les
Vinéens sont des êtres qui ressemblent beaucoup aux Terriens et
qui, comme eux, sont sujets à la jalousie, la trahison, la
malhonnêteté, la recherche du profit et, surtout, essaient de
survivre dans des conditions plus ou moins difficiles. Comme eux
aussi, ils sont capables d’amitié, d’empathie, d’attention à
l’autre, même si ces qualités n’apparaissent pas forcément
évidentes au début.
En
écrivant ces lignes, je me rends compte que le personnage de Khany,
qui apparaît extrêmement froid au début, change au fil des pages
au contact de Yoko. Un peu comme si la vie sous terre, entourée de
toute cette haute technologie, déshumanisait les Vinéens et que
l’irruption de Yoko, Vic et Pol dans leur univers réchauffait un
peu les cœurs…
Dans cet
album, Roger Leloup nous parle, finalement, de la technologie et du
danger qu’elle représente pour les relations que les êtres
humains entretiennent les uns avec les autres. La technologie est un
outil qui peut pervertir les rapports entre les êtres, s’il prend
l’ascendant sur les relations réelles.
C’est
marrant. Quand cette bande dessinée a été créée, les téléphones
portables et autres objets connectés n’existaient pas encore. Et
pourtant, n’est-ce pas ce danger précis, qui consiste à avoir
davantage confiance en la technologie qu’en l’être humain, qui
nous guette tous ?
Roger
Leloup est à la fois un grand dessinateur, un humaniste, un
philosophe et un visionnaire. C’est pour cette raison que sa série
Yoko Tsuno est toujours actuelle, cinquante ans après sa création.
Paru
aux éditions Dupuis, 1979. ISBN : 2-8001-0666-2.
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