samedi 1 juillet 2023

Le Chemin des estives, de Charles Wright


Tombée sur ce livre à l'automne 2022, alors que je cherchais un cadeau de Noël pour ma maman, il est à nouveau revenu vers moi au début 2023 et, j'avoue, j'ai craqué. Je pensais d'abord qu'il ne me plairait que moyennement, mais qu'il me permettrait de m'évader un peu, alors que l'année s'annonçait studieuse (je suis à nouveau étudiante) et difficile (je viens de démarrer un nouveau travail.

Et puis,... non. Ce livre est tout simplement magnifique.

Il retrace le mois d'été vécu par deux novices de la Compagnie de Jésus, les « Jésuites », à l’issue de leur première année. L’un, Benoît de Parsac, est prêtre. L’autre, le narrateur, a « écumé les noviciats, les monastères, les ermitages » apparemment sans but précis autre, peut-être, que l’errance elle-même ?

Toujours est-il que ces deux jeunes hommes se trouvent obligés de faire route ensemble depuis Angoulême, sans le sou bien sûr, avec pour objectif de traverser à pieds le Massif Central d’Ouest en Est jusqu’à l’abbaye de Notre-Dame des Neiges, en Ardèche. Le tout en un mois.

Notre-Dame des Neiges, c’est une abbaye trappiste où Saint Charles de Foucauld, autre errant vagabond pèlerin itinérant célèbre, a passé sept mois avant d’aller voir plus loin.

Le récit de ce voyage est donné par le narrateur qui livre au lecteur de très belles pages sur la spiritualité, l’errance, la solitude, la vie au grand air, la simplicité, mais aussi sur l’être humain, son aptitude au pire comme au meilleur. Ce voyage est donc avant tout une initiation spirituelle. Un moyen pour les Jésuites d’envoyer leurs novices d’un an se confronter à eux-mêmes, deux par deux, comme les disciples envoyés par Jésus proclamer au monde la Bonne Nouvelle du Royaume, sans argent, sans manteau, avec pour seul secours celui du Père… et la bienveillance de ceux qu’ils rencontreront.

École de vie, école d’humanité également. Et je ne résiste pas à citer un passage qui m’a beaucoup touchée :

- Alors comme ça, vous voulez devenir religieux ? s’extasie Liliane. […] Moi aussi j’aurais voulu faire cela, mais Paul m’a mis le grappin dessus, puis j’ai élevé nos enfants, rit-elle.

- Vous savez, rebondit Parsac, moi, l’aspirant consacré, je suis à genoux devant le degré d’oubli de soi, la générosité et le service de la vie dont les mères sont capables Votre abnégation vaut bien la nôtre !

- N’empêche, insiste-t-elle, ce que vous avez enduré pendant ce pèlerinage est édifiant !

Parsac et moi baissons la tête, gênés. Après un mois passé à marcher ensemble, à nous connaître dans nos quelques grandeurs et nos immenses bassesses, impossible de bomber le torse. L’un et l’autre savons l’imposteur que nous sommes, le fond de médiocrité qui nous constitue. D’ailleurs, c’est peut-être pour cela que le Christ envoie ses disciples deux par deux. Car lorsqu’un étranger débarque seul dans un endroit, tout auréolé de mystère, il est inconnu, on l’admire. Mais l’équipier qui vous supporte chaque jour sait, lui, que vous n’êtes pas cet étranger séduisant, ce passant considérable. Son regard vous maintient dans l’humilité, il vous empêche de vous draper dans la posture du grand personnage. (pp. 324-325)


Ce livre fait du bien. Par le récit du dépaysement que l’on y lit. Par les compagnons de route des deux marcheurs rencontrés au fil des pages également : les habitants des villages traversés, bien sûr, mais aussi les paysages, les volcans, la solitude, la nature, les vaches… et Charles de Foucauld, Arthur Rimbaud ou encore Thomas A. Kempis, l’auteur présumé de « L’imitation de Jésus-Christ », que le narrateur a emmené avec lui dans son sac à dos.

Ce livre est une invitation à reprendre souffle. À ralentir. À débrancher, aussi, nos téléphones portables, nos écrans de télévision qui occupent si bien l’espace disponible de nos cerveaux, pour faire place à l’Essentiel. Et cet Essentiel ne se manifeste pas tout à fait de la même manière pour nos deux pèlerins. Et pourtant, Il leur donne le bonheur. La Vie.


Paru aux éditions J'ai lu, 2022. ISBN : 978-2-290-36245-7.