mardi 31 août 2010

L'Homme que l'on prenait pour un autre, de Joël Egloff


Ce livre m’a été conseillé par une collègue, qui l’avait lu et l’avait trouvé très drôle.
Autant le dire tout de suite, je n’ai pas du tout été de son avis. Au mieux, les premières pages m’ont fait sourire, mais ne m’ont absolument pas fait rire.

Ce roman est l’histoire d’un homme au visage tellement commun qu’il est sans cesse pris pour quelqu’un d’autre : pour un ancien compagnon de cellule, pour le traître d’une bande de voyous, pour le mari de la voisine du dessous ou l’amant d’une inconnue… Ce roman se laisse lire car il est bien écrit. Tout au long de l’histoire, le lecteur n’a qu’un seul point de vue, celui de cet homme dont on ne connaît pas le vrai nom, mais qui est appelé par les autres « Pierre Simon » ou « Le Pouilleux », ou autre. Le lecteur est ainsi promené d’une rue à l’autre, d’un appartement à la boutique du cordonnier, de la rue à la maison de retraite… sans jamais savoir de qui, finalement, il suit les pas. De ce point de vue, le roman est très bien monté, laissant jusqu’à la fin le mystère sur celui dont on lit les déboires.
Pour le reste, c’est un roman plutôt décevant en ce qu’il ne donne aucun dénouement. Qui est cet homme ? Que s’est-il passé dans son appartement ? Lui a-t-on pris sa vie ? A-t-il pris la place de quelqu’un d’autre ? Est-il tout simplement fou ? Amnésique ?

Les questions se bousculent et restent sans réponse. C’est donc un roman qui interpelle, qui interroge… mais qui, en ce qui me concerne en tout cas, ne restera pas dans mes souvenirs très longtemps, car il sera chassé par une autre lecture que j’espère plus enthousiasmante. Je ne me suis pas ennuyée, non. Mais on m’avait présenté ce roman comme plein d’humour et très drôle, ce qui n’est à mon avis pas le cas. Ceci dit, pour qui aime la loufoquerie, c’est sans doute un roman à lire !

Paru aux éditions Buchet/Chastel, 2008.
Paru aux éditions Pocket, 2009. ISBN : 978-2-266-18431-1

vendredi 27 août 2010

Pourquoi j'ai mangé mon père, de Roy Lewis


Voici un roman étonnant à plus d'un titre, que j'ai découvert récemment dans le cadre de mon travail. Il s'agit d'un roman écrit au tout début des années 1960 et fortement inspiré des découvertes archéologiques de l'époque.
L'histoire se passe à la fin du pléistocène, à l'époque où l'homme ne sait pas encore parler, connaît le feu mais ne le maîtrise pas, vit dans les cavernes, mange plus ou moins cru, chasse, et se trouve confronté à la faune terrestre, lions, antilopes, et autres animaux aujourd'hui disparu. Nous sommes ici propulsés dans cette fin de pléistocène et assistons aux efforts du héros, Edouard, pour domestiquer le feu et élever les pithécanthropes au rang d'êtres humains. Edouard est un "subhumain" qui a beaucoup d'idées et beaucoup d'ambition pour sa horde. Il est très inventif, il est aussi cachotier et cherche à élever ses enfants, Oswald, Ernest, William, Alexandre et Tobie, pour en faire des "humains". Pour cela, il n'hésite pas à employer des moyens radicaux, comme aller sur un volcan pour en ramener le feu, au risque de se tuer, va jusqu’à mettre toute sa horde en danger. Outre son récit comique, dont le ressort est essentiellement l’anachronisme du discours, ce roman est une excellente entrée en matière pour qui s’intéresse un peu à l’évolution de l’homme. En effet, les différentes expériences d’Edouard sont extrêmement bien documentées et décrivent d’une manière très précise les découvertes de cette époque : description de la taille d’un silex, passage de l’endogamie à l’exogamie, étapes successives dans la domestication du feu, techniques de chasse, habitat, tous ces aspects de la vie quotidienne et bien d’autres sont décrits de manière vivante et drôle, rendant la préhistoire amusante et rapprochant quelque peu ces premiers hominidés de nous.

On m’avait décrit ce roman comme très drôle. Personnellement, si je n’ai pas ri aux éclats, je me suis malgré tout beaucoup amusée. La lecture est facile, plaisante, drôle effectivement, instructive sans en avoir l’air, et les références à notre monde actuel (à la bombe atomique par exemple) sont vraiment de purs moments comiques. Edouard semble avoir une conscience aiguë de l’avenir de l’homme, il est une sorte de visionnaire. Ses fils développent chacun des aptitudes particulières, pour la chasse, l’art, et autres, et donnent là les prémisses de l’évolution de l’homme, qui par la suite découvrira la domestication des animaux jusque là sauvages, inventera les peintures rupestres, développera des techniques de chasse de plus en plus élaborées, ou encore explorera son inconscient, ses rêves, finira par croire en une puissance supérieure (Dieu ?) et ensevelira ses morts. Ce roman est empli de personnages typiques, comme l’oncle Vania, réactionnaire qui milite pour le retour aux arbres, ou encore Griselda, la belle-fille, fine tacticienne, qui donnent au récit une atmosphère à la fois drôle et enthousiasmante.

C’est donc ici une jolie découverte, qui, s’il ne fait pas partie de mes romans préférés, mérite le détour.


Traduit de l'anglais par Vercors et Rita Barisse, Préface de Vercors.
Paru aux éditions Actes Sud, 1990.
Paru aux éditions Pocket, 2004. ISBN : 978-2-266-14307-3

jeudi 19 août 2010

Kétala, de Fatou Diome



Fatou Diome est Sénégalaise, immigrée en France, à Strasbourg. Pour moi, son roman a donc le double goût de l’exotisme de l’Afrique et du Sénégal en particulier, et celui de l’Alsace, où se déroule une bonne partie de l’intrigue. Fatou Diome mêle en effet dans son récit la tradition à la fois orale et coutumière de son pays d’origine, et la modernité de son époque, de son pays d’adoption et des modes de vies d’ici.

Mémoria est morte. La tradition au Sénégal, à la mort de quelqu’un, est de l’enterrer très vite (dans les heures qui suivent son décès). Et huit jours après, a lieu le Kétala, l’héritage : les proches du défunt se partagent ses biens, après les huit jours de deuil prescrits par la tradition et la religion (le partage est fait par l’imam local). Tout le roman se déroule pendant ces huit jours d’attente, et le lecteur est plongé au cœur même de la vie de Mémoria, à travers la parole et les questionnements de ses meubles, vêtements et objets personnels. Dans la perspective de leur dispersion, les meubles et objets, en effet, sont tristes d’être séparés. Sous la présidence de Masque, hérité des ancêtres de Mémoria et représentant la sagesse des anciens, les membres de cette assemblée peu commune vont donc, au fil de ces huit jours, égrener leurs souvenirs de la défunte, afin de reconstituer ensemble la vie de leur maîtresse. Le lecteur se retrouve donc spectateur de cette assemblée, riche de l’histoire et des souvenirs de Mémoria. Nous assistons donc à sa naissance, à son enfance, sa jeunesse, son mariage, son exil, sa vie en France, sa déchéance, sa mort… à travers les questionnements, les souvenirs et les récits de Montre, Canapé, Ordinateur, Coumba Djiguène, Chasseur, Masque, Assiette, Mouchoir, Marinière…

Ce roman aurait pu être morbide, larmoyant, trash… Il n’en est rien. Il aurait pu aussi être pudibond, mièvre, à l’eau de rose… mais ce n’est pas le cas non plus. Avec beaucoup de finesse, de retenue, de pudeur, de tendresse, et surtout de poésie, l’auteur nous fait entrer dans les affres et les souffrances de cette jeune femme. La seule chose que je reproche à ce roman, c’est sans doute la plus grosse ficelle du récit, à savoir les interventions de Mouchoir, trop idiot pour être honnête, qui servent immanquablement à provoquer une bagarre entre les meubles et à mettre fin provisoirement au récit, pour pouvoir passer au chapitre suivant. C’est plutôt drôle la première fois, c’est très lourd par la suite. Mais ce petit défaut est compensé en grande partie par la qualité du récit lui-même, la complexité des faits et des sentiments de Mémoria, et l’analyse fine des comportements humains, vus par les meubles et objets qui, eux, n’ont qu’une vision partielle, voire parcellaire, de la vie de leur propriétaire. Leurs questionnements mettent le doigt sur l’absurdité de certains de nos comportements, et permettent aussi de voir à quel point nos vies sont compliquées alors que tout pourrait être si simple. Mais il s’agit là de la nature humaine, magnifiquement décrite par l’auteur.

Ce récit laisse un goût étrange : il est empreint d’une sorte de sagesse millénaire, que l’on sent transmise par les générations qui ont précédé celle de Fatou Diome : l’art de la transmission orale transparaît dans tout le roman, et pas uniquement du fait de cette « assemblée » des meubles, reflet de l’assemblée des hommes sous l’arbre à palabres, au village. Le lecteur sent en effet dans le discours que l’auteur est à la fois l’héritière des sages, des anciens et des traditions de son pays, mais aussi un exemple de réussite d’intégration dans son pays d’adoption, puisqu’elle a su allier son héritage et la culture européenne d’aujourd’hui. Mais le ton dans certains passages du roman laissent un goût étrange, comme si la maturation de l’auteur n’était pas accomplie : j’ai en effet parfois eu l’impression de lire des disputes entre gamins, qui m’ont passablement énervée à la lecture (en particulier les interventions de Mouchoir et d’autres). Est-ce le ton employé ? La répétition du procédé ? C’est plutôt difficile à analyser. En tout cas, ce roman est malgré cette petite réserve une véritable découverte, qui se lit de bout en bout sans le moindre problème, dans une belle langue, qui fait danser les mots et joue avec leur poésie.

Paru aux éditions Féryane, 2006. ISBN : 978-2-84011-731-5

Paru aux éditions J’ai lu, 2007. ISBN : 978-2-290-00154-7

dimanche 15 août 2010

Best Love Rosie, de Nuala O'Faolain



J’ai emprunté ce roman, et attendu un certain temps avant de l’ouvrir. J’avais avant des lectures utilitaires que je me suis dépêchée de terminer, histoire de pouvoir savourer celle-ci. J’avais déjà lu, du même auteur, "L’Histoire de Chicago May", enquête de type journalistique sur la vie de cette prostituée américaine, que j’avais trouvée passionnante.
Dans ce roman, le dernier écrit par Nuala O’Faolain avant sa mort, c’est une plongée dans l’Irlande profonde à laquelle le lecteur est convié.
Rosie a la cinquantaine et se pose beaucoup de questions sur cette nouvelle étape de sa vie. Elle sort en effet d’une relation désastreuse avec Léo ; elle a beaucoup voyagé dans le passé, pour son travail essentiellement ; elle revient aujourd’hui au pays auprès de Min, sa tante, qui l’a élevée et a pris soin d’elle et de son père jusqu’à la mort de celui-ci.

Nuala O’Faolain nous entraîne donc ici dans la vie de ces deux femmes, Rosie et Min, et de tous les changements que le retour de Rosie provoque : Min, à la surprise de sa nièce, réalise enfin ses rêves et devient indépendante alors même que Rosie était rentrée pour elle, inquiète pour sa santé. Rosie, quant à elle, se lance dans un projet de livre, mais en profite pour tenter de trouver les réponses à de nombreuses questions qu’elle se pose sur son histoire familiale, ses liens avec son père, la vie de sa mère, la présence de Min dans cette équation…
Finalement, il se dégage de ce roman un sentiment d’apaisement, de grande sérénité, malgré les bouleversements majeurs que vont connaître ces deux femmes. Tout se passe en définitive comme si elles prenaient enfin le temps de se connaître, de se retrouver, et surtout de se voir enfin elles-mêmes, d’assumer réellement qui elles sont et ce qu’elles veulent faire de leur vie. C’est donc un roman sur l’acceptation, de soi, de son âge, des évolutions dans sa vie, un livre sur le vieillissement aussi, et une très belle peinture de l’Irlande contemporaine. Le discours est fluide, les mots empreints de poésie, l’histoire et la vie de Rosie se déroulent sous les yeux du lecteur qui contemple avec elle la maison de l’enfance de Min, la mer qui s’étale au loin… La description du décor que fait l’auteur est magnifique, à la fois brute et forte comme l’est l’Irlande, et emplie de toute la tendresse de l’auteur pour son pays, tendresse qu’elle sait admirablement transmettre au lecteur.

Pour aller plus loin : cliquez ici.

Paru aux éditions Sabine Wespieser, 2008. ISBN : 2-84805067-5
Paru aux éditions 10/18, 2010 (Domaine étranger). ISBN : 978-2-264-04994-0

mercredi 11 août 2010

Au Bon Roman, de Laurence Cossé



Ce livre est là encore un vrai coup de cœur, découvert un peu par hasard au fil des commandes d'ouvrages à l'ISSM. Je me doutais bien qu'il me plairait, je ne savais pas à quel point. Je vous laisse découvrir ma chronique sur La Nuée, où elle est publiée in extenso, mais nous reparlerons de ce roman ici même, c'est certain ! Parce qu'un tel roman ne peut pas être passé sous silence, pour qui aime la littérature...

Paru aux éditions Gallimard, 2010 (Folio). ISBN : 978-2-07-041998-2

samedi 7 août 2010

Fever, de Leslie Kaplan



Ce roman est un livre sur un crime. Mais ce n'est pas un roman policier. Il n'y a pas besoin d'enquête pour que le lecteur apprenne qui est le coupable, il le sait depuis le début. En revanche, ce qui pose question, c'est le "pourquoi", la question du mobile qui a motivé le meurtre.

J'étais très curieuse de lire ce livre, qui abordait l'histoire dans le sens inverse de celui de mes habituelles lectures. Mais lorsque je suis arrivée à la fin de la lecture de ce roman, mon impression a été très mitigée.

Ce n'est pas un roman policier. Il y a bien meurtre, mais pas d'enquête, pas de suspense, rien qui tienne le lecteur en haleine, en tout cas pas dans les deux premiers tiers de l'ouvrage. Dans le dernier tiers, un parallèle osé entre l'acte des coupables et les collaborateurs français du régime de Vichy, leur rôle dans la déportation de milliers de Juifs semble donner un début de réponse : les deux jeunes coupables sont-ils héritiers malgré eux de la culpabilité du grand-père de Damien, que l'on finit par supposer "collabo" ? La folie meurtrière est-elle héréditaire ? Malheureusement, à la fin, il n'y a toujours pas de réponse... en tout cas rien de clair, de tangible. Les hypothèses ne sont même pas suggérées : il revient totalement au lecteur de s'imaginer ce qui a pu amener ces deux jeunes gens à fomenter un tel crime. Ce livre est donc décevant pour qui s'attend à comprendre ce qui pousse un criminel à agir. Bien entendu, des indices sont disséminés tout au long du livre et le lecteur apprend à mieux connaître les différents protagonistes et les éventuelles motivations qui peuvent les habiter. Mais tout ceci laisse un goût d'inachevé. Le lecteur attend plus. Et cette impression est renforcée par la présence d'un personnage très secondaire, une jeune femme prénommée Zoé. Elle apparaît de temps en temps dans le récit et semble être l'un des protagonistes importants de l'histoire. En effet, les chapitres où elle intervient donnent au lecteur le sentiment qu'elle est "la" personne qui pourrait le représenter dans l'histoire, avec sa vision de ce qui s'est passé et sa volonté de connaître la vérité. En définitive, elle est très transparente, spectatrice du drame. Elle n'est pas le catalyseur que le lecteur attend, elle n'est finalement qu'une spectatrice parmi d’autres, à la différence près qu’elle a un prénom. La question que l'on se pose alors, c'est "que vient-elle faire dans cette histoire ?"

Au niveau de la forme et du style d'écriture, le roman heurte quelque peu : l'écriture est hachée, les phrases rapides, vives, répétitives, donnant à la fois un sentiment d'urgence et de piétinement. Le parti-pris de mêler sans repères narration et dialogues perturbe la lecture, puisqu'il faut parfois relire certains passages pour comprendre si on est dans un dialogue ou dans la tête du personnage. Ceci dit, ce style narratif "fonctionne", si l'ambition est de mettre le lecteur mal à l'aise. Et à la limite, il exprime presque mieux que les mots l'enlisement mental dans lequel se trouvent les deux jeunes criminels dont on suit l'évolution du début à la fin du livre.

Cette chronique n'est donc pas un "coup de cœur", mais un article très mitigé sur ma vision de ce roman. L'intérêt, à mon avis, réside surtout dans ce qui est écrit entre les lignes. Ce qui est suggéré plutôt que ce qui est réellement dit. Il est question en filigrane de la folie, du secret de famille, des non-dits, des apparences. Beaucoup d'indices font penser que le jeune Damien, qui est à l'origine du meurtre, devient totalement fou après son acte. Mais les apparences sont telles qu'il semble parfaitement normal. La question que l'on peut se poser après la lecture de ce roman, c'est aussi : "Qu'est-ce qui, finalement, sépare la folie de la normalité ?" "A partir de quand devient-on fou ?" Il n'y a ni remords, ni regrets, ni doute, ni compassion. Si le lecteur n'était pas dans la tête des meurtriers durant tout le roman, ceux-ci deviendraient à ses yeux des monstres. Et c’est peut-être justement l’effet recherché ? Redonner leur humanité à des monstres dont on sait pertinemment qu’ils sont aussi des êtres humains ? Oui, l'impression que laisse ce livre est étrange, car il bouleverse les codes d'écriture habituels, mais en tout cas, il ne laisse pas indifférent.

Ce livre est le cinquième volet de la série romanesque "Depuis maintenant", qui comprend également : "Miss Nobody Knows" (1996), "Les Prostituées philosophes" (1997), "Le Psychanalyste" (1999) et "Les Amants de Marie" (2002).

Paru aux éditions P.O.L., Paris, 2005. ISBN : 2-84682-053-8.

mardi 3 août 2010

Sawaba, de Ludovic Falandry




J'ai beaucoup, beaucoup aimé ce roman, malgré le sujet difficile. Il y est question d'exclusion, de mort... Mais ce roman est aussi une très belle peinture de l'Afrique rurale.
L'auteur est médecin, spécialiste de ce fléau que sont les fistules obstétricales, qui conduisent de très jeunes filles (d'environ 12 ans) à vivre recluses, dans la honte, rejetées par leur communauté, leur famille, leur mari, parce qu'elles étaient enceintes trop tôt et n'ont pas reçu les soins qu'elles auraient dû avoir au moment de l'accouchement. Cette "maladie" touche un nombre incroyable de femmes dans le monde, en particulier en Afrique et en Asie. Ces femmes sont en fait victimes des traditions, en particulier celles qui veulent que l'accouchement se fasse à domicile, et que la femme accepte la douleur sans sourciller.

Je vous conseille vivement la lecture de ce roman nécessaire, brutal, violent, mais aussi empli de poésie, et de douceur. Pour mieux comprendre ce que vivent ces femmes au quotidien, et pour que cette maladie soit enfin éradiquée. Car elle n'est pas, loin sans faut, une fatalité.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire aussi ma chronique sur La Nuée, et lire des extraits ici.

Paru aux éditions L'Harmattan, 2009 ISBN : 978-2-296-08941-9

lundi 2 août 2010

Mon père est femme de ménage, de Saphia Azzeddine

Voici un petit roman très sympathique. Paul est un garçon de 14 ans. Il est plutôt intelligent, mais souffre de son passé et surtout de sa famille. Sa mère est une loque, sa sœur une imbécile, et son père est femme de ménage. Paul a donc des difficultés à apprécier sa mère et sa sœur, à passer du temps avec elles, et il a surtout beaucoup de mal à admirer son père. Après l'école, il l’aide à faire le ménage, le soir, dans les différents endroits où il est envoyé par son employeur. Le temps et surtout leur proximité dans le travail vont permettre de changer les choses. Et Paul a une arme secrète : les mots, les livres qu’il découvre au fil des semaines, au fil des soirées à la bibliothèque où il aide son père.

Avec un style acéré, un grand dynamisme des mots et un rythme soutenu, l’auteur fait parler Paul tout au long de ce récit. Avec les mots de sa cité, il raconte ses découvertes : l’amour, les voisins musulmans, la pauvreté, les humiliations, et aussi la tendresse et l’intelligence de son père, l’espoir qui malgré tout renaît…

Ce livre m’a conquise, alors même que je m’attendais au départ à un discours plus léger, plus drôle. Il y avait des potentialités comiques qui auraient pu être plus travaillées. Mais ce qui m’a le plus gênée dans la première partie du récit, ce sont les mots, qui m’ont paru inutilement grossiers ou crus. Et puis, ce qui m’était d’abord apparu comme un défaut est devenu bien plus acceptable, dans la mesure où le récit est celui d’un jeune homme de cité, avec le langage qui va avec, tourmenté, difficile. Le ton est peut-être un peu forcé, mais la tendresse qui se dégage dans la deuxième moitié du roman lui donne une aura qu’il n’aurait sans doute pas eue sans cette opposition des tons. Un roman qui se lit vite, très vite, et laisse une impression très favorable : l’avenir n’est pas écrit, et même si la vie de Paul ne ressemble pas à celle qu’il avait rêvée, il semble qu’elle ne soit pas si noire qu’il le pensait…

Publié aux éditions Léo Scheer, 2009. ISBN : 978-2-7561-0195-8


Pour aller plus loin : l'article sur le site de l'éditeur


dimanche 1 août 2010

Les Heures souterraines, de Delphine de Vigan


Ce roman est un récit à deux voix, entièrement écrit au discours indirect. Il est composé sur une double alternance, entre la vie de Thibault et celle de Mathilde, les deux principaux personnages d’une part, et entre le passé et le présent, d’autre part. De chapitre en chapitre, le lecteur est alternativement plongé dans les pensées des deux principaux. Mathilde et Thibault ne se connaissent pas. Ils habitent la même ville, et malgré des différences importantes, vivent intérieurement la même chose. Les flash-backs permettent au lecteur de comprendre ce qui a amené les deux protagonistes là où ils en sont. En filigrane, il y a l’espoir que quelque chose va changer, ce quelque chose étant évoqué dès les premières lignes.

Une fois encore, après « No et moi », l’un des précédents romans de l’auteur, Delphine de Vigan explore un thème difficile et sombre : celui du harcèlement au travail et de l’usure professionnelle. Deux sujets encore difficilement compréhensibles au quotidien, voire niés. Aujourd’hui, dans notre société, de gros efforts sont faits pour les reconnaître et, sinon les éviter, au moins les punir (dans le cas du harcèlement), ou les guérir dans celui de l’usure professionnelle.

Le talent de Delphine de Vigan, outre celui de captiver son lecteur (moins de trois heures pour lire un livre de plus de 220 pages, ça ne m’était pas arrivé depuis un bon moment !), consiste à faire entrer le lecteur dans cet univers à la fois quotidien et noir. Mais surtout, à faire entrer brutalement la réalité dans la fiction.

La vision de la vie de Delphine de Vigan est plutôt enjouée au départ, pleine d’espoir : un changement est possible, le monde peut évoluer, les personnes, actrices de leurs vies, peuvent agir sur leur quotidien, résister aux événements douloureux, voire les changer en quelque chose de meilleur. Au fil des pages, le lecteur comprend, avec les personnages, que rien n’est aussi simple, que la vie n’est pas un roman. L’irruption brutale du réel crée la surprise, à la fin du livre, tout en donnant au lecteur la certitude qu’il ne pourrait en être autrement. N’allez pas croire pour autant que tout est noir. Il reste toujours, dans ces ouvrages, une porte de sortie. Le monde est cruel, difficile, noir, mais ses acteurs peuvent faire bouger les choses. Pas forcément aussi vite qu’ils le voudraient, et pas forcément non plus dans le sens où ils le souhaiteraient. Mais les choses peuvent changer. Personnellement, j’ai eu un peu de mal à la fin. J’avais lu « No et moi », j’avais trouvé la fin extraordinaire. Dans « Les Heures souterraines », Delphine de Vigan use des mêmes procédés, d’où une impression de déjà vu, même si les sujets et intrigues sont très différents. Un tout petit bémol donc vis-à-vis de ce roman, qui pour le reste, est très bien écrit et se lit vraiment très bien.

Ce que raconte Delphine de Vigan, ce sont en réalité des tranches de vies. Le lecteur suit les personnages pendant un temps (ici, une journée de leur vie), il en apprend un peu sur leur passé, beaucoup sur leur présent, mais rien n’est écrit pour l’avenir. Que deviendront Mathilde et Thibault ? Nul ne le sait…

Paru aux éditions JC Lattès, 2009. ISBN : 978-2-7096-3040-5