samedi 27 novembre 2010

Gonzo Lubitsch ou l'incroyable odyssée, de Nick Harkaway

Gonzo Lubitsch est un roman assez inclassable, comme promis à la lecture de la 4e de couverture. Inclassable, car il touche au roman d’aventures, aux arts martiaux, avec une bonne dose d’humour sans pour autant être une parodie, c’est aussi un roman d’anticipation sans appartenir réellement au genre dit "fantastique"… Inclassable, donc, mais surtout passionnant. L’auteur, d’ailleurs, n’en fait pas mystère, puisqu’il a "voulu, avec ce livre, [nous] dérober une journée de [notre] vie".
Il m’aura fallu plus d’une journée pour le lire. Ce roman, en effet, est dense, il fourmille de détails, qui peuvent sembler parfois saugrenus, inutiles… et ne le sont pourtant pas tant que cela. La lecture est assez facile, mais le récit, à la première personne, est parfois haché. L’auteur utilise en effet beaucoup les digressions de son personnage principal (le narrateur), pour alimenter son récit.
Au premier abord, la construction du roman semble simple : le premier chapitre pose la situation dans laquelle se trouvent les personnages. Les sept chapitres suivants permettent au lecteur de comprendre comment ils en sont arrivés là, et le neuvième chapitre résout l’énigme ou en tout cas le problème posé au premier chapitre. Le roman aurait donc pu s’arrêter là, la boucle étant bouclée. Oui, mais… non.
Il reste en gros 250 pages, soit sept chapitres où le lecteur voit l’intrigue repartir, se complexifier, et aller dans une direction tout à fait différente, tout à fait surprenante aussi.
C’est réellement dans cette deuxième partie que le monde imaginé par Nick Harkaway se révèle au lecteur, avec tout ce qu’il comporte d’horreur, de noirceur, d’inhumanité, d’inconnu, d’étrange. Cette deuxième partie voit aussi les acteurs de cette histoire devenir vraiment eux-mêmes, et la vérité, surprenante, participe en tout point à l’intérêt de l’intrigue, malgré quelques longueurs dues en particulier aux digressions du narrateur. On aurait envie de le voir comprendre plus vite ce qu’il en est, d’autant plus que c’est de plus en plus évident au cours de la lecture. Mais le nœud de l’énigme n’étant pas là où on l’attend, ces artifices participent également à perdre le lecteur et à donner davantage de densité au récit. La narration à la première personne donne au lecteur de "vivre" l’action en même temps que le narrateur, de suivre ses raisonnements, ses doutes, ses émois, ses étonnements… et ses surprises !

En définitive, j’ai beaucoup apprécié ce roman, pour son univers foisonnant, son écriture drôle même si le sujet ne l’est pas, pour le rebondissement inattendu du récit en son milieu, pour la façon dont l’auteur parvient à agencer de manière certes quelque peu tirée par les cheveux, mais bien vue malgré tout et surtout bien amenée, les différents éléments évoqués depuis le début du récit, donnant donc le sentiment que tout est logique, naturel, normal. Un roman où je me suis bien amusée, donc !

Un grand, grand merci aux éditions Robert Laffont et à Blog-o-book pour ce partenariat !

Traduit de l'anglais par Viviane Mikhalkov.
Paru aux éditions Robert Laffont, 2010. ISBN : 978-2-221-11035-5

lundi 22 novembre 2010

Microbes, de Diego Vecchio

Cet ouvrage est étrange. Il s’agit d’une série de 9 textes, présentés comme une anthologie de maux corporels, de maladies, de tares… On y voit par exemple une femme atteinte de tuberculose, deux sœurs siamoises, un écrivain fumeur, une jeune femme anorexique, un homme atteint d’hallucinations… C’est donc à première vue une série de textes sur diverses maladies.
Mais pas uniquement. Parce que tous ces textes ont un rapport plus ou moins évident avec la littérature, avec l’écriture en particulier : la tuberculeuse guérit les maladies infantiles en écrivant des contes ; le jeune homme halluciné traduit un texte d’Hippocrate sous la dictée d’outre-tombe de ce dernier ; les deux siamoises se voient devenir serveuses dans le transsibérien parce que l’une d’elles est condamnée à cause de ses pièces de théâtre… L’auteur mêle ici le réalisme des descriptions des maladies à la fantasmagorie et au fantastique des situations dans lesquelles il met ses personnages.
Et c’est bien ça qui m’a le plus dérangée dans la lecture de ces nouvelles. Chacune d’elle commence plus ou moins par une situation tout à fait crédible, historiquement située au début du 20e siècle ou à la fin du 19e. Et assez rapidement, le récit part dans une direction inattendue, un peu dingue, voire totalement fantasque. Le réalisme du début, allié à l’humour de l’auteur, pourraient faire mouche s’ils n’étaient décrédibilisés par le dénouement parfois abrupt, voire incompréhensible, de ces textes. Ce n’est pas le côté fantastique des récits qui m’a le plus posé problème, mais bien leur côté totalement absurde, ou plutôt aberrant. Rien n’est crédible, et, pire, ces procédés narratifs sabotent le début des textes, pourtant très réalistes et basés, semble-t-il, sur de véritables connaissances médicales et scientifiques.
Les critiques que j’avais lues de ce recueil étaient élogieuses, parlant de textes drôles, hilarants, même. Personnellement, si j’ai beaucoup souri lors de la lecture de la première nouvelle, cela n’a pas été le cas par la suite, sans doute parce que l’effet de surprise est absent des textes suivants, qui obéissent tous aux mêmes ressorts narratifs et « humoristiques ».
A la lecture de ce recueil, je me dis que manier, dans l’écriture, l’absurde, le fantastique, et une bonne intrigue n’est pas à la portée de tout le monde.
Une lecture à mon sens décevante, donc, que je vais tâcher de vite oublier en passant à autre chose.

Traduit de l’espagnol par Denis Amutio.
Paru aux éditions L’Arbre Vengeur, 2010 (Forêt invisible). ISBN : 978-2-916-1414-8-0

lundi 15 novembre 2010

Schizomètre, petit manuel de survie en milieu psychiatrique, de Marco Decorpeliada


Marco est un jeune homme hospitalisé en hôpital psychiatrique pendant plusieurs années. Ce livre est tout simplement la transcription de son journal, écrit durant son hospitalisation, avant sa mort. Ecrit d’abord sur un cahier à spirale, ancien livre de comptes de sa mère, puis sur l’ordinateur offert par sa jeune sœur habitant Vancouver, et enfin un dernier e-mail envoyé depuis le Mexique.
Le récit foisonne de mots, de jeux de mots, sur la folie de Marco, sur l’hôpital, son fonctionnement, les médecins, le personnel… Marco garde tout, il collectionne les paquets de cigarette vides, les canettes bues, les tickets de métro…, il établit aussi un parallèle osé entre le DSM IV (la classification des maladies mentales) et le catalogue des surgelés Picard. Le code 60.0, par exemple, signifie « Personnalité paranoïaque » dans le DSM IV, mais aussi « Pommes rissolées XL », et se met à manger en fonction du diagnostic posé.
L’ouvrage se termine par dix « fiches de survie », où Marco donne des conseils au lecteur, censés lui permettre de s’en sortir lors d’une hospitalisation en psychiatrie : lire Perec, sympathiser avec les agents d’entretien, apprendre à lire à l’envers…
Le récit est drôle, bien mené, parfois critique vis-à-vis de l'institution, et on se demande souvent qui, du médecin ou du malade, est le plus fou, le plus lucide. C'est une lecture vraiment réjouissante, enthousiasmante, même… jusqu’à ce que le lecteur, curieux de voir l’œuvre de Marco, mette le DVD qui accompagne le livre dans le lecteur… et apprenne la vérité.
En définitive, je suis assez mitigée sur ce livre : autant l’écrit est enthousiasmant, autant le DVD qui révèle la vérité casse l’impression première… dommage. Mais je suis malgré tout heureuse de savoir ce qu’il en est exactement !
Paru aux éditions Epel, 2010. ISBN : 978-2-35427-013-1

vendredi 12 novembre 2010

Personne, de Gwénaëlle Aubry

Ce roman est non conventionnel à plus d’un titre. Il s’agit d’un portrait, en vingt-six lettres, d’un homme, François-Xavier Aubry, père de l’auteur. Un abécédaire pour dire qui était cet homme, sans autre logique que celle de l’ordre des lettres de l’alphabet.

A travers le roman écrit par son père maniaco-dépressif, qu’elle découvre après sa mort, l’auteur tente de mettre de l’ordre dans le désordre. A ce titre, le choix de l’abécédaire est tout à fait pertinent en ce qu’il reflète à la fois la tentative et l’impossibilité qui’ y a à la mener à bien. La construction par « lettre » empêche toute chronologie, et donne un roman éclaté, où l’histoire est décousue, telles les pièces d’un puzzle qui ne parviennent pas à reconstituer le décor. Il est donc impossible de reconstituer l’histoire en elle-même, mais l’important semble être ailleurs.

Au niveau de l’écriture elle-même, ce roman est assez perturbant, dans la mesure où l’auteur utilise des phrases très longues, avec de nombreuses énumérations, des apartés, qui donnent parfois l’impression de fouillis et entravent la compréhension du texte. Mais là encore, ce parti-pris permet d’entrer dans la confusion des sentiments de cette femme pour son père. Elle a souffert par lui, à cause de lui, de sa maladie. Elle l’a aimé infiniment aussi. Les choix du processus d’écriture et de la construction du récit illustrent donc ici tout autant que les mots la confusion du père et les efforts que fait sa fille pour le comprendre, pour réapprendre qui il était.

C’est en définitive ce que je retiendrai de ce récit : il s’agit d’un cri d’amour d’une fille pour son père, malgré la déchéance, malgré la maladie, la souffrance et la mort. Reste la douleur et l’avenir, la reconstruction.

Paru aux éditions Mercure de France, 2009 (Bleue). ISBN : 978-2-7152-2929-7

lundi 8 novembre 2010

Le Bruit des trousseaux, de Philippe Claudel


J’avais déjà lu, du même auteur, « La Petite fille de monsieur Linh », que j’avais beaucoup, beaucoup aimé. Ici, j’ai retrouvé le style de Claudel, à la fois poétique et sensible, même si le récit est totalement différent. Parler de « récit », d’ailleurs, semble inapproprié, puisqu’il s’agit plutôt là d’une sorte de liste, de catalogue sans classement, sans ordre apparent. L’auteur témoigne ici de ses onze années en tant que professeur en prison. Onze années durant lesquelles il a dispensé ses cours aux détenus, mineurs comme majeurs. Il y parle des cours, ou plus exactement des conditions dans lesquelles il donnait ses cours, des détenus, de la prison, des gardiens, de la vie quotidienne, des mots de la prison… il la décrit de l’intérieur, avec un œil extérieur. D’ailleurs, il le dit lui-même, il s’agit ici d’un « faux témoignage » : « Il me manque quelque chose d’essentiel pour parler de la prison, c’est d’y avoir passé une nuit. » Comme si son témoignage était incomplet, qu’il n’avait pas pu, malgré onze années passées à y donner des cours, à y rencontrer les détenus et à échanger avec eux, saisir l’essence même de ce qu’est la prison, l’incarcération ; comme si son témoignage n’était pas, et ne serait jamais assez complet pour décrire la réalité de la prison.

Un beau récit malgré tout : si effectivement le lecteur ne peut percevoir à travers ces lignes qu’un pâle reflet de la vie derrière les barreaux, le texte a au moins l’immense mérite de tracer une sorte de portrait très nuancé, peut-être un peu flou mais malgré tout sans doute ressemblant de cette vie enfermée. Et en tout cas, Claudel y raconte son expérience, et uniquement celle-ci, sans prétendre à autre chose. Et ce n’est déjà pas si mal.

Paru aux éditions LGF, 2008 (Le Livre de Poche). ISBN : 978-2-253-07297-3

vendredi 5 novembre 2010

La Peur, de Stefan Sweig

J'ai commandé récemment à l'ISSM un petit livre de Stefan Sweig, "La Peur", qui est en réalité un recueil de 6 nouvelles. J'étais très curieuse de lire ces textes, n'ayant encore jamais rien lu de cet auteur. Eh ben je n'ai pas été déçue du voyage ! Car c'est à un véritable voyage dans l'espace et le temps que nous convie Sweig. Voyage dans le Paris des années 30, dans la Vienne d'avant-guerre, en Allemagne... Ces nouvelles mettent toutes en scène des personnages étranges : une inconnue qui semble tout savoir de l'héroïne de "La Peur", un pickpocket, une servante, une femme dont on ne saura jamais le nom, un bouquiniste, un collectionneur...
Le ton est à l'étonnement. Le narrateur est là en observateur, en découvreur, en dépositaire d'une histoire étrange, hors du commun, celle de ces personnages étranges, hors du commun.
Ces textes forment un tout extrêmement cohérent, où l'écriture fourmille d'images, de détails, d'odeurs, d'atmosphères variées, étonnantes, suffocantes, affolantes.
Dans "La Peur", la première et la plus longue des six nouvelles, la plus emblématique aussi, tout y est : le personnage mystérieux, l'ambiance étouffante, suffocante, les sentiments exacerbés, l'incompréhension, le mystère, le piège... la densité de l'écriture, enfin, qui donne à ce récit comme aux autres leur force brutale, à la fois tendre et terrifiante. Il se dégage de ces textes une profonde humanité, car l'auteur y décrit la vie, les sentiments, l'imaginaire, les illusions, la folie presque des gens simples qui se battent simplement pour vivre leur vie, leurs rêves.
De très beaux textes, émouvants, chaleureux même si les sujets sont douloureux, parfois sordides.
Stefan Sweig y peint tout simplement à merveille les passions humaines.

Paru aux éditions LGF, 2002 (Le Livre de Poche)(réimpression 2009, avec une autre couverture). ISBN : 978-2-253-15370-2