vendredi 29 avril 2011

Inassouvies, nos vies, de Fatou Diome



Betty est une jolie jeune femme qui vit seule et passe son temps libre à observer ses voisins de l'immeuble d'en face. Elle leur imagine des vies, leur invente des noms. Et elle finit par les rencontrer et s'attache à certains d'entre eux : Félicité et son chat au premier, un vieux couple vivant au deuxième étage de l'immeuble, une prof intello-écolo-bio, un homme divorcé, un couple aisé qui se déchire... Au fil des rencontres, des liens se tissent, des amitiés se nouent et se dénouent. Betty apprend à connaître ses voisins, elle les écoute... mais qui écoute Betty ? Qui la connaît ?

Fatou Diome dépeint ici avec son écriture atypique, poétique et envoûtante, la vie de tous les jours du quartier de Betty, qui pourrait être la vie de n'importe quel quartier de ville : la solitude, la vieillesse, la maison de retraite, la mémoire, le mariage, le couple, la famille... On suit Betty, on s'attache à elle et à ses voisins...
Il faudra une ultime rencontre, plus particulière encore que les autres, pour permettre à Betty de se mettre à vivre, de reprendre un chemin jamais terminé auparavant.
C'est ici un beau roman qui nous est donné à lire, tout en finesse et en poésie, sur le plus commun des maux dont nous souffrons dans notre société : la solitude. Mais « Inassouvies, nos vies », c'est bien plus que cela. C'est aussi une réflexion sur la vie, la mort, la volonté, le fait de grandir, d'avancer, de se faire confiance.
J'avoue avoir été à la fois séduite et un peu agacée par le style de Fatou Diome. Séduite parce que la langue est belle, imagée, juste, chantante. Agacée aussi, parce qu'au fil des rencontres de Betty, j'avais l'impression d'une sorte de catalogue des problèmes de famille ou personnels rencontrés dans une vie, avec une impression de décousu. Comme si Fatou Diome voulait parler de tout en un seul roman. C'est donc sur une impression de "trop" (trop de choses, trop touffu...) que j'ai terminé la lecture de ce roman, alors que la première partir (la rencontre avec Félicité et toute la relation qui suit) avait de quoi alimenter à elle seule tout un roman... La fin m'a d'ailleurs laissé une impression étrange, comme s'il fallait à tout prix finir et que cette fin venait trop rapidement... Dans le même temps, le personnage de Betty prend alors une autre dimension, elle devient plus humaine, plus fragile aussi, plus intéressante même si elle reste très mystérieuse.
Fatou Diome habite à Strasbourg, et retrouver certains quartiers évoqués rapidement au cours de la lecture m'a fait aussi plaisir, même si la ville en elle-même n'a que peut d'importance dans le récit. L'histoire pourrait en effet se dérouler dans n'importe quelle grande ville : il y est question, tout simplement, d'humanité.

Un livre que je recommande malgré tout, parce que je trouve que les observations de Betty sont très pertinentes, très justes aussi !

Paru aux éditions J'ai Lu, 2010. ISBN : 978-2-290-01772-2

Enquête "4e de couverture"

Je suis tombée aujourd'hui en ricochant de blog en blog (oui, ricocher, je trouve ça plus joli que surfer... on ne se refait pas !) sur In Cold Blog, qui propose depuis une quinzaine de jours un questionnaire sur la 4e de couverture des livres que nous lisons et la relation que nous avons avec elle. J'ai trouvé les questions intéressantes, pertinentes, et je vais donc laisser aux lecteurs le soin d'y répondre eux-mêmes s'ils le souhaitent (pas besoin d'avoir un blog soi-même : il suffit de remplir le questionnaire en ligne directement. A vos souris !

mardi 26 avril 2011

Une Gourmandise, de Muriel Barbery



Un grand (le plus grand, pas moins !) critique culinaire au monde va mourir demain. Il le sait, et la seule chose qu'il veut, qui lui importe encore, c'est retrouver une saveur.
Saveur d'enfance, plaisir intense et oublié : le lecteur suit sa quête, telle celle du Graal, au gré des réminiscences, des odeurs, des saveurs simples ou complexes qu'il a croisées dans sa vie. Un souvenir de vacances au Maroc lui rappelle ainsi le goût de la première bouchée de pain avant le repas ; le souvenir de sa tante Marthe le guide dans les allées du potager, lorsqu'enfant, il croquait les tomates à peine cueillies... Cet homme, agonisant dans sa chambre, est touchant lorsqu'il évoque son enfance, sa vie, ses goûts, son histoire.
Mais son agonie est observée et accompagnée par ses proches : sa femme, ses enfants, son chat, sa maîtresse... et l'on découvre là un autre homme, un être fort différent, haï de ses proches, un homme passionné exclusivement par la gastronomie au point d'ignorer ses propres enfants, déclenchant chez eux des sentiments très violents d'amertume et de rejet.

A chaque saveur, le texte renvoie le lecteur à ses propres expériences sensitives et gustatives. J'ai eu subitement envie de salade de tomates fraîches ou de façonner mon pain au lieu de laisser faire la machine à pain... Le pouvoir des mots est évocateur, et sous la plume de Muriel Barbery, il fait renaître des goûts, des saveurs, des odeurs enfouis, oubliés, parfums d'enfance et de vie.
Ce très court petit livre (165 pages) est une ode à la gourmandise, au plaisir que l'on peut éprouver en mangeant quelque chose de très simple. Mais c'est aussi une réflexion sur la manière dont nos émotions nous construisent et façonnent nos existences en fixant dans nos mémoires ces sensations éprouvées lors de ces moments particuliers. Ou comment ce que nous mangeons et les circonstances dans lesquelles nous le faisons est aussi important que ce que nous apprenons grâce à nos intelligences. La mémoire des sens est sans doute la dernière qui reste en éveil au seuil de la mort...
Un très beau texte, dans une écriture fluide, ciselée et évocatrice, qui donne envie de se (re)mettre aux fourneaux et de prendre le temps de savourer... la Vie !

Paru aux éditions Gallimard (Folio), 2008. ISBN : 978-2-07-035963-9

mercredi 13 avril 2011

Grand Amour, de Stéphane Carlier


Quand j'ai refermé ce livre, l'un des premiers mots qui m'est venu à la bouche a été « réjouissant ». Eh oui. Et « drôle » aussi. Et pourtant, je ne pensais pas aimer autant ce roman !

Agnès, traductrice de romans sentimentaux, quitte Paris sur un coup de tête. Elle vient de vivre une déception amoureuse et a décidé d'aller retrouver en Auvergne l'homme de ses rêves, un rugbyman qu'elle a vu nu dans un calendrier et sur lequel elle fantasme depuis des mois.

Ça sent le roman à l'eau de rose, mièvre, sirupeux à souhait, non ?
Eh bien... non !

Quand j'étais adolescente, j'ai lu un ou deux « Harlequin » et très vite, j'ai été vaccinée. Les romans sentimentaux, ce n'est vraiment pas mon truc. Mais ici, c'est différent. C'est drôle, incisif ; l'héroïne est maladroite, torturée, à la limite tordue, perdue aussi ; elle est convaincue d'être une catastrophe ambulante, pire, une calamité pour elle et pour les autres. Et le récit le prouve : la pauvre Agnès enchaîne les quiproquos, les bévues, et en plus elle y entraîne allègrement les autres.
J'ai dévoré ce livre en quelques jours (et je n'ai pas eu beaucoup de temps pour lire, ces derniers temps, vous pouvez me croire ! D'ailleurs, le blog était en friche depuis deux semaines... !). J'ai dévoré, j'ai ri aux éclats, je me suis amusée comme une petite folle en suivant Agnès dans son improbable périple, dans sa recherche du Grand Amour.
Tout y est : des personnages surprenants et hauts en couleurs, pas si simplistes que ça d'ailleurs, les déboires de l'héroïne, les rencontres improbables et touchantes, les chocs culturels entre sa vision parisienne du monde et la réalité brute de la campagne auvergnate dans laquelle elle débarque...

Plus encore, ce que j'ai aimé dans ce roman, c'est le second degré. La critique très présente mais jamais méchante, presque tendre, même, des romans sentimentaux, de cette passion amoureuse vécue par procuration par leurs lectrices (parce que ce sont essentiellement des femmes qui lisent ces livres, je ne pense pas révéler là quelque chose d'inédit). Et ce livre, qui plus est, entre lui-même dans cette catégorie des « romans sentimentaux », à la différence près qu'il est non seulement plutôt bien écrit, mais en plus très réjouissant...

Cette lecture aura donc été très divertissante (et j'en avais bien besoin !). Mais je crois aussi que sans me mettre à cette littérature qui m'insupporte, je ne verrai plus les lectrices de ces romans d'un même œil, dorénavant...

Un énorme merci aux éditions du Cherche-Midi et à BOB pour ce partenariat jubilatoire !

Paru aux éditions du Cherche-Midi, 2011. ISBN : 978-2-7491-1875-8

Et c'est à partir du 14 avril dans les bonnes librairies !

dimanche 10 avril 2011

Le Festin de Babette et autres contes, de Karen Blixen


Karen Blixen fait partie des auteurs cités dans « Au Bon roman », de Laurence Cossé, paru il y a presque un an, à la fin du mois d'avril 2010. Après ma lecture de ce livre, je m'étais promis de lire ces auteurs que je ne connaissais pas et qui sont considérés par l'auteur comme indispensables. A la librairie, j'ai donc acheté « Le Festin de Babette » qui, depuis, attendait que j'aie un peu de temps à lui consacrer. Les recherches sur le prochain prix littéraire de l'ISSM m'ont donné l'occasion de l'ouvrir enfin, et je ne le regrette pas. Avec « Le Festin de Babette », le lecteur entre dans bien plus qu'un conte ou une histoire.
Babette fuit la France et devient domestique chez deux sœurs, filles d'un pasteur, en Norvège. Pendant des années, elle est au service de ces deux femmes austères, sincèrement croyantes et n'hésitant pas à offrir aux pauvres ce qu'elles ont, quitte à vivre chichement pour cela. Babette les aide à gérer au mieux leur budget, améliorant de ce fait leur quotidien sans en faire un banquet quotidien toutefois.
Un jour, Babette gagne dix-mille francs or à la loterie et demande aux sœurs de la laisser préparer un dîner dans la plus grande tradition française, pour elles et leurs invités.

Il y aurait sans doute mille manières de raconter cette histoire. Mais là, on touche à l'indicible. Ce texte (et les autres contes, de longueur variable, de ce recueil) va bien au-delà du simple récit. La magie des mots crée un monde, un univers qui a presque plus d'importance ici que le récit lui-même. Les mots sont justes, précis, riches de sonorités et de sens, et c'est en lisant ce type de texte que l'on fait la part des choses entre le simple récit et la littérature.
Le recueil contient quatre autres textes, quatre contes plus ou moins longs, qui, comme « Le Festin de Babette », parlent avec chaleur et justesse de l'homme, de ses choix, de ses doutes, ses peines, ses rêves... de tout ce qui fait son humanité, sa pauvreté, mais aussi sa grandeur.
En dire plus me paraît presque indécent, tant j'ai été émerveillée devant cette écriture limpide et riche, fluide, simplement belle.
Si vous ne l'avez pas encore fait, partez vite à la découverte de Karen Blixen et du chef-d'œuvre qu'est « Le Festin de Babette » !

Traduit du danois par Alain Gnaedig et Marthe Metzger.
Paru aux éditions Gallimard (Folio), 1961, 2007 (pour la nouvelle traduction). ISBN : 978-2-07-034933-3