mercredi 29 février 2012

Rosa Candida, de Audur Ava Ólafsdóttir




Arnljótur est un jeune homme de 22 ans passionné par la terre, les plantes, les plantations, et les roses en particulier. Il vit en Islande, sur ce pays de lave où rien n'est sensé pousser... Et pourtant, sa mère a réussi à cultiver la terre, ce tout petit lopin assez bien exposer pour permettre à quelques plantes de pousser. Et elle a tout transmis à son fils. Au moment où débute l'histoire, Arnljótur est sur le départ. Il a décidé de partir vers le Sud, vers un pays où se trouve un monastère, jadis connu pour sa magnifique roseraie, renfermant toutes les variétés connues au monde, ou presque. Arnljótur arrive, après un long et mouvementé périple, et il apporte avec lui une variété de rose à huit pétales soudés à leur base, inconnue des moines qui vivent au monastère.
Il vient, comme chacun, avec un bagage, son histoire, sa famille en particulier : son père, son frère jumeau autiste, mais aussi et surtout sa petite fille de 9 mois qu'il ne connaît pas, fruit d'une nuit d'amour avec Anna, une amie d'un de ses amis...

Ce livre m'a bouleversée. Et enchantée. J'ai été submergée par la tendresse et la poésie qui s'en dégagent. Ici, il n'y a pas d'intrigue. Pas de "bons" ni de "méchants"... Juste un jeune homme face à une des étapes qui jalonnent sa vie, une sorte de retraite qui lui permet de faire le point, sans le vouloir, sans le chercher, et de trouver l'essentiel.
Je n'ai pas envie d'en dire beaucoup plus, pour ne pas abimer le récit. Parce que c'est un roman qui se lit, se déguste, s'apprécie telle une petite tranche de vie sans plus de prétention que ce qu'elle est... Les personnages rencontrés sont beaux, attachants, intrigants et bienveillants : Frère Thomas qui répond aux questions existentielles d'Arnljótur à l'aide de films de sa cinémathèque, Anna, étudiante en génétique, touchante dans son rôle de mère volontaire, mais aussi un peu perdue, le boucher et la restauratrice, qui donnent au jeune homme des leçons de cuisine, son père perdu depuis la mort de sa femme, qui lègue à son fils son carnet de recettes parce que lui-même n'y comprend rien... jusqu'au silencieux frère autiste, pour lequel on ressent la tendresse infinie de ce frère parti au bout du monde... sans compter tous ceux qu'Arnljótur va croiser au cours de son périple avant d'arriver à la roseraie.
Ce roman est bouleversant parce qu'il ne s'y passe pas grand-chose d'autre que la simple vie quotidienne. On y voit la tendresse d'un père pour ses enfants, d'un autre pour sa fille qu'il découvre, et le tout écrit avec beaucoup de simplicité et de poésie.

Paru aux éditions Zulma, 2010. ISBN : 978-2-84304-521-9.
Egalement paru aux éditions Points, 2012. ISBN : 978-2-7578-2259-3.

mardi 21 février 2012

Concours DVD chez Leiloona

Oyez, oyez, bonnes gens !

Leiloona organise un jeu concours autour du film "La couleur des sentiments".
Vous avez jusqu'au 4 mars pour participer, ici même.

Bonne chance à tous,

Amélie

samedi 18 février 2012

A vos caddies ! de Patrick Ledent




J'ai reçu ce recueil de nouvelles déjantées à la fin du mois de novembre 2011, pour un partenariat avec Les Agents Littéraires et les éditions Calliopées, que je remercie beaucoup pour l'envoi. J'ai été assez surprise par les textes, non pas parce que ça ne correspondait pas à ce que j'attendais, mais à cause de la qualité de l'écriture et de l'inventivité, de la variété des textes. En gros, je m'attendais à des nouvelles sans doute assez drôles sur le quotidien, mais c'est tout autre chose, et bien plus encore, qu'il nous est donné de lire là.

Tout d'abord, le style. J'ai été très surprise (et j'aime bien les surprises, surtout quand, comme ici, elles sont bonnes) : à plusieurs reprises, les textes sont conçus non pas comme des histoires que l'auteur raconte à un lecteur lambda, mais comme un monologue du personnage principal du texte s'adressant au lecteur, mais pas un lecteur parmi d'autres, non. A moi. Moi, personnellement. C'est tout bête, mais c'est la première fois que je vois ça. Cela donne un côté intimiste, "confidences pour confidences", que j'ai beaucoup apprécié, plus dans l'une des nouvelles que dans le premier et le dernier texte, je dirais.
Au niveau de l'écriture, l'auteur est érudit, il manie les mots avec beaucoup d'adresse et d'humour, dans une langue qui "sonne" très juste, me semble-t-il. Le résultat, ce sont des textes très divers dans l'intrigue et le style, mais toujours très bien écrits. Et ça, c'est quand même formidable, parce qu'en plus, il y a un côté jubilatoire dans cette écriture qui se ressent à la lecture... je ne sais pas trop comment l'exprimer, mais en gros, c'est ce que j'ai ressenti : une sorte de jubilation de l'auteur à partager avec son lecteur son univers.

Du point de vue des histoires, maintenant, il s'agit là d'un recueil de 20 nouvelles précédées et suivies de deux textes que je n'ai pas vraiment compris, encadrant les récits. C'est d'ailleurs le seul reproche que je fais à cet ouvrage. Ces deux textes, on dirait un peu une introduction et une conclusion, ou le bouclage d'une boucle, selon le point de vue, mais je n'ai pas bien compris le rapport qu'ils avaient avec les autres textes. C'est d'ailleurs marrant : sitôt arrivée à la fin, j'ai repris le recueil du début, parce que le dernier texte m'avait laissé une impression de "déjà lu mais pas comme ça"... assez étrange. J'ai donc voulu comprendre pourquoi, et en relisant le premier texte, je n'ai pas mieux compris. D'où ma petite réserve.
Les nouvelles, qui forment le corps de l'ouvrages, sont très diverses : policier, fantastique, humoristique, loufoque... tout y passe, ou presque. Les personnages et leurs histoires sont hauts en couleurs, étonnants, un peu (beaucoup pour certains) frappadingues... exactement ce que j'aime. Être surprise par l'histoire, le personnage, tellement absurde ou délirant que sa réaction ne sera jamais celle que je suppose ou que j'attends parce qu'elle serait logique ou naturelle. Ici, rien de tout cela : le lecteur est emporté dans le délire de l'écrivain et part à la rencontre de personnages tous plus étonnants les uns que les autres : l'ivrogne passionné par le poinçon du bar, le meurtrier à la recherche de la parfaite lumière du crépuscule sur la Côte d'Opale, le vampire conscient du mal qu'il fait, la fleur qui cherche à conquérir le monde, le mari très conciliant avec l'amant de sa femme... oui, les personnages sont vraiment intéressants. Mention particulière, d'ailleurs, au tueur submergé par le doute, qui est vraiment un personnage étonnant ! Mais plus que cela, dans tous les textes, l'auteur pose des questions intéressantes et le lecteur est forcément interpellé. A son tour, il se pose ces questions sur le sens du quotidien, de ce qui paraît tellement naturel et normal à tout un chacun, et qui participe d'après l'auteur à l'aliénation des masses... Je ne saurais dire lequel de ces textes m'a le plus touchée, beaucoup d'entre eux étant marquants par la peinture de la misère humaine qu'ils font, sans pour autant tomber dans le larmoyant ou le pathos. Les histoires sont brutales pour certaines, incisives, parfois violentes, mais on sent comme un regard tendre de la part de l'auteur sur ses personnages, pauvres hères en perdition dans le tumulte de leur vie, qui rend même le pire des provocateurs touchant et sympathique...

Un grand, grand merci, donc, aux éditions Calliopées et aux Agents littéraires pour cette découverte !

Paru aux éditions Calliopées, 2011. ISBN : 978-2-916608-35-8

vendredi 17 février 2012

Féroces infirmes retour des pays chauds, de Tom Robbins

J'ai reçu ce livre dans le cadre d'un partenariat avec Newsbook et l'éditeur Gallmeister. J'aurais dû publier ce billet le 13, mais voilà, j'ai quelques jours de retard, pour des raisons tout à fait personnelles (grosse surcharge la semaine dernière, tant au travail qu'à la maison), et une autre liée au livre lui-même, vous comprendrez en lisant la suite. Toutes mes excuses, donc, à l'éditeur et à Newsbook.


Alors, ce livre ?
Un mot me vient à son évocation : paradoxe.
Ce roman est un vrai paradoxe à lui tout seul. Il s'agit d'un roman d'aventures, mais le rythme de l'histoire est lent. Le style est rapide, incisif, mais j'ai trouvé le récit quelque peu poussif. Il est plein de bonnes choses, mais avec des détails qui ne m'ont pas beaucoup plu. L'intrigue de départ est sympa et prometteuse, mais ce n'est pas elle qui est la plus intéressante. Même la fin ne clôt pas l'histoire comme on s'y attend, laissant un goût d'étrangeté. En fait, j'ai vraiment l'impression d'être passée à côté de l'intrigue principale tout au long de ma lecture, comme si je n'avais rien compris du tout... Bref, vous l'aurez compris, mon bilan sur cette lecture est très mitigé, sans que je puisse dire s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise surprise. Étonnant, non ?
Pourtant, l'histoire est potentiellement passionnante en soi. Switters, le héros, agent peu conventionnel de la CIA, est envoyé en mission en Amazonie. Il profite de son voyage pour faire une course pour Maestra, sa grand-mère, qui lui a demandé de libérer son perroquet âgé et bavard dans la jungle. Mais tout ne se passe pas comme prévu : Switters se retrouve marqué par une malédiction, un sort jeté par un chaman à tête en forme de pyramide. Comment va-t-il faire pour vivre malgré cette malédiction (il risque quand même la mort !), et pour s'en débarrasser (parce qu'il est dans la force de l'âge, et qu'il a un tel tempérament qu'on ne le voit pas cloué à vie dans un fauteuil roulant...) ?
La trame est donc relativement simple, et les péripéties sont en revanche, elles, particulièrement nombreuses, au point de faire oublier au lecteur le but de Switters.
La première partie installe l'intrigue : il s'agit du voyage de Switters en Amazonie. La seconde partie le voit à son retour à Seattle, transformé par la malédiction dont il est l'objet. Dans la troisième partie, il repart, mais pas du tout dans la bonne direction par rapport au problème qui l'occupe... il se retrouve en Syrie, dans un couvent d'ex-bonnes sœurs excommuniées parce qu'elles demandent au Pape de revoir sa position au regard de la contraception. On peut discuter du bien-fondé de cette règle de l'Église, la question n'est pas là du tout : le lecteur suit Switters dans ses pérégrinations et ses errements, et c'est plutôt drôle.
Le récit est inattendu, foisonnant, bourré de choses totalement incroyables, voire complètement absurdes : une course de bateaux dans le caniveau du marché, un tableau de Matisse, une discussion surréaliste avec des fondamentalistes islamistes... Les personnages sont aussi hauts en couleurs : Switters, qui n'aime que les jeunes filles mais tombe sous le charme d'une religieuse plus âgée que lui ou presque ; sa grand-mère, hackeuse confirmée ; son ami Bobby Case et ses conseils de bon sens que Switters ne suit jamais ; sa demi-sœur Susy, pour qui il éprouve des penchants coupables, parce qu'elle est bien trop jeune pour lui, mais c'est elle qui le titille ; les indiens d'Amazonie, Belle-Masquée, l'abbesse du couvent ; Domino et les autres sœurs toutes aussi déjantées les unes que les autres... tous ces personnages sont intéressants, loufoques, particulièrement bien croqués, et tout à fait attachants. Il est aussi question de Marie (la mère de Dieu), du Vatican, de bédouins, d'échasses, du T.O.P. Club, de Finnegans Wake et de blues afro-américain. Un beau cocktail, qui ne pouvait que m'intéresser !
Ce qui m'a le plus surprise dans ma lecture, c'est le temps. Étonnamment, le temps semble comme suspendu. Il y a quand même, semble-t-il, une urgence. Urgence pour le héros à retourner en Amazonie pour tenter au moins de faire lever la malédiction. Mais au lieu de cela, il va remplir une mission au Moyen-Orient et part faire du tourisme en Syrie juste parce qu'il a entendu des rires de jeunes filles dans le désert. Tout cela, bien sûr, en fauteuil roulant. Il y a là quelque chose de totalement absurde, de déjanté, de surréaliste aussi.
En résumé, j'ai eu un a priori très favorable à propos de ce livre, parce que j'ai une prédilection pour l'absurde. De ce point de vue, je ne suis pas du tout déçue. En revanche, je trouve que cette question du temps finit par desservir l'intrigue elle-même : ce n'est pas seulement le temps dans le récit, c'est aussi le temps de la lecture, le temps du récit. La seconde partie, en particulier, est très longue alors que l'histoire n'avance quasiment pas. Ceci dit, je dois avouer que c'est quand même un tour de force, d'écrire plus de 100 pages alors qu'il ne se passe rien, ou presque, si ce n'est l'attente.

Un bilan mitigé donc, parce que la seconde partie est plutôt lente, la troisième semble totalement hors de l'histoire, et du coup, la dernière est quasiment trop courte... et assez déséquilibrée par rapport au reste de l'histoire. En fait, les intrigues secondaires, résolues plus rapidement, sont presque plus intéressantes que l'intrigue principale ! En tout cas, la surprise est au rendez-vous à chaque page. L'auteur a ce don d'emmener le lecteur là où il ne s'attend pas du tout à aller, redonnant de l'intérêt à son histoire (parce que, quand même, même si par certains côtés, Switters est un odieux personnage, il est aussi foncièrement attachant et on veut savoir ce qu'il advient de lui et de sa malédiction !) Petit avertissement quand même : pour ceux qui seraient à la recherche d'un roman d'aventures réaliste, vous passerez votre chemin : ce n'est pas là que vous le trouverez, vous l'aurez compris.

(C'est marrant, en relisant ce que je viens d'écrire, je me rends compte que je n'arrive pas à me décider : ai-je ou non aimé ce livre ? C'est l'une des premières fois que je ressens ça : avoir hâte de le finir, mais n'avoir pas envie d'arriver à la fin parce que pas envie de quitter ce personnage fascinant... Étonnant et paradoxal, vous disais-je...)

Un très grand merci à Newsbook et aux éditions Gallmeister pour cet étrange partenariat, qui, au moins, aura recelé pas mal de surprises, jusqu'à la fin !



Paru aux éditions Gallmeister, 2012 (Totem). ISBN : 978-2-35178-515-7.