jeudi 28 octobre 2010

Pas ce soir, je dîne chez mon père, de Marion Ruggieri


Voilà une lecture légère et réjouissante. Marion a trente ans, son père en a cinquante-cinq, mais il se comporte avec sa fille comme si elle était au moins aussi âgée que lui, ou plutôt comme s’il était aussi jeune qu’elle. Et elle, du coup, a l’impression d’être beaucoup, beaucoup plus âgée qu’elle ne l’est en réalité. Ce court roman raconte les déboires amoureux de cette jeune femme qui cherche sa place entre sa mère absente et infidèle et son père coureur de jupons de plus en plus jeunes.

Je me suis beaucoup amusée à la lecture de ce roman. Non pas qu’il soit comique, mais plutôt que l’humour incisif de l’auteur jaillit au détour d’une phrase, donnant un tour surréaliste à la scène décrite. Un roman sur les relations entre un père et sa fille, sur le fait de grandir, de devenir adulte, sur la crainte de ne plus être aimée par celui qu’elle aime et admire le plus, malgré elle d’ailleurs. L’écriture est volontiers provocatrice, et j’ai parfois eu l’impression de lire les propos d’une adolescente attardée plutôt que d’une trentenaire, par le ton, les mots employés. A aucun moment je ne me suis ennuyée, et si la construction du roman, avec des allers-retours dans le passé de plus en plus fréquents, n’est pas toujours simple à suivre, on s'y retrouve toujours très bien, tant cette histoire pourrait être celle de beaucoup. L’auteur joue volontiers aussi sur la confusion des personnes : à la fin, on ne sait plus vraiment de qui elle parle : de son ami « officiel » ? de son père ? de son amant ? Mais c’est pour mieux faire entendre au lecteur le propos sous-jacent de ce livre, qui parle avant tout de l’immaturité de certains adultes, de la confusion des rôles dans notre société, voire de leur inversion parfois : les enfants doivent rester à leur place d’enfant, encore faut-il que les parents ne les mettent pas à une autre place que celle où ils doivent être… Un roman autobiographique à la fois tendre, drôle et cruel, sur cette obsession du jeunisme qui concerne finalement bien du monde dans nos sociétés actuelles.

Paru aux éditions LGF, 2009 (Le Livre de poche). ISBN : 978-2-253-12665-2

Paru aux éditions Grasset, 2008. ISBN : 978-2-246-70831-5

lundi 25 octobre 2010

Concerto à la mémoire d'un ange, d'Eric-Emmanuel Schmitt


Ce livre m’a été prêté par ma collègue, et j’ai eu beaucoup de mal à l’ouvrir. Je n’avais tout simplement pas envie de le lire. J’avais déjà lu, de cet auteur, «Oscar et la dame rose», et «L’Evangile selon Pilate», deux romans qui m’avaient bouleversée. J’aurais dû être plus enthousiaste quant à la lecture de ce recueil de nouvelles, mais c’était sans compter le temps qui passe et les a priori qu’on peut avoir sur un auteur ou un autre. J’aimais bien le style d’Eric-Emmanuel Schmitt, et j’étais légèrement déçue de voir le personnage qu’il semblait être devenu, le succès aidant. Du coup, je n’avais plus grande envie de lire ses écrits, parce que le personnage de l’auteur m’énervait un peu. L’auteur m’énerve toujours, mais il arrive un moment où on doit dépasser ses humeurs et regarder l’œuvre.
Globalement, j’ai bien aimé ces nouvelles. Les histoires sont prenantes, les personnages décrits sobrement mais très fortement (oui, l’économie de mots, indispensable dans les nouvelles, n’empêche pas le détail, si tant est que les mots sont bien choisis pour le faire), les intrigues bien menées. Pour le coup, les nouvelles m’ont donc plu, mais il y manque un petit quelque chose. Malgré leurs indéniables qualités, elles ne resteront pas forcément dans ma mémoire comme de grands moments de lecture. Juste des moments agréables, mais qui ne me marqueront pas durablement. C’est dommage, parce que les thèmes abordés sont passionnants et prometteurs. Il y est question, de bout en bout, de l’évolution d’une personne. Que ce soit dans la première nouvelle ou dans les autres, il est toujours question d’une personne qui a le choix, qui peut faire le bien ou le mal ou se repentir et assumer ses erreurs («L’empoisonneuse», «Concerto à la mémoire d’un ange»), qui change avec le temps et l’expérience («Le Retour»), qui peut trouver le bonheur, pour peu qu’elle accepte de faire confiance («Un amour à l’Elysée»). L’auteur décrit l’évolution d’une ou de plusieurs personnes, en fonction des actes posés, des peurs, des questionnements, des aléas de la vie. Seulement ces nouvelles laissent peu de place à l’espérance et à la vie, justement: leur conclusion est toujours noire, même si la dernière, malgré le dénouement tragique, est légèrement différente.
En définitive, ce qui m’a le plus parlé, c’est le journal d’écriture qui se trouve à la fin de l’ouvrage, après les nouvelles. L’auteur y parle de son rapport à l’écriture et à ses personnages, de la naissance des nouvelles, du contexte dans lequel elles ont été écrites… et c’est finalement cet aspect du livre qui m’a le plus touchée. J’y ai retrouvé certains de mes doutes et de mes soucis quant à l’écriture. Ca ne règle pas les problèmes mais permet de comprendre qu’ils sont une phase normale dans le processus de l’écriture.

Paru aux éditions Albin Michel, 2010. ISBN : 978-2-226-19591-3

dimanche 24 octobre 2010

Un Père pour mes rêves, d'Alan Duff


Dans le cadre de mon travail, je suis amenée à lire un certain nombre d’ouvrages que je n’aurais sans doute pas découvert autrement, tant ils sont aux antipodes de mes lectures habituelles. Celui-ci fait partie de ces découvertes, et c’en est une très heureuse.
Alan Duff est un auteur néo-zélandais qui vit en France une partie de l’année. Ce roman fait la part belle à son pays d’origine.
Henry, guerrier Maori, revient en Nouvelle-Zélande à la fin de la Seconde guerre mondiale. Il y retrouve Lena, sa femme, et leur fille Mata, ainsi qu’un petit garçon dont il ne peut être le père, Mark, que tous au village de Waiwera surnomment « Yank ». Yank, pour Yankee, car Mark est le fruit de l’amour entre Lena et un soldat américain, qui a passé quelques semaines en Nouvelle-Zélande au cours du conflit mondial.
Ce roman est une histoire de famille, de père, de fils, de recherche d’identité : Yank doit vivre avec son père adoptif qui le rejette de tout son être, il doit faire face aux humiliations, à l’injustice, à la différence de traitement entre ses demi-sœurs et frère et lui. Mark grandit en idéalisant son père biologique, son héros. Un jour, sa mère lui révèle son identité. Devenu adulte et musicien professionnel, Mark commence un voyage initiatique aux Etats-Unis, dans le Mississipi des années 1960, où être né Noir est un crime puni des pires façons par les « bons » Blancs du Ku-Klux-Klan.
Alan Duff signe là un roman puissant, violent, subversif, sans concessions, où la musique a la part belle et où les hommes se battent pour leurs libertés et leurs droits. On y entend les cris des damnés, des souffrants, des hommes punis pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils ont fait. Un roman d’une profonde humanité.
Traduit de l’Anglais par Pierre Furlan.
Paru aux éditions Actes Sud, 2010. ISBN : 978-2-7427-8931-3