lundi 30 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 15 : Le Canon de Kra, de Roger Leloup




Quand j’étais adolescente, j’allais parfois, en bus, au supermarché (ou bien je profitais d’un jour où ma mère faisait les courses pour m’incruster dans la voiture), avec mon argent de poche, et je passais un temps infini devant le rayon livres, à rêver devant toutes ces bandes dessinées que je ne pourrais jamais m’offrir, tout en me demandant si l’argent dont je disposais là, tout de suite, serait suffisant pour une ou deux bd…
Ce quinzième album des aventures de Yoko fait partie de ceux que j’ai pu acquérir de cette manière et il en a longtemps gardé le goût de l’aventure et du labeur indispensable pour réunir la somme nécessaire à son acquisition. En l’ouvrant aujourd’hui pour cette chronique, c’est un peu du soleil de mon adolescence qui refait surface, et ça fait chaud au cœur !

Cette quinzième histoire commence dans les Alpes Suisses, ou plutôt au-dessus. Yoko, que l’on savait déjà pilote de planeur (dans « Message pour l’Éternité ») et d’hélicoptère (dans « Le Feu de Wotan ») est aux commandes du Colibri, un petit avion à réaction pour lequel elle effectue des tests et le rodage en vue de sa livraison au client qui l’a commandé. C’est avec regret qu’elle s’apprête à se séparer de ce petit « bijou », quand elle a la surprise de découvrir, atterrissant avec Vic et Pol, le Colonel Tagashi, avec qui elle avait travaillé au Japon (dans « La Fille du Vent »). Un autre « invité » arrive sur le tarmac où Yoko s’est posée : Peter Hertzel, dont le Trio a fait la connaissance dans « Le Feu de Wotan », qui se trouve être le véritable responsable du programme « Colibri-Kawasaki » pour lesquels Yoko, Vic et Pol travaillent en Suisse depuis deux mois.
Les deux hommes expliquent au Trio leur mission : Un trafiquant d’armes japonais se fait livrer au Kampong des obus du diamètre d’un canon à longue portée dont la trace a été perdue en 1943, entre le Japon et l’Isthme de Kra. La mission du Trio consiste à retrouver ce canon, à l’aide du Kawasaki (l’avion que Vic et Pol ont appris à manœuvrer en Suisse) et du Colibri, qui devient propriété de Yoko.
On retrouve la jeune femme au Kampong, où elle est chargée de prendre des renseignements sur le trafiquant japonais. Elle découvrira vite que ce dernier est loin d’être dupe de ses intentions et devra la vie sauve aux réflexes du Capitaine Onago, chargé de la réceptionner à son arrivée au Kampong.

L’affaire s’avère plus complexe que prévu et c’est finalement entre deux clans opposés que Yoko, Vic et Pol se retrouvent. Il faudra tout le courage et la ténacité de Yoko et de ses amis pour aller au bout de leur mission et, enfin, retrouver le canon et le mettre hors d’état de nuire…

Cet album est extraordinaire au niveau du dessin en particulier. Les traits des personnages sont simplement splendides, sans doute parmi les plus réussis de la série. On sent que dans tous ces albums (depuis « Les Trois Soleils de Vinéa »), Roger Leloup a vraiment gagné progressivement en maîtrise, en assurance et en finesse dans les traits et dans la construction de l’intrigue. De plus, une part non négligeable de l’intrigue m’a toujours beaucoup plu par son côté un peu déjanté (notamment toute la partie avec les insurgés présents sur l’île, qui n’ont qu’une idée en tête : détruire les dépôts de munitions du trafiquant japonais Sakamoto et obtenir enfin leur liberté). C’est que ni Yoko, ni les insurgés n’ont froid aux yeux et ils sont prêts à aller jusqu’au bout pour libérer ce petit bout de terre des méfaits de Sakamoto, qui rêve de prendre le pouvoir dans toute la région, sous la menace, rien que ça, d’une explosion nucléaire !

On est là dans une bonne bande dessinée d’aventure, réjouissante, bien écrite, belle à regarder… Le bonheur, quoi !

Paru aux éditions Dupuis, 1985. - ISBN : 2-8001-1092-9

dimanche 29 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 14 : Le Feu de Wotan, de Roger Leloup




Cette quatorzième aventure s'ouvre dans le magnifique écrin du Château d'Eltz, en Allemagne, près de Coblence, où Yoko a été appelée par Ingrid pour consultation. En effet, Ingrid travaille au château pour y expertiser une collection d'instruments de musique retrouvés dans le grenier du château. Elle y a trouvé un objet dont elle n'a pu définir la fonction ni l'usage. Or il appartient à la collection en question, puisque le nom du propriétaire, Hans Richter, y est gravé. Seulement cet objet n'a rien à voir avec la musique : il s'agit d'une pièce métallique en deux morceaux articulés qui, refermés l'un sur l'autre, produit un éclair. Yoko examine l'objet : il aurait la propriété d'emmagasiner l'énergie statique, puis de la restituer sous la forme d'un éclair. Et son propriétaire était, certes, un musicien, mais également un physicien qui aurait travaillé, dans les années trente, sur un « rayon de la mort ».

Yoko se lance dans les recherches et celles-ci sont très vite perturbées par Franz Thaler, étudiant en architecture, qui dérobe l’objet le soir de l’arrivée de Yoko et trouve la mort dans un accident de voiture, sous l’orage : la foudre lui est tombée dessus… ne lui laissant aucune chance de survie.
Durant la nuit, Yoko est contactée par un homme qui lui donne rendez-vous afin qu’elle lui restitue l’objet en question. Elle quitte donc avec Ingrid le château et les deux jeunes femmes se dirigent vers Wuppertal où de nouvelles instructions attendent Yoko. Elle rencontre son contact dans le métro suspendu mais se fait dérober l’objet.
L’enquête se poursuit, qui va permettre à Yoko de rencontrer Peter Hertzel, un maître de l’informatique qui met toutes ses ressources à la disposition des jeunes femmes – ainsi que de Vic et Pol, appelés à la rescousse – pour déjouer le plan de Franz Thaler et de ses complices. Le Trio, accompagné d’Ingrid et du Professeur, se rend donc dans un lieu perdu où Hans Richter a fait ses premières expériences, afin de s’armer pour contrer les complices de Franz Thaler, qui ont décidé de mettre leur plan à exécution. L’aventure se termine en Bretagne, avec, bien sûr, la mise en échec du plan et la destruction de cette arme diabolique que Yoko et ses amis ne veulent surtout pas voir tomber entre des mains crapuleuses…

Cet album fait partie de la série des aventures allemandes avec Ingrid, mais aussi de celles où Yoko va devoir lutter contre la technologie utilisée à des fins malhonnêtes et criminelles. Cela ne va, bien sûr, pas se passer sans heurts, mais ce qu’il y a de bien avec Yoko, c’est que le Bien triomphe. Cela paraît un peu « Bisounours », dit comme ça, mais cela me paraît essentiel dans une bande dessinée pour enfants, de montrer aux jeunes que le Bien, s’il paraît risqué, ou peu avantageux pour ceux qui veulent tendre vers lui, est en fait un moteur bien plus puissant que le Mal qui, lui, ne peut aboutir qu’à la catastrophe, le mal engendrant le mal. Il s’agit là d’un combat, quasi-religieux je pense, qui se joue : un cycle vertueux s’enclenche quand on décide de faire le bien, de la même manière qu’un cercle vicieux débute quand on décide sciemment de faire le mal.

Si cet album fait aussi partie de mes préférés (j’ai une grande tendresse, je vous l’ai dit, pour les albums 6 à 15), c’est aussi parce qu’on y découvre une Yoko plus fragile qu’à l’ordinaire, dans les dernières pages, et que sa relation avec Vic évolue (tout en restant parfaitement fraternelle). Elle n’est plus le « roc » des premiers albums, toujours prête à foncer tête baisser vers une cause qu’elle pense juste et pourtant sans doute perdue d’avance, elle se révèle capable de « flancher » et d’avoir besoin du support, de la présence bienveillante et rassurante de ses amis (et en particulier de Vic, qui prend là une sorte de place paternelle, à la fois dans le soutien et l’affection indéfectible. J’ai l’impression, avec cet album, que Yoko entre dans l’âge de la maturité, même si, on va le voir dans l’album suivant, elle doute elle-même d’y parvenir… En tout cas, cet album est encore dynamique, riche en action et en événements, et toujours très beau, bien sûr...

Paru aux éditions Dupuis, 1984. ISBN : 2-8001-1029-5

samedi 28 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 13 : Les Archanges de Vinéa, de Roger Leloup




J'ai une tendresse toute particulière pour cet album. Il faut dire que c'est le premier que j'ai lu, lors de ma première visite en solo à la bibliothèque municipale de la ville où j'habitais alors et où j'allais en attendant mon cours de violon, le mercredi. J'y restais seule pendant un peu moins d'une heure, puis je rejoignais l'école de musique située à deux pas.
Je devais avoir environ huit ans et l'album venait sûrement de sortir, puisque c'est le premier sur lequel je suis « tombée » au rayon bd pour enfants. J’ai été intriguée par la couverture, qui représente des personnages en combinaison spatiale, évoluant, semblait-il à mes yeux d’enfant, sous l’eau, avec en toile de fond une ville en ruines, croyais-je à l’époque, et des robots dans le lointain.
Mais surtout, il y avait une petite fille, sur cette fameuse couverture. Une jolie petite fille un peu plus jeune que moi à l’époque, blonde aux cheveux longs… c’est-à-dire l’inverse de moi qui étais brune aux cheveux courts et rêvais d’avoir de longs cheveux blonds.
Bref. La couverture m’a attirée et j’ai dévoré cette bande dessinée… sans rien comprendre à l’intrigue, sinon qu’elle était formidable ! Eh oui !
De cette première lecture est né mon amour pour la bande dessinée et pour la science-fiction aussi. Rien que ça ! J’aimais déjà beaucoup lire, mais il me semble qu’à partir de ce moment-là, ma boulimie dans ce domaine ne s’est plus vraiment arrêtée… Mais passons.

Retour, dans ce treizième album, sur la planète Vinéa. Khany et Yoko survolent des îles dans la zone tempérée de la planète dans deux aéronefs dont l’un, piloté par Yoko, abrite aussi la petite Poky, la jeune sœur de Khany. Khany les conduit sur une île où elle a repéré un enfant en léthargie, dans un cocon magnétique en état de marche mais dont le métal est abîmé par l’eau dans laquelle il a longtemps séjourné. Il y a là, pour Khany, quelque chose qui ne cadre pas avec ce qu’elle sait de l’histoire de sa planète et qu’elle veut comprendre, d’autant plus que la femme qui surveille cet enfant lui a parlé d’un dieu « qui appelle des victimes » et qui, semble-t-il, ne les rend jamais. Khany décide d’aller voir, confiant Poky à la garde de Yoko. Mais très vite, Yoko perd le signal de son amie et décide d’aller lui porter secours, emmenant malgré elle la petite fille qui l’a suivie.

Yoko, accompagnée de Poky, découvre alors que le « dieu » dont parlait la vieille femme n’est autre qu’une machinerie faite de main d’homme, mais se retrouve bientôt coincée dessus, face à un homme qui semble savoir ce qu’est devenue Khany et lui propose de le suivre pour la retrouver. Mais ils sont interrompus par d’autres hommes, venus de la mer et Yoko n’a d’autre choix que de les suivre : la machinerie s’enfonce dans l’eau, les condamnant à une mort certaine. Tous se retrouvent sous l’eau et Yoko y découvre une cité sous-marine en ruines qui sert d’abri à ces hommes vivant sous l’eau. Peu après, la jeune Terrienne découvre que c’est en réalité tout un peuple qui vit là, dans les vestiges de la cité, et que son compagnon, dont elle ignore le nom, est un Archange. Il fait partie d’un groupe de vingt, dont la vie est liée à celle de la cité. Leur but est de soutirer à la reine les enfants en léthargie, comme celui trouvé par Khany au début du récit, afin de les faire grandir en sagesse et en intelligence et d’éviter qu’ils n’aillent grossir les rangs des mercenaires royaux que la reine utilise pour assouvir sa vengeance contre les autres cités.
Dans cette histoire, Yoko va de surprise en surprise. La découverte de la cité sous-marine, de l’existence des Archanges et de la reine, de l’armée de robots et du conflit qui oppose tout ce monde dans les fonds marins de la planète, tout cela sans que les Vinéens de la surface en aient connaissance...

L’histoire de la planète est bien plus complexe que ce que Khany en révélait dans le premier volume de la série. C’est qu’il s’en est passé, des choses, durant l’exil forcé d’une partie des Vinéens sous Terre ! Et puis, cet exil a concerné onze vaisseaux, soit autant d’histoires possibles… Mais là, il ne s’agit même pas des exilés, mais de ceux qui ont survécu au cataclysme qui avait provoqué le départ de Khany et de sa sœur vers la Terre. Autant dire que les deux amies de Yoko ont raté pas mal d’épisodes de l’histoire de leur planète !
L’occasion nous est donnée, ici, de mieux connaître cette histoire et, pour Yoko, de combattre l’injustice et le despotisme de la reine Hégora. Elle est belle, mais violente et cruelle et Yoko va se retrouver à lutter contre elle… alors que le combat est dès le départ très inégal.
Je ne dévoilerai pas tout sur la nature des personnages, mais là encore, la cohérence du récit et son réalisme sont surprenants. Roger Leloup a décidément un véritable don pour créer des univers impressionnants de logique et de cohérence, avec une inventivité et une efficacité formidables. Il laisse, de plus, la porte ouverte à la rédemption, ce qui, même au fond de l’océan, démontre que l’humanisme a toute sa place et est une valeur importante à ses yeux pour permettre aux êtres, différents, de vivre ensemble en bonne intelligence.

Bien sûr, à huit ans, je n’avais rien vu de tout cela. Et j’avais même eu du mal à comprendre qui était le personnage principal (je me souviens avoir été persuadée que la Yoko dont on parlait dans l’histoire, c’était la petite fille blonde à la peau bleue…). Mais je sais que la magie de cette bande dessinée avait agi sur moi et m’avait donné envie de la relire, puis de lire toutes celles qui étaient dans les bacs de la bibliothèque. Deux ans plus tard, une copine de catéchisme m’offrait « Les Titans » et je commençai la collection, sans plus jamais m’arrêter...

Paru aux éditions Dupuis, 1983. ISBN : 2-8001-0971-8

vendredi 27 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 12 : La Proie et l'Ombre, de Roger Leloup




Yoko et Pol sont en Écosse, peut-être pour une émission sur les légendes locales ou les fantômes... le prétexte à leur présence en ces lieux est finalement assez accessoire. L'intrigue démarre très rapidement : en quelques vignettes, le décor est posé. Roulant à vive allure sur une petite route, Yoko évite de justesse de renverser une jeune femme de son âge qui a brusquement débouché, pieds nus, devant sa voiture. Elle est suivie de près par une meute de chiens et deux hommes armés qui, visiblement, lui font peur. Les explications des deux hommes sont interrompues par l’arrivée de Sir William,l e propriétaire du château tout proche et père de la jeune fille en question, ainsi que du médecin qui la suit. C’est que Cécilia, la jeune fille, est folle et persuadée d’être séquestrée par son père qui, selon elle, l’empêche de rejoindre sa mère quand elle vient la visiter la nuit.

Dans l’accident, la roue de la voiture de Yoko a rendu l’âme. Pour s’excuser de la gêne occasionnée, Sir William invite Yoko au château, le temps que la roue soit réparée. Avant de s’y rendre, Yoko et Pol rencontrent un original qui leur raconte l’histoire tragique de la mère de Cécilia, qui s’est tuée quinze ans auparavant dans un accident de cheval.
Yoko se trouve embarquée dans une nouvelle aventure avec une énigme de taille à résoudre. Et la solution se trouve au château, où elle fait de surprenantes découvertes durant la nuit qu’elle passe là-bas. Persuadée que la vie de Cécilia est menacée, Yoko fait venir Vic, dans l’espoir de trouver un moyen de résoudre le problème auquel elle est confrontée… et de sauver la vie de Cécilia.

Roger Leloup retrouve ici un thème qui a fait mouche au début de la série : l’utilisation à des fins crapuleuses de la technologie. Le cadre dans lequel évoluent les personnages est grandiose, romantique à souhait. L’ambiance est à la fois quelque peu surannée et, en même temps, très « high-tech », ce qui donne un mélange audacieux mais parfaitement crédible sous la plume de Roger Leloup.
Là encore, cet album fait partie de mes préférés. Je l’ai maintes fois lu et relu, subjuguée par l’intrigue, la minutie du dessin et la cohérence des événements.
Cécilia sera sauvée, bien sûr (les bandes dessinées de Roger Leloup sont accessibles dès 7 ans), et les méchants punis, évidemment. Et pendant longtemps, on n’entendra plus parler de l’Écosse et de Cécilia. J’ai longtemps regretté sa longue absence dans la série, tant le personnage est attachant. Mais… chut ! Je ne vais pas en dévoiler plus sur le reste de la série !

Pour terminer, petit mot sur les thèmes abordés dans cet album : outre les légendes, les fantômes et les superstitions pour lesquelles l’Écosse est un endroit vraiment idéal, Roger Leloup explore là la question des « doubles », des sosies. C’est un aspect de son œuvre qui est assez peu marqué et qui, pourtant, est présent en filigrane dans plusieurs albums, les personnes pouvant se ressembler soit d’une génération à l’autre (comme dans « La Frontière de la Vie »), soit par des jeux de réveils successifs (comme dans « Les Trois soleils deVinéa ») ou, ici, par le biais de sosies. On verra dans les albums suivant que cet arc de récit est utilisé dans d’autres histoires et permet le développement d’intrigues intéressantes. Si je n’ai pas abordé cet aspect dans les autres chroniques, c’est tout simplement parce qu’il n’y était que très secondaire, alors qu’ici, il constitue le nœud de l’intrigue…
En tout cas, cet album est, pour moi, dans la même veine que « La Frontière de la Vie », il est l’un de ceux que j’apprécie le plus et a beaucoup marqué mon imaginaire.

Paru aux éditions Dupuis, 1982. ISBN : 2-8001-0908-4

jeudi 26 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 11 : La Spirale du temps, de Roger Leloup




Yoko, après son voyage sur Ixo, retourne sur Terre et se retrouve à Bornéo, chez son cousin Izumi, où elle passe quelques « vacances » sur le dos de Gounda, l’éléphant d’Izumi. Avec Vic et Pol, elle a pour mission, depuis l’hélicoptère, de recenser les différentes essences d’arbres présentes sur la propriété de son cousin. Un problème technique avec la caméra retarde le Trio dans sa tâche et Yoko utilise ce temps providentiellement libre pour s’occuper de cet éléphant qu’elle connaît depuis son enfance. Le soir, Yoko l’emmène dans les ruines du temple pour lui donner un bain. Elle en profite pour monter sur les degrés et y observer les sculptures du bas-relief, où elle s’est prise d’affection pour une jeune danseuse. Elle allait repartir quand une étrange lumière en forme de spirale éclaire la cour du temple. Yoko observe la scène qui se déroule sous ses yeux et voit une jeune fille sortir de l’étrange machine qui s’est matérialisée dans la cour. Un homme a lui aussi assisté à la scène et, visiblement, il connaît la jeune fille. Mais la rencontre se passe mal et la jeune fille est blessée par un tir de l’homme. Yoko intervient, projette l’homme au sol et le voit disparaître, sous ses yeux, dans une spirale de lumière.

La jeune fille se prénomme Monya. Elle vient du 39e siècle et est la dernière terrienne en vie, depuis que Stanford, l’homme qui a disparu sous les yeux de Yoko, est retourné à son époque. Et si la jeune fille est là, c’est qu’elle a une mission à accomplir : supprimer le Professeur Webbs qui est à l’origine de la bombe à contraction qui, en l’an 3872, détruira la terre et toute l’humanité.

Les voyages dans le temps. Roger Leloup n’avait pas encore exploré cette piste narrative. C’est chose faite avec cet album, à l’aide du Translateur, la machine mise au point par le père de Monya. Les voyages dans le temps sont impossibles, paraît-il. Mais la magie de la bande dessinée et le talent de Roger Leloup les rend crédibles et cohérents, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde, à cause des problèmes posés par les paradoxes temporels. Ici, l’histoire reste plausible et Yoko va être amenée à faire elle-même un saut dans le temps pour comprendre ce qui se trame au cœur de la Montagne du Dragon sur l’île de Sulawesi. Elle s’embarque donc à bord du Translateur, vers le passé, au moment de la Seconde guerre mondiale, pour y retrouver son oncle Tôshio Ishida, qui a fait murer le passage qui mène au cœur de la montagne. Son intervention va lui permettre de comprendre comment le Professeur Webbs invente la bombe et, surtout, comment détruire son « invention » et la créature qui l’a suggérée au professeur.
Roger Leloup est très discret sur cette créature. Il dit peu de choses sur son origine, sinon qu’elle est extra-terrestre. Nous n’en saurons pas plus, mais, en bande dessinée comme en matière littéraire, rien, ou presque, n’est impossible. L’histoire, heureusement, finit bien et Monya trouve chez le cousin de Yoko le foyer dont elle avait besoin. Mais comme Ingrid et Khany, elle deviendra un personnage récurrent auquel Roger Leloup fera appel quand Yoko aura besoin de voyager dans le temps. La « famille » s’agrandit donc d’un nouveau personnage sympathique, jeune et dynamique, qui sera pour Yoko une précieuse auxiliaire dans plusieurs autres aventures.

Paru aux éditions Dupuis, 1981. ISBN : 2-8001-0744-8

mercredi 25 septembre 2019

XIII, tome 20 : Le Jour du Mayflower, de Yves Sente et Iouri Jigounov




Augusta, État du Maine, États-Unis. Jason MacLane est chez son psychiatre pour tenter de retrouver la mémoire qui lui fait défaut depuis 19 tomes. Toutes les tentatives précédentes ayant échoué, le docteur Suzanne Levinson oriente XIII vers un programme expérimental qui sera le point de départ d'une piste au fil ténu qu'un rien risque de briser... et qui va entraîner XIII dans un nouveau sac de nœuds complexes. Il va, une fois de plus, risquer sa vie à de multiples reprises.

Le début de ce deuxième cycle, piloté par de nouveaux auteurs qui ont pris la suite de Jean Van Hamme et William Vance, démarre sur les chapeaux de roues. J'ai toutefois le sentiment que l'intrigue est un peu moins « dense » que dans les premiers volumes (chroniques à venir bientôt), ce qui est souvent le cas dans les longues séries. Ici, le changement d’auteurs (qui, toutefois, reprennent le flambeau sans trahir ni l’esprit, ni le dessin de la série originelle), peut permettre à cette série de retrouver son souffle. Ce sera à voir dans les prochains albums. Ceci dit, je me suis attachée au personnage de XIII et à ses amis proches (entrevus dans ce tome 20, mais promis, pour la plupart, à un retour fracassant dans les volumes suivants), depuis que j’ai découvert cette bande dessinée durant mon adolescence (ça remonte, quoi. Un peu comme la série Yoko Tsuno ou Thorgal). Alors je ne suis pas prête non plus de la lâcher, tout simplement parce qu’à ce point d’histoire « commune » avec ces héros, le côté émotionnel prend souvent le dessus sur l’aspect purement qualitatif de la bande dessinée (même si, vous le verrez dans les chroniques suivantes, certains épisodes, y compris dans le premier cycle, me semblent à la fois trop complexes et mal ficelés, avec une intrigue qui tire en longueur parfois…).

Ce deuxième cycle semble mouvementé, avec un nouveau « grand-méchant-inconnu-qui-tire-les-ficelles-dans-l’ombre-et-veut-la-peau-du-pauvre-XIII ». À suivre, donc, très bientôt dans l’un de mes prochains billets, ici même.

Paru aux éditions Dargaud, 2017 (2e édition). ISBN : 978-2-5050-6766-5.

mardi 24 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 10 : La Lumière d'Ixo, de Roger Leloup




À la vue de l'état de mon exemplaire de cette dixième aventure de Yoko, nul doute que celui-ci aussi a été lu, relu, feuilleté et même que j'ai dormi avec, ou bien que j'ai du l'arracher des mains de mes petites sœurs... je ne sais plus trop exactement. En tout cas, il a vécu, c'est indéniable.
Yoko, Vic et Pol sont retournés sur Vinéa retrouver Khany et sa jeune sœur Poky, mais ne restent pas sur la planète « jumelle » de la Terre. Khany les entraîne vers un satellite de la planète géante K-3, Ixo, une boule de glace, appartenant au système solaire de Vinéa. Sur ce satellite, les Vinéens ont entreposé les matières dangereuses issues de la technologie vinéenne. Or, à intervalle régulier, un point lumineux inexplicable apparaît à l’emplacement du dépôt. Compte-tenu de la dangerosité de ce qui est entreposé sur Ixo, il est important de connaître l’origine de cette « lumière » afin de vérifier l’intégrité des matières déposées sur place et de connaître leur état de conservation.

Le Trio est donc entraîné dans une nouvelle aventure qui ne sera pas non plus de tout repos, parce que ce que Yoko, Vic, Pol et Khany vont découvrir, c’est que ce dépôt a donné lieu à la création d’une civilisation entière, avec sa mythologie et une sorte de religion liée au retour périodique de la ville-satellite de Shyra dont la survie dépend de l’énergie produite et envoyée par ceux qui vivent sur Ixo. C’est donc tout un système de croyances qui régit désormais le dépôt et, si les Vinéens de Vinéa n’en ont pas connaissance, c’est tout simplement parce que cette civilisation s’est développée durant leur exil sous Terre… Les deux peuples sont donc apparentés mais l’un d’eux est fortement englué dans des croyances qui l’empêchent d’avancer vers plus de liberté (avec l’assentiment des dirigeants qui voient là un moyen d’assurer leur pérennité sans risquer une révolte de la part du petit peuple qui doit assurer la survie de la ville de Shyra au prix d’un dur labeur).

Roger Leloup dénonce ici l’obscurantisme religieux qui peut prévaloir dans certaines religions avec la mise sous tutelle et le maintien dans l’ignorance des membres les plus fragiles de nos communautés. Il dévoile de manière très subtile et très humaine sa vision de la liberté de l’homme, sans jamais donner de la religion elle-même une vision archaïque ou néfaste. Comme toujours, avec Roger Leloup, ce n’est pas la religion en elle-même qui est néfaste mais l’usage que les hommes en font pour maintenir une partie de leurs semblables sous leur coupe et servir ainsi leurs propres intérêts.
Yoko va d’ailleurs utiliser ces croyances pour faire comprendre aux dirigeants de Shyra l’intérêt d’avancer et d’accepter une ouverture vers les Vinéens revenus sur leur planète, afin de permettre la survie de la communauté sans risquer à tout moment la vie de ses membres.
Ce thème de la religion n’est abordé que dans cet album, mais on sent bien à la lecture des différents tomes que l’auteur est profondément marqué par les valeurs judéo-chrétiennes de la société dans laquelle il vit. Sans jamais dévoiler ses propres opinions en la matière et en évitant soigneusement de donner le nom de « Dieu » à l’une ou l’autre des forces qui régissent ses univers de papier, il donne une image très proche de ce à quoi peu amener l’obscurantisme ou le fanatisme religieux dont peuvent faire preuve certains de nos contemporains. Pour lutter contre ce cancer qui gangrène nos sociétés, l’approche de Roger Leloup est d’insuffler plus d’humanité, de compassion et d’amour fraternel dans nos sociétés.
Pour ma part, je trouve ce programme très beau, même si les esprits chagrins le trouveront forcément utopiste...

Paru aux éditions Dupuis, 1980. ISBN : 2-8001-0687-5

lundi 23 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 9 : La Fille du Vent, de Roger Leloup




Retour sur Terre pour Yoko, Vic et Pol. L'aventure commence dans un avion de la Swiss Air qui ramène le Trio en Asie, à Hong-Kong précisément, où Yoko doit se rendre suite à une lettre qu'elle a reçue lui parlant de son père et d'un projet qu'il a conçu et qui semble confiner à la folie. Il est signé du nom d'un homme que Yoko a connu quand elle vivait encore au Japon et le Trio est effectivement réceptionné par cet homme sur une jonque chinoise où il va expliquer à Yoko et à ses amis ce qui se trame au pays du Soleil Levant et dont Seiki Tsuno est en partie responsable.

Seiki Tsuno, géophysicien a fait beaucoup de recherches sur les typhons (ou tornades), qui sévissent sur les côtes chinoises et japonaises. Parvenu à les produire artificiellement pour pouvoir les comprendre, et à développer un moyen radical de les supprimer, le père de Yoko a du faire face aux appétits guerriers de son principal bailleur de fonds, Ito Kazuky, qui rêve de faire de cette technologie une véritable arme permettant au Japon de devenir une grande puissance militaire. Seiki Tsuno s'est opposé au projet, mais le conflit entre les deux hommes a dégénéré et il devient urgent d'arrêter ces expériences, parce qu'elles influencent le climat côtier du Japon et de la Chine. C'est pour cette raison que les services secrets ont fait appel à Yoko pour la rapatrier dans son île natale afin de tenter de faire entendre raison à son père et d'arrêter le conflit.
Yoko est donc parachutée au-dessus de son île mais flaire un piège et se pose au temple bouddhique où elle sait qu'elle trouvera l'aide d'Aoki, un ami fidèle de son père, qui l'a beaucoup aidée quand elle était enfant. Elle le sait honnête et tout dévoué à sa famille, à son père en particulier, et il est le seul en qui elle peut avoir confiance dans ce sac de nœuds où il est compliqué de savoir qui est avec son père et qui est contre lui.

Yoko est donc entraînée malgré elle dans une guerre technologique qui a pour effet de rendre la côte particulièrement dangereuse par la multiplication, la violence et la taille des typhons créés par les deux camps. Elle se retrouve prise en otage par Kazuki qui voit là un moyen de contrer la riposte de Seiki Tsuno.

Cet album est un peu particulier en ce sens que le lecteur pénètre ici dans l’intimité de Yoko, à travers son retour aux sources, dans son île natale. On y fait la connaissance de ses parents et on apprend aussi l’existence d’Aoki, ancien pilote de Zéro durant la seconde guerre mondiale, dont le rêve d’offrir sa vie pour le Japon a été contrarié par une blessure et la fin de la guerre avant son retour dans les rangs de l’armée japonaise. La fin de l’album se teinte de tristesse et de douleur, mais voit finalement triompher la paix et la raison dans ce combat où l’honneur d’un homme le conduit à aller plus loin que ce qui serait raisonnable.

Un album graphiquement très beau, comme les précédents, et dont le travail sur les couleurs préfigure déjà les derniers de la série, en particulier dans les dernières pages. C’est aussi le seul album où la famille proche de Yoko est aussi présente, et où une suite est explicitement annoncée.
Oh, que j’aime cette série !!!

Paru aux éditions Dupuis, 1979. ISBN : 2-8001-0633-6

dimanche 22 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 8 : Les Titans, de Roger Leloup




Ce tome 8 n'est pas le premier que j'ai lu, mais c'est le premier qui m'appartenait : Il m’a été offert pour mes dix ans, en 1985 (oui, je suis du siècle dernier… et même du millénaire dernier!).
Cette histoire est la « suite » des Trois Soleils de Vinéa. Yoko effectue, avec Vic et Pol, son deuxième voyage vers la planète de Khany et c’est cette dernière, accompagnée de Vynka qui récupère les terriens au satellite qui sert de point d’arrivée aux navettes reliant les deux planètes durant le rapatriement des Vinéens en léthargie sous le sol terrestre vers leur planète.

Khany explique très vite à Yoko qu’elle lui a demandé de venir pour aider la section scientifique de Vinéa à résoudre un mystère qui dépasse les connaissances des savants de la planète. En effet, ils ont découvert des plantes dont l’origine n’est pas vinéenne, ainsi qu’une patte géante d’insecte.
Les Terriens vont donc se joindre à l’équipe vinéenne volontaire pour explorer le territoire où ces éléments ont été trouvés afin de mieux comprendre leur présence et de savoir si, oui ou non, ils constituent un danger pour la population vinéenne (risques de maladies, danger physique, compte-tenu de la taille gigantesque de ces « insectes »… et/ou reconnaissance d’une éventuelle tentative de colonisation par cette espèce non vinéenne). Yoko accepte, à la condition que cette expédition ne se transforme pas en safari de destruction de ces êtres dont ils ignorent tout.

L’expédition va vite être perturbée par l’intervention des « insectes » géants, laissant Yoko et Khany, parties tester du matériel, seules libres de leurs mouvements et de leurs pensées. Elles vont rencontrer l’un des « Titans », doté d’une capacité de raisonnement et donc capable de dialogue, mais rejeté par les siens pour sa fragilité et le poids qu’il représente pour sa communauté. Il va devenir un allié précieux pour les deux amies et va les aider à rendre leur liberté à leurs compagnons.

L’aventure est là encore intense et sans temps mort, avec de brusques changements de direction. Les moyens technologiques des Vinéens, inconnus des « Titans », permettent aux natifs de la planète de prendre le dessus, mais Yoko se refuse à laisser toute la colonie des « Titans » de disparaître. Elle va alors les aider à trouver une solution pour permettre la survie de la colonie, sans risquer la mort des uns ou des autres.

Vous le devinez (et il suffit de voir l’état de mon album pour se rendre compte qu’il a été lu, relu et feuilleté des centaines, voire des milliers de fois), ce tome fait partie de mes préférés. Peut-être parce qu’avec « La Frontière de la Vie », « Les Trois Soleils de Vinéa » et « Les Archanges de Vinéa », il fait partie des premiers que j’ai lu et qu’il y a donc là un côté émotionnel très important. En tout cas, Roger Leloup a atteint là sa maturité graphique. Les personnages sont particulièrement beaux, soignés, les décors sont très réalistes (comme toujours) et toute l’intrigue est parfaitement cohérente, ce qui, là aussi, est une des marques de fabrique de l’auteur.
Ces albums (depuis « Les Trois Soleils de Vinéa » jusqu’au « Canon de Kra ») font partie, à mon sens, de l’âge d’or de Roger Leloup. Des intrigues soignées, un dessin touchant et parfaitement maîtrisé qui font de ces albums de véritables bijoux. Est-ce que c'est objectif ? Sans doute pas : j'ai découvert ces albums durant mon enfance et mon adolescence, et j'éprouve une véritable nostalgie de cette époque où il me suffisait de les ouvrir pour me plonger dans un monde réjouissant, où le Bien triomphe du Mal à chaque fois, même si le Mal fait souvent des dégâts autour de lui avant de disparaître. Si pour moi il s'agit des meilleurs albums de Roger, c'est sûrement dû à ce processus incroyable qu'est la mémoire : ouvrir un de ces albums me téléporte illico dans un temps où, pour moi, la vie était plus simple, plus jolie, où le rêve et l'imaginaire étaient le quotidien. J'étais une enfant qui n'avait pas à se soucier de savoir ce qu'elle allait manger et où elle allait dormir le soir, puisque mes parents s'occupaient de tout cela pour moi. D'où, sans doute, ma tendresse particulière pour ces albums que je trouve, malgré les années qui passent, toujours aussi beaux.
Merci, Roger, d'avoir accompagné si joliment mes jeunes années !

Paru aux éditions Dupuis, 1978. ISBN : 2-8001-0592-5

samedi 21 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 7 : La Frontière de la Vie, de Roger Leloup



Alors là, comment dire... Chef-d’œuvre absolu !!!!

Cet album est définitivement mon préféré. À tel point que j’ai organisé, avec mon mari, une sorte de pèlerinage à Rothenburg-ob-der-Tauber, où se situe toute l’action de ce récit.
Yoko a reçu une lettre d’Ingrid (que nous avions rencontrée dans « L’Orgue du Diable », le deuxième volet de la série), l’invitant à la rejoindre dans cette charmante petite ville allemande. Pour les deux amies, la surprise est de taille : l’arrivée de Yoko a été organisée par Rudy, le cousin d’Ingrid, pour des motifs que Yoko va vite découvrir et qui n’ont rien à voir avec le romantisme de la jolie cité. Ingrid est malade et son cousin, biologique, pense que sa maladie est provoquée. Il y a là un mystère qu’il ne parvient à résoudre et il a fait venir Yoko pour obtenir son aide et découvrir la clé de l’énigme.

Yoko accepte de bonne grâce de l’aider, convaincue par les arguments scientifiques de Rudy. Mais elle découvre très rapidement que derrière la maladie d’Ingrid se cache un drame humain, lié, lui, à l’histoire tourmentée de la ville, et qui va la mener au cœur de l’Histoire.

Roger est parti d’un fait réel : la ville de Rothenburg-ob-der-Tauber a été martyrisée durant la Seconde Guerre Mondiale, bombardée et détruite à plus de 45 % le 31 mars 1945. Un peu plus de trente ans plus tard, Yoko se trouve confrontée à ce drame à travers l’histoire de Magda, une petite fille de cinq ans qui se trouvait sur la trajectoire d’une balle perdue. Son père, le docteur Schultz, médecin, découvre avec stupeur qu’Ingrid possède le même groupe sanguin que Magda. L’hypothèse la plus simple consiste donc à penser que le docteur est en train de mettre au point le traitement qui lui aurait permis de sauver la vie de sa fille. Mais la réalité est quelque peu plus complexe que cela.
Et c’est là que le lecteur bascule dans la science-fiction, encore, mais une science-fiction bien terrienne, celle-ci !

L’histoire est très belle. Le dessin est extrêmement touchant et réaliste. Pour avoir fait le voyage à Rothenburg il y a une dizaine d’années, je peux vous dire que, là encore, Roger a fait preuve d’une précision et d’une finesse extrême dans les décors. J’ai même édité un livre de photos prises lors de ce voyage, sur les traces de Yoko…
Cet album m’a toujours beaucoup plus : il est parmi les plus aboutis de la série, les personnages sont extrêmement attachants, sans doute parce qu’ils sont très humains. Conscients des bêtises qu’ils commettent, ils tentent tous de réparer les erreurs commises dans le passé, qu’il soit proche ou lointain, dans l’unique but de favoriser la vie.
Dans cet album, la technologie est encore très présente, comme un point commun à tous les albums de la série. Mais si elle est mal utilisée par certains, elle est aussi le support de la renaissance de la petite Magda, une fois que le complot sous-jacent est démasqué… Et, finalement, c’est la vie, le pardon et la compassion, la réparation des fautes passées qui triomphent.


Oui, cet album est du grand art… Il a d'ailleurs fait l'objet d'une édition en grand format, avec un sous-titre évocateur : « Confidences d'auteur ». Ce grand volume au papier épais est une version grand format de la bande dessinée, avec un dossier important sur la genèse de cette histoire, avec des croquis…
Paru en 2008, ce grand format inaugure une série d’autres ouvrages en grand format qui vont accompagner la sortie des nouveaux albums, à partir du « Septième Code », et ce, conjointement à la parution des intégrales de la série chez Dupuis. Ce qui est bien dans ce grand format, c’est la qualité de l’impression, du papier… Roger Leloup, en élaborant cet album en tirage spécial offre à ses lecteurs la possibilité de plonger encore davantage dans l’œuvre qu’il a créée. Et c’est un vrai bonheur !

Paru aux éditions Dupuis, 1977. ISBN : 2-8001-0672-7

vendredi 20 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 6 : Les Trois soleils de Vinéa, de Roger Leloup





Dans ce nouvel album, la troisième de l'univers « vinéen » de Roger Leloup, on retrouve le Trio installé dans un coin perdu de la Terre, attendant des nouvelles de Khany et Vynka qui, de leur côté, cherchent à entrer en contact avec eux par l’intermédiaire d’un émetteur que Khany a remis à Yoko à la fin de l’aventure martiniquaise.
Les deux Vinéens arrivent enfin, par les airs, et rejoignent Yoko et ses amis qui les attendent avec impatience. Ils s’envolent aussitôt vers l’espace et Khany informe alors ses hôtes du véritable but de leur voyage : le retour vers Vinéa.

Ce sixième album voit donc l’univers vinéen se développer : Roger Leloup leur avait donné une histoire, il les dote maintenant d’une planète bien concrète, soumise à des lois particulières et crée un « pont » entre la Terre et Vinéa que Yoko, Vic et Pol emprunteront plusieurs fois pour y retrouver leurs amis d’un autre monde.

Cet album fait partie des plus beaux et émouvants que j’ai lus dans cette série de bande dessinée. L’évolution graphique n’est d’ailleurs pas étrange à ces sentiments que j’ai toujours éprouvés à la lecture de cet album et des dix ou douze suivants. Les traits s’affinent, se précisent, les personnages sont plus réalistes. L’évolution commencée dans Message pour l’éternité se confirme. Dans cet album de science-fiction, l’auteur peut laisser libre court à son imagination et crée ici un monde ambitieux, régi par ses codes, ses lois. Roger Leloup n’a pas seulement créé des décors impressionnants, il leur a donné une âme, une histoire, une mythologie et ses héros, de retour sur leur planète, y reviennent comme des étrangers qui doivent redécouvrir leur propre lieu de vie.
Mieux : cet album nous en apprend bien plus sur l’histoire de la famille de Khany, et Yoko va faire ce qu’il faut pour aider ses membres à se retrouver… si c’est encore possible après tant d’années de séparation...

Avec plusieurs autres albums, dont j’aurai l’occasion de parler un peu plus tard, celui-ci fait définitivement partie de mes favoris !

Paru aux éditions Dupuis, 1976. ISBN : 2-8001-0671-9

jeudi 19 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 5 : Message pour l’Éternité, de Roger Leloup




Dans ce nouvel opus, le lecteur découvre un nouveau talent de Yoko : ses capacités à piloter un planeur. Alors qu'elle participe à une convention internationale de vol à voile, à Clermont-Ferrand, Yoko est parvenue jusqu'aux côtes bretonnes, à Pleumeur-Bodou. Elle y contacte Vic et Pol, inquiets pour elle puisque sans nouvelles depuis que la radio du planeur a lâché. Elle les rassure et est interpellée par un Anglais qui décide de l'embaucher pour une mission très spéciale : retrouver un avion disparu en 1933 et qui continue d'émettre un message capté chaque jour par l'antenne du centre de télécommunications spatiales de Pleumeur-Bodou.

C'est le début d'une aventure dans l'ambiance « James Bond », assez différente de celles des premiers albums. L’aventure y est très intense, très rythmée et les scènes s’enchaînent rapidement, sans temps morts. Elle va mener Yoko de la Bretagne jusqu’en Afghanistan, en passant par la Suisse. Bien entendu, à cette aventure aérienne s’adjoint un mystère, celui de l’avion disparu que Yoko a pour mission de résoudre, mais aussi une enquête policière, tant les faits qui se déroulent en Suisse, immédiatement après l’acceptation de sa mission par Yoko, sont visiblement criminels. Le Trio est une fois de plus mis à contribution et la mission, bien sûr, menée à bien.

Cet album représente une sorte de tournant graphique dans la série. Le trait est nettement plus mature, les personnages semblent plus grands, plus « vivants », moins caricaturaux que dans les premiers tomes de la série. Les vêtements évoluent également, moins stéréotypés. Yoko se met à avoir une véritable garde-robe adaptée à la mission et aux circonstances, ce qui n’était pas toujours le cas dans les trois premiers albums en particulier.
J’ai eu du mal, enfant et adolescente, à entrer dans cette histoire à l’intrigue nettement plus compliquée que celles des premiers albums. Mais j’ai pu la relire et la redécouvrir par la suite et j’y ai retrouvé l’humanisme dont Roger fait la toile de fond de son œuvre. Et j’aime beaucoup, finalement, ce cinquième opus !

Paru aux éditions Dupuis, 1978. ISBN : 2-8001-0670-0

mercredi 18 septembre 2019

Jhen, tome 5 : La Cathédrale, de Jacques Martin et Jean Pleyers




Fin août, je suis passée dans une brocante à Riquewihr, et j'y ai découvert une très jolie balance à poids. Mais aussi quelques bandes dessinées que je n'avais pas vues dans le commerce depuis des années. Dont celle-ci.
La série Jhen, je ne connaissais pas. Je connaissais depuis très longtemps Alix et Lefranc, les deux autres héros emblématiques de Jacques Martin, dont les intrigues se déroulent respectivement durant l'empire romain et de nos jours. Cette troisième série se déroule, quant à elle, au Moyen-Age, et ce qui m’a tout de suite intéressée, c’est que cet épisode se déroule en Alsace. La cathédrale dont il est question ici, c’est celle de Strasbourg, en pleine construction, et Jhen semble être attendu dans la capitale alsacienne pour y construire la flèche.
La construction de la flèche n’est ici que le prétexte pour l’intrigue qui voit Jhen rencontrer deux familles que tout oppose, alors qu’elles sont apparentées. S’ajoute à ce conflit une histoire à la Roméo et Juliette, puisque l’un des garçons d’une des deux familles est amoureux de l’une des filles de l’autre famille… ce que refusent totalement leurs parents, bien sûr.
Le jeune garçon a deux frères, présents à Strasbourg et qui, eux, s’opposent à l’évêque en place dont les desseins sont très loin d’être aussi purs que sa foi en Dieu pourrait le laisser croire. Il tient tout simplement à « donner » les deux petits territoires des familles en question, ainsi que le couvent du Mont-Sainte-Odile, à l’ennemi allemand. Rien que ça ! L’intervention de Jhen, en bon héros classique, va permettre aux choses de rentrer dans l’ordre, bien sûr.

Alors j’ai plutôt apprécié cet opus, à cause, comme d’habitude, du graphisme très précis, très beau, fidèle à la réalité. Jacques Martin fait partie de l’école classique de la bande dessinée, tout comme Roger Leloup, avec qui il a d’ailleurs travaillé dans les premières années professionnelles de ce dernier. On voit bien ici la filiation entre ces deux auteurs.
Je regrette simplement une seule chose : ici, comme dans beaucoup de livres, de bandes dessinées, le personnage qui représente l’Église (ici, l’évêque de Strasbourg), est un personnage peu recommandable… C’est un ressort classique dans les intrigues, mais j’avoue que ça me dérange un peu, parce que ça contribue à donner des clercs une image peu glorieuse.
Loin de moi l’idée d’en faire des saints avant l’heure, ce sont des hommes pécheurs, bien entendu. Mais je trouve simplement que ce type de personnage vil et mauvais revient un peu trop régulièrement dans la littérature, tous genres confondus. Sans doute une déformation de ma part ? J’aimerais bien qu’une fois ou l’autre, le prêtre ait une image un peu plus positive. Parce que tous les prêtres, loin s’en faut, ne sont pas attirés par l’argent, le pouvoir… et ne sont pas tous des pédophiles et des parjures…
Hormis cette petite réserve, je suis vraiment contente de cette découverte !

Paru aux éditions Casterman, 1985. ISBN : 2-203-32203-9.

mardi 17 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 4 : Aventures électroniques, de Roger Leloup




Cet album est un peu particulier dans la série Yoko Tsuno, puisqu'il met en scène l’héroïne dans des histoires courtes (c'est le seul album dans ce cas). Six histoires sont regroupées ici, dont la première, « Hold-up en hi-fi », est une collaboration entre Roger Leloup pour le dessin et Maurice Tillieux pour le texte. Maurice Tillieux est entre autres le créateur de séries de bandes dessinées comme Gil Jourdan, Félix, César, Marc Lebut ou encore Jess Long. Son style est très marqué par l’humour (comique de répétition, gags de type tarte à la crème, chutes en tous genres…) et on sent son empreinte sur les premières planches de Roger Leloup, en particulier dans « Le Trio de l’Étrange », ou encore ici, dans cette première histoire courte.
Dès la deuxième histoire (« L’Ange de Noël »), Roger Leloup montre qu’il peut très bien se passer de l’aide de son aîné, qui participe néanmoins à la troisième histoire (« La Belle et la Bête »), avant de le laisser voler de ses propres ailes.
La quatrième histoire, « Cap 351 », se déroule au Tyrol où Yoko fait partie d’une équipe regroupant des techniciens autrichiens et allemands qui mettent au point un système de fusée devant acheminer en un temps record le courrier au-dessus des Alpes bavaroises. Le dessins évolue peu, même si on remarque un changement dans le style vers quelque chose de plus réaliste.
Dans « Du Miel pour Yoko », Pol est partie prenante dans l’aventure, signe que cette histoire courte a été écrite aux débuts de l’aventure du Trio. Comme dans « Cap 351 » et les histoires précédentes, le dessin est clairement contemporain de celui des trois premiers albums : Yoko y porte la même robe rouge et y a les mêmes traits. En revanche, la dernière histoire, « L’Araignée qui volait », est plus proche d’un point de vue graphique des albums postérieurs, à partir de « La Frontière de la Vie » en particulier.
Ce recueil d’histoires courtes est donc une bonne opportunité de voir l’évolution du dessin de Roger Leloup, de ses personnages, mais aussi de son style. Très marqué au départ par ses maîtres de l’école belge de la bande dessinée, il s’en affranchit progressivement et crée son propre style, moins marqué par l’humour « potache » des débuts pour aller vers plus de maturité, de sérieux et de réalisme.

À propos de « L’Araignée qui volait », je crois me souvenir avoir lu quelque part que cette histoire, qui démarre par un cambriolage un peu spécial, était au départ écrite pour une autre série que Roger Leloup avait en projet, intitulée « Jacky et Célestin », bien avant « Yoko Tsuno ». Ces deux personnages ont donné, plus tard, le duo Vic et Pol et la séquence du cambriolage a été modifiée pour donner cette histoire courte qui m’a plongée durant toute mon enfance dans une rêverie sans fin...

Paru aux éditions Dupuis, 1974. ISBN : 2-8001-0669-7

lundi 16 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 3 : La Forge de Vulcain, de Roger Leloup




Un soir, Yoko rentre du travail et regarde le journal télévisé, où elle apprend qu'une entreprise de forage en mer a foré dans une matière inconnue, « d'une dureté incomparable », « vitrifiée, lumineuse et aimantée ». Or Yoko a en sa possession, depuis son aventure souterraine avec les Vinéens, une sphère faite d’une matière qui présente toutes ces caractéristiques et qui doit la prévenir à distance d’un retour possible du Trio dans le monde souterrain des Vinéens.
Yoko et ses amis se rendent donc en Martinique, dans l’espoir d’y retrouver leurs amis extra-terrestres. Or ceux-ci sont bien au rendez-vous, et confrontés, sous terre, à un problème d’une grande ampleur qui peut avoir des conséquences dramatiques pour les êtres humains vivant à la surface. Il faudra là encore le courage et l’abnégation de Yoko et de ses amis, avec l’aide de la haute technologie vinéenne, pour résoudre cet épineux problème.

Retour, dans ce troisième tome, des aventures souterraines de Yoko et de ses amis. Ils vont se trouver confrontés à Karpan et ses sbires, déjà alliés au Coordinateur-robot du tome 1, qui souhaitent utiliser la supériorité technologique vinéenne pour prendre le pouvoir à la surface de la terre et y imposer la civilisation vinéenne, ce qui, bien sûr, ne peut pas être accepté, ni par les Terriens, sous peine de guerre, ni par les Vinéens alliés à Khany qui ont un autre projet, diamétralement opposé à celui de Karpan : le retour sur Vinéa…

Roger Leloup développe de manière impressionnante ce monde souterrain que nous avons entrevu dans le premier opus de la série. L’aspect technologique y est très marqué et la société vinéenne apparaît dans sa réalité brute : l’auteur donne au lecteur à voir une société où chaque être a une fonction et un rôle bien défini. Khany s’affranchit, au contact de Yoko, du carcan qui lui est imposé et devient une sorte d’électron libre qui emprunte une troisième voie, médiane entre les deux clans qui s’opposent.
Là encore, la place de la technologie est prépondérante et l’on voit bien que cette technologie n’est, en soi, ni bonne, ni mauvaise. Le message que Roger Leloup fait passer ici est là : tout dépend des intentions de ceux qui utilisent la technologie à notre disposition. En cela, encore une fois, il est à la fois philosophe et humaniste.

Paru aux éditions Dupuis, 1979. ISBN : 2-8001-0668-9

dimanche 15 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 2 : L'Orgue du Diable, de Roger Leloup




Deuxième volet de notre série sur Yoko Tsuno : le tome 2, intitulé « L'Orgue du Diable ». On retrouve Yoko, Vic et Pol sur un nouveau tournage, en Allemagne, cette fois, sur le Rhin. Il s’agit d’une série documentaire sur les légendes allemandes, mais le tournage va vite tourner court, parce que Pol est témoin de la chute dans le Rhin d’une jeune femme qu’il a repérée sur le bateau où le Trio travaille. Yoko plonge à l’eau pour tenter de la sauver et découvre à cette occasion que sa chute n’était pas un accident, mais une tentative d’assassinat.
C’est le début d’une nouvelle aventure pour Yoko, Vic et Pol, sur les traces d’un orgue monumental restauré par le père de la jeune femme, prénommée Ingrid, qui deviendra un personnage récurrent de la série.

Comme dans la première aventure du Trio, Yoko et ses amis ont à faire face à une technologie redoutable et, surtout, meurtrière. Et il faudra tout le courage des héros de cette bande dessinée pour découvrir la vérité sur la mort du père d’Ingrid, sur les raisons de son décès, et, surtout, sur l’auteur de ce crime…

Roger Leloup fait preuve ici d’une grande maîtrise dans le dessin réaliste : les paysages dépeints sont ici réels et reconnaissables sans problème, tant le dessin est précis. Ce deuxième opus fait partie d’une série d’aventures en Allemagne, que nous aurons l’occasion, dans les billets suivants, d’explorer.

Paru aux éditions Dupuis, 1979. ISBN : 2-8001-0667-0

samedi 14 septembre 2019

Yoko Tsuno, tome 1 : Le Trio de l'Etrange, de Roger Leloup




Je commence une nouvelle série de billets sur la bande dessinée, et je vais vous parler tout d'abord de Yoko Tsuno. Ceux qui suivent ce blog depuis longtemps savent que c'est avec cette héroïne que j'ai attrapé deux virus : celui de la lecture et celui de la bande dessinée. On pourrait dire aussi que mon appétence pour la science-fiction « soft », réaliste, vient de là et que l’œuvre de Roger Leloup imprègne en grande partie mes propres écrits, mes réflexions, mes rêves.
Cette bande dessinée est née à la fin des années 1960, tout début des années 1970. Dans ce premier tome, le lecteur découvre d’abord Vic Vidéo et Pol Pitron, qui laisseront très vite leurs patronymes respectifs au vestiaire pour devenir simplement Vic et Pol. Tous deux travaillent à la R.T.N., la Radio Télévision Nationale, où Vic est réalisateur et Pol cameraman. Il est minuit et ils achèvent avec leurs collègues l’enregistrement d’une émission sur le sommeil.
La première page les met en scène tous les deux, et même si le style de la bande dessinée va évoluer au fil des années, les deux caractères bien trempés des personnages principaux sont d’ores et déjà marqués : Vic est le « sérieux » de la bande, celui sur qui on peut compter. Pol est plus fantasque, loufoque… c’est un peu le « pitre » du duo (comme son patronyme l’indique d’ailleurs tout à fait à propos). Vic en est donc le meneur, mais il a besoin de Pol.
Quant au personnage de Yoko, il n’apparaît qu’à la fin de la troisième page. Yoko s’introduit dans un immeuble à l’aide d’une grue et Vic et Pol, témoins de la scène, la rejoignent pour empêcher le cambriolage. On apprend très vite qu’en réalité, Yoko est employée par le propriétaire pour tester les systèmes d’alarme du laboratoire où toute la bande se trouve réunie. Et c’est cette rencontre fortuite, basée sur un malentendu, qui donne naissance au trio… où Yoko prend très vite l’ascendant sur Vic.

Les trois amis décident de tourner ensemble un documentaire sur la spéléologie et se rendent dans une grotte où coule une rivière souterraine dont nul ne sait où elle ressort. C’est ce mystère que les trois amis cherchent à résoudre dans leur première émission.
Le tournage commence normalement, mais va vite précipiter nos trois héros dans un univers inconnu, sous terre, où ils font la connaissance d’un peuple étrange à la peau bleue qui vit sous nos pieds depuis des millions d’années : les Vinéens, qui ont fui leur planète condamnée.
Ils sont pris en charge par Khany qui a pour mission de les conduire au « Centre », le coordinateur-robot qui contrôle le complexe souterrain des Vinéens, afin que ce dernier décide de ce qu’il doit advenir d’eux.

Évidemment, les choses ne vont pas être très simples, ni pour le trio formé par Yoko, Vic et Pol, ni, d’ailleurs, pour les Vinéens.

Je ne vais pas dévoiler la suite, pour ceux, sans doute rares, qui ne connaîtraient pas encore cette histoire.
Cette bande dessinée est passionnante à plus d’un titre. Elle démontre en premier lieu le talent de Roger Leloup pour le dessin, tant pour les personnages que pour la technologie. Il fait preuve là d’une inventivité impressionnante, puisque c’est tout un monde qu’il crée.
Sa grande force (et c’est vrai dans tous les albums de la série) réside dans le réalisme et la cohérence des univers qu’il décrit et crée.
On est bien dans un univers de science-fiction, mais une science-fiction aux antipodes des monstres, aliens, guerres spatiales et autres robots plus ou moins malveillants qu’on peut rencontrer ici ou là.
Les Vinéens sont des êtres qui ressemblent beaucoup aux Terriens et qui, comme eux, sont sujets à la jalousie, la trahison, la malhonnêteté, la recherche du profit et, surtout, essaient de survivre dans des conditions plus ou moins difficiles. Comme eux aussi, ils sont capables d’amitié, d’empathie, d’attention à l’autre, même si ces qualités n’apparaissent pas forcément évidentes au début.
En écrivant ces lignes, je me rends compte que le personnage de Khany, qui apparaît extrêmement froid au début, change au fil des pages au contact de Yoko. Un peu comme si la vie sous terre, entourée de toute cette haute technologie, déshumanisait les Vinéens et que l’irruption de Yoko, Vic et Pol dans leur univers réchauffait un peu les cœurs…

Dans cet album, Roger Leloup nous parle, finalement, de la technologie et du danger qu’elle représente pour les relations que les êtres humains entretiennent les uns avec les autres. La technologie est un outil qui peut pervertir les rapports entre les êtres, s’il prend l’ascendant sur les relations réelles.
C’est marrant. Quand cette bande dessinée a été créée, les téléphones portables et autres objets connectés n’existaient pas encore. Et pourtant, n’est-ce pas ce danger précis, qui consiste à avoir davantage confiance en la technologie qu’en l’être humain, qui nous guette tous ?

Roger Leloup est à la fois un grand dessinateur, un humaniste, un philosophe et un visionnaire. C’est pour cette raison que sa série Yoko Tsuno est toujours actuelle, cinquante ans après sa création.

Paru aux éditions Dupuis, 1979. ISBN : 2-8001-0666-2.

mercredi 11 septembre 2019

Les Oubliés de Prémontré, de Jean-Denis Pendanx et Stéphane Piatzszek




Cette bande dessinée, je l'ai, elle aussi, trouvée chez mon libraire (en même temps que Congo 1905). Encore une bande dessinée historique (ou plutôt basée sur des sources historiques), qui se passe cette fois-ci en France, dans l'Aisne, en 1914. L'asile de Prémontré, près de Soissons, abrite environ 1300 malades. L'armée prussienne se dirige vers Paris et approche de l'asile. Le directeur s'en va, ainsi que les médecins, abandonnant les malades à l'envahisseur.
L'économe, quelques gardiens et religieuses refusent de quitter leur poste. Avec les fous dont ils s'occupent, ils sont « les oubliés de Prémontré ».

La vie change radicalement à l’asile, avec l’arrivée de l’armée prussienne : peu ou pas de vivres, de chauffage, de nombreux morts parmi les malades, vieillards et enfants en premier lieu.
L’économe et le jeune Clément (dont on apprend rapidement qu’il n’est pas vraiment qui il prétend être) vont passer un accord avec les paysans des alentours, qui manquent de bras. Les malades qui le peuvent iront travailler dans les champs, contre de la nourriture. L’objectif étant de les sauver tous d’une mort certaine.

J’ai beaucoup aimé cette bande dessinée. Tout d’abord, le graphisme m’a beaucoup plu, avec ses traits doux et ses couleurs pastels qui jouent un peu comme un antidote à la noirceur de la guerre. C’est un peu comme si, par son trait et ses couleurs, l’illustrateur faisait rentrer le lecteur dans une réalité autre, proche, peut-être, de celle des aliénés habitant Prémontré.
L’histoire, aussi, basée sur une réalité concrète et bien documentée historiquement, est tout à fait prenante et intéressante. On suit les personnages avec beaucoup d’intérêt, y compris les « méchants » de l’histoire. Un autre aspect que j’ai beaucoup apprécié, c’est que les ennemis dépeints dans ce récit sont, certes, des adversaires des Français, mais n’en sont pas moins des êtres humains qui, au moins pendant un temps, semblent apporter à l’asile de Prémontré la relative paix dont il a besoin pour permettre à la vie d’exister encore.

À la fin de l’album (de presque cent pages quand même, ce qui permet d’avoir le temps pour déployer l’intrigue et l’explorer sans coupures préjudiciables à son déroulement), se trouve un petit encart historique expliquant ce qu’est cet asile et quelle fut son histoire. Je l’ai trouvé très intéressant aussi, parce que cet asile a une longue et tumultueuse histoire, faite de destructions et de reconstructions cycliques depuis près de neuf cents ans maintenant, puisqu’il a été créé en 1121…
« Et les forces guérisseuses à l’œuvre ici ne semblent pas près de s’arrêter en si bon chemin. »

Paru aux éditions Futuropolis, 2018. - ISBN : 978-2-7548-2273-2.

lundi 9 septembre 2019

Le Dernier Caton, de Matilde Asensi




J’ai acheté ce livre il y a très longtemps et, comme souvent, je n’avais pas eu le temps de le lire. Cette « erreur » est maintenant réparée, et je vais pouvoir en parler un peu longuement, parce que vous allez voir que ce livre m’embête un peu.

Pour commencer, l’histoire.
Quand on lit un livre d’une collection intitulée « Folio Policier », l’avantage, c’est qu’on sait à peu près où on met les pieds. Il va s’agir a priori d’une enquête, d’un meurtre, de quelque chose d’éventuellement assez noir… mais on n’est pas vraiment surpris par le genre du livre, on est en quelque sorte en terrain connu. Et c’est effectivement le cas ici.
Sœur Ottavia Salina, l’héroïne de l’histoire (et de la série, parce que je me suis rendu compte qu’il y avait plusieurs livres dans la même veine du même auteur), est paléographe et historienne de l’art, « sans compter ses autres titres académiques ». Elle travaille à l’Hypogée, le département le plus secret des Archives secrètes du Vatican. Elle est un jour appelée à la Secrétairerie d’État, chargée des relations diplomatiques du Saint Siège avec le monde, car on a besoin de ses lumières au sujet d’un corps qui a été retrouvé et qui porte d’étranges scarifications.
Sœur Ottavia se voit adjoindre le secours de Kaspar Glauser-Röist, garde suisse imposant, froid et efficace, afin de mener l’enquête au plus vite et de trouver rapidement la réponse à la question suivante : que signifient ces marques ? (la question de savoir qui l’a tué et pourquoi semble totalement accessoire, pour le coup). Seulement, pour Sœur Ottavia, les choses vont se révéler un peu plus complexes que prévu. Son enquête l’amène bien malgré elle (du moins au début) sur les traces d’une confrérie plus que millénaire dont l’objet est de veiller sur la Sainte Croix, cette croix découverte par Sainte Hélène en 326, sur laquelle le Christ serait mort crucifié. Durant des centaines d’années, des morceaux de cette croix ont été disséminés dans le monde : les reliques sont par exemple présentes à Paris, dans la Cathédrale Notre-Dame.

Après avoir désobéi en cherchant des informations qu’elle n’était pas sensée connaître, Sœur Ottavia est écartée de l’enquête et envoyée en Irlande, avant d’être rappelée immédiatement à Rome, au Vatican, où l’attend un archéologue éminent, Farag Boswell, dont les connaissances devraient aider Ottavia et Kaspar à aller au bout de l’enquête. Il faut dire qu’entre-temps, une autre relique a été volée et qu’au Vatican, on s’affole un peu des proportions que prend l’affaire…
Les trois enquêteurs sont mis sur la piste de la Divine Comédie de Dante (que Kaspar connaît parfaitement bien) et se servent de cet ouvrage pour passer eux-mêmes les épreuves de cette confrérie afin de retrouver les auteurs des vols (et accessoirement de retrouver les reliques). Seulement tout ne va pas se passer exactement comme prévu.

Je ne dévoilerai rien d’autre de l’intrigue (quoi que…) parce que l’intérêt (et mon embarras à propos de ce livre) se trouve ailleurs.

Alors, qu’ai-je pensé de ce roman ?

Tout d’abord, il est très bien écrit (et la traduction est très convaincante, Matilde Asensi étant Espagnole). C’est agréable à lire, prenant (on n’a pas envie de lâcher ce roman, pour être claire), l’intrigue est vraiment très bien montée, très détaillée et on sent un véritable travail documentaire derrière. Pour qui n’est pas spécialiste de l’Empire Byzantin et de l’art antique en général, c’est passionnant et on voyage beaucoup, dans ce livre très dépaysant (depuis Rome et le Vatican jusqu’à Palerme, Ravenne, Marathon, Constantinople, Alexandrie, et plus loin encore…). Du bon roman, quoi.

Sauf que… sauf qu’il y a un certain nombre de choses qui me posent un véritable problème dans ce livre. À commencer par les « Archives secrètes du Vatican ». Il est question, dès les premières pages, de ces archives, puisque c’est là que travaille l’héroïne. Il y est dit explicitement qu’Ottavia travaille à l’Hypogée, une partie secrète des archives secrètes. Mouais… Je ne sais pas trop d’où cela sort, mais par curiosité, je suis allée voir sur Internet ce que c’était qu’une hypogée (j’avais déjà entendu ce mot, mais je ne me souvenais plus du tout de sa signification). Eh bien, une hypogée, c’est une tombe souterraine, en gros. Ce qui, pour le coup, s’accorde parfaitement avec ce qui est décrit dans le roman, puisque l’Hypogée dont il est question est un service souterrain secret au sein des Archives secrètes du Vatican dans lequel personne n’a le droit d’entrer… sauf ceux qui sont accrédités et qui y travaillent (pour le compte d’on ne sait pas trop qui, d’ailleurs. Mais c’est un autre sujet). Bref. Alors ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a un gros « fake » à propos des Archives vaticanes, qui ne sont absolument pas « secrètes ». Ici, le terme « secrètes » signifie tout simplement « privées », c’est-à-dire que ce sont les archives destinées au Pape et à la Curie romaine, pour les aider dans leur travail. D’autre part, la plupart des documents sont ouverts à la consultation pour les chercheurs en particulier, du monde entier bien sûr. Rien de « secret » là-dedans, donc. J’ai l’impression en lisant ce livre (et d’autres auparavant d’ailleurs) que ce qui tourne autour du Vatican a souvent un arrière-goût sulfureux et alimente nombre de fantasmes dont on va voir dans ce billet qu’ils sont présents à foison dans ce roman.

Dès les premières pages, un autre poncif est présenté (mais je ne l’ai en mémoire que parce que j’ai relu les premières pages, justement, preuve que ça ne sert pas à grand-chose dans l’intrigue du roman) : les cardinaux, les prêtres, seraient, au mieux, imbus de leurs personnes et, parfois, peu recommandables. Un lieu commun qu’on entend chaque jour ou presque, et de plus en plus depuis la médiatisation des abus sexuels de prêtres dans l’Église. Je ne suis pas en train de dire qu’ils n’existent pas ou ne sont pas graves, simplement que ce n’est pas parce que certains prêtres (même s’ils sont trop nombreux) sont coupables d’agissements abjects que tous le sont. Bref. J’ai trouvé cela plutôt gratuit et finalement inutile, d’autant plus qu’il y a un autre moment dans le roman où il aurait été plus judicieux de le mentionner, quand l’auteur en dit plus sur le capitale Kaspar Glauser-Röist… Parlons-en, justement, de ce cher capitaine. Son rôle, semble-t-il, est de « nettoyer »… c’est-à-dire d’effacer les traces laissées par les clercs qui ont commis des fautes afin de maintenir une belle image de l’Église. Soit. On peut imaginer cela. Seulement, j’ai trouvé que c’était un peu léger de faire de ce garde Suisse une sorte de mercenaire, d’homme de main de l’ombre, chargé des basses besognes, quand on sait que les Gardes Suisses sont un véritable corps d’armée entièrement dévoué au Pape et dont les hommes sont des soldats prêts à donner leur vie pour défendre celle du Pape… Ce sont aussi des catholiques pratiquants qui ont fait l’objet d’une sélection drastique, notamment sur leur moralité et leur foi. L’image qui est donnée d’eux via le capitaine Kaspar est malheureusement peu compatible avec ces exigences de recrutement, puisque le capitaine n’hésite pas à mentir, à voler, à tricher… ce qui constitue quand même un certain nombre de problèmes de conscience pour un catholique pratiquant à la moralité normalement irréprochable. Je n’ai donc pas trouvé le personnage très crédible, dans le sens où la raison d’État, là, ne peut pas tout expliquer ni tout excuser.
Sur Ottavia, maintenant (puisque là aussi, il y a quand même un certain nombre de choses qui m’ont dérangée dans le personnage), il s’agit d’une religieuse de 39 ans, paléographe de formation et historienne de l’art, qui partage, au moins au début de l’histoire, un appartement avec d’autres sœurs de son ordre (l’ordre de la Bienheureuse Vierge Marie). La seule information que j’ai trouvée après une très brève recherche, c’est qu’il existe un « Tiers-Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie », qui est une branche laïque de la famille carmélitaine. Pour info, les carmélites sont des religieuses qui vivent cloîtrées… et ne sortent que très rarement de leurs couvents. Les tiers-ordres sont des branches séparées des religieux en ce sens que les laïcs qui les composent ne vivent pas dans des couvents ou des monastères, mais vivent selon la même spiritualité que la « maison-mère » de l’ordre. Dans l’histoire, Sœur Ottavia explique que son ordre a abandonné l’habit après Vatican II. Cet ordre n’a donc rien à voir avec les Carmélites, puisque ces dernières portent aujourd’hui encore l’habit monastique. Bref. Cet ordre a pu tout simplement être inventé de toutes pièces pour les biens de l’intrigue, le problème ne se situe pas là. Non, le problème, c’est que sœur Ottavia est présentée comme une véritable experte dans son domaine, mais totalement naïve dans tous les autres domaines ou presque de la vie, en particulier sur les questions de sexualité, sur la vie de couple, sur les relations entre hommes et femmes. Et, je suis désolée, mais ça, ce n’est pas du tout crédible. Pas au XXIe siècle en tout cas.
L’intrigue se situe au tout début des années 2000, sous le pontificat de Jean-Paul II. Or Jean-Paul II est connu, en particulier, pour sa théologie du Corps, qui parle abondamment des relations entre l’homme et la femme, du mariage, et de la beauté du don entre les époux. De fait, une religieuse qui travaillerait au Vatican sous son pontificat ne pourrait ignorer ce qu’en dit le Saint-Père. Or ce qui transparaît dans ce roman, c’est une opposition entre l’état de vie de religieuse et celui d’épouse et de mère… ce qui est parfaitement faux, les deux n’étant pas opposés mais complémentaires. Dans la foi catholique, et particulièrement depuis Jean-Paul II justement, il n’y a pas (ou plus) de « hiérarchie » entre les vocations, mais une complémentarité qui, bien comprise, rend toute sa beauté au sacrement du mariage. Or on a l’impression, en lisant ce roman, que Sœur Ottavia est entrée dans les ordres sans se poser une seule fois la question de sa vocation (sa mère l’aurait fait pour elle) et que, surtout, elle ne s’était jamais interrogée sur une possible vie maritale. Cela, pour qui connaît un tout petit peu l’Église et a quelque peu fréquenté les monastères ou même simplement les prêtres et religieux ou religieuses de sa paroisse, c’est totalement impossible de nos jours (même si ça a été le cas par le passé). Donc là encore, c’est assez peu crédible. Mais bon, soit. Imaginons.

Il y a pire, bien pire dans cette histoire. Le gros morceau que j’ai beaucoup de mal à digérer, c’est le relativisme présent dans cet ouvrage. Il s’agit d’une fiction, certes, et certains des personnages sont peu recommandables, comme on l’a vu plus haut (en particulier Glauser-Röist, le garde suisse). C’est pour le coup tout à fait normal, dans le sens où on est dans un roman policier et qu’il est quand même plutôt logique d’y trouver des traîtres à peu près partout, et même de trouver des gens qui prétendent être ce qu’ils ne sont pas, qui mentent et volent… bref, ça tient très bien la route dans ce cadre-là. Mais là, il ne s’agit pas de cela, loin de là. Il s’agit des « gentils » de l’histoire qui justifient des actes mauvais, malsains ou délictueux au nom de soi-disant valeurs qui seraient supérieures ou justes… Je m’explique.
Par exemple, le custode de Terre Sainte, à Jérusalem, qui se trouve être le frère d’Ottavia, a eu affaire à Glauser-Röist parce qu’il revendait des objets d’art religieux pour gagner de l’argent. Mais il s’auto-justifie en disant que l’argent n’était pas pour lui, mais pour construire des écoles et des hôpitaux en Terre Sainte et que son ordre, qui lui avait pourtant demandé d’opérer ces constructions, ne lui avait pas donné les moyens financiers de le faire. Il devait donc se débrouiller seul pour trouver de l’argent, et il n’avait rien trouvé de mieux que de vendre ces objets pour réunir les fonds suffisants. Cependant, pas de souci, l’honneur est sauf ! Il s’était assuré que ces objets avaient été vendus… à des cardinaux du Vatican ! Bien sûr, eux, ils ont de l’argent ! (au passage, encore un poncif qui veut que les cardinaux soient tous très riches… il faudrait un jour faire des recherches là-dessus, je ne suis pas du tout convaincue que ce soit le cas pour tous, dans la réalité…).
Autre exemple, la confrérie qui subtilise les reliques (et ça s’appelle du vol en langage courant, c’est interdit par la loi, mais aussi par les Dix Commandements de la loi que Dieu a donnés à Moïse) le fait parce qu’en fait, ces morceaux de la croix lui appartiennent et qu’elle ne fait que récupérer sa propriété… Mouais. C’est marrant, ça, c’est comme dans « Cat’s Eyes »… (ok, j’ai des références bizarres, je sais). Il n’en reste pas moins vrai que c’est toujours du vol et que ces « stavrophilakes » se disent catholiques… Ils semblent avoir oublié la notion de péché…
Autre chose, la description qu’en fait l’auteur est très intéressante : par la bouche d’Ottavia, elle parle d’orgueil, pour décrire les personnes rencontrées dans cette confrérie. Or les épreuves que doivent subir les postulants pour entrer dans cette confrérie (et que subissent donc Ottavia et ses deux compères) ont pour objectif d’éliminer les sept péchés capitaux. Juste pour mémoire : l’orgueil fait partie de ces péchés capitaux… et c’est même le plus grave d’entre eux ! Alors là, il y a carrément un problème de cohérence, non ?

En fait, je n’aime pas quand on donne un nom à quelque chose ou à quelqu’un et que ce nom cache une autre réalité que ce qu’il est réellement. Masquer la vérité, c’est tout simplement mentir. Or, le « Père du Mensonge », c’est Satan… Vu le fonctionnement de cette confrérie, telle qu’il est décrit dans le roman, il faudrait plutôt parler de « secte », et même de secte sataniste, pour le coup.

(Petit rappel : une société secrète, une secte, etc, se caractérise en général par le secret, justement. À plusieurs niveaux : secret sur les activités réelles, sur le financement de la secte ou de la société, sur l’identité des membres, sur les moyens pour en faire partie… On peut aussi penser à des épreuves initiatiques, à des grades, un peu comme dans la Franc-Maçonnerie, par exemple. Ce qui n’est absolument pas le cas dans l’Église catholique. Pour entrer dans l’Église catholique, il suffit de le demander à un prêtre et de recevoir le baptême. Et, tenez-vous bien, l’Église ne refuse jamais de donner le baptême ! En plus, c’est totalement gratuit ! Et pas du tout secret non plus, hein.)

Bon, vous avez compris l’idée. Ce qui me gêne vraiment, dans ce livre, c’est le renversement complet des valeurs, avec le bien qui devient mal et le mal qui devient bien (le vol, le meurtre sont justifiés et justifiables, donc), la vie conjugale devient mieux que la vie religieuse (d’ailleurs Spoiler ! Ottavia quitte sa congrégation pour se ruer dans les bras de Farag Boswell, le bel archéologue qui travaille avec elle), l’Église catholique devient l’ennemi et la secte représente le bon, le bien… Le garde Suisse en devient d’ailleurs le chef à la fin. Là, pour le coup, ça redevient logique qu’un tricheur et un voleur froid et calculateur devienne chef d’une secte de meurtriers...

Les esprits chagrins me diront sans doute que ce n’est qu’un roman, que rien n’empêche une armée, fût-elle celle du Vatican, d’avoir des agents de renseignement dans son sein, et que ce serait même une bonne chose pour déjouer les tentatives d’attentat contre le Pape… Mouais. Je ne suis pas vraiment convaincue par ces arguments. Parce que cette histoire se situe au XXIe siècle. Pas au Moyen-âge. De fait, ce qui était vrai au Moyen-âge ne l’est plus vraiment aujourd’hui, au moins sur certains aspects, et ce qui m’attriste, finalement, c’est surtout le fait que l’auteur s’est donné beaucoup de mal pour se documenter sur l’Empire Byzantin, sur Constantinople, sur les bâtiments, églises… etc. Mais qu’elle s’est laissé emberlificoter par les poncifs actuels sur l’Église, son soi-disant fonctionnement, sa doctrine telle qu’elle est perçue de l’extérieur alors même qu’elle est totalement méconnue à l’extérieur (et donc très mal interprétée). Je trouve simplement dommage qu’un travail de recherche plus approfondi n’ait pas été fait dans ce domaine-là aussi. Parce que ça aurait donné beaucoup plus de force et de crédibilité au récit s’il n’était émaillé de toutes ces invraisemblances.
Et puis, quand même, le coup de grâce, pour moi, c’est que finalement, l’auteur s’en tire avec une pirouette : l’enquête sur laquelle Sœur Ottavia, Kaspar Glauser-Röist et Farag Boswell sont chargés de travailler n’arrive jamais à son terme. Et ça, pour un roman policier, c’est quand même très dommage. La victime semble oubliée, les coupables sont connus mais restent en liberté, ceux qui ont demandé cette enquête n’ont plus de nouvelles de leurs enquêteurs… Oui, c’est vraiment dommage : j’ai eu l’impression que ce roman se finissait en queue de poisson. L’intrigue était-elle trop bancale ? C'est vraiment dommage, parce que ce roman possède d'immenses qualités !

Paru aux éditions Gallimard (Folio Policier), 2008. ISBN : 978-2-07-034268-6.