jeudi 30 décembre 2010

Les Neuf vies de Dewey, de Vicki Myron et Bret Witter

Quand j'ai demandé ce partenariat à BOB, je n'avais pas bien lu le résumé de l'éditeur et je pensais qu'il s'agissait d'un roman. J'avoue avoir été un peu déçue en découvrant un livre de témoignages, qui plus est le second livre écrit sur un chat (ou plutôt, ici, des chats), alors que je n'avais pas lu le premier.
Mais j'étais engagée, je me devais donc de jouer le jeu du partenariat, par respect pour BOB et l'éditeur qui m'envoyait le livre.
Et j'en suis très contente.
Les Neuf vies de Dewey, ce sont neuf histoires de chats. Quelques-unes ont un rapport direct avec Dewey Reedmore Books, ce chat échoué dans une boîte métallique d'une bibliothèque de Spencer, en janvier 1988. D'autres sont des témoignages d'histoires vécues avec des chats, d'autres chats, et de ce qu'ils ont apporté aux personnes qui s'en sont occupé, parfois pendant de longues années.
Documentaliste dans le secteur social, je sais combien un animal de compagnie (chien, chat, ou autre) peut être précieux pour une personne qui vit un certain nombre de difficultés au quotidien (vieillissement, solitude, handicap, dépression, dépendance, exclusion, marginalisation, maladie...). Ces histoires ne font que corroborer ce fait connu et admis. Ce n'est donc pas l'aspect animalier qui m'a le plus intéressée, dans ce livre, au contraire. L'auteur du livre est la bibliothécaire qui a recueilli Dewey et a vécu 19 ans à ses côtés. Elle est et reste très attachée à ce chat, et c'est un aspect que, si je peux le comprendre au regard de son histoire, relatée brièvement dans la préface, j'ai un peu de mal à supporter, tant, parfois, il a un côté mièvre ou sentimental qui m'insupporte quelque peu.
En revanche, l'auteur ne fait pas que parler de la relation de l'homme avec le chat. Elle donne à lire de vraies biographies de personnes très ordinaires, héroïnes de ces histoires de la vie quotidienne. Par ces biographies, elle brosse un tableau passionnant, haut en couleurs, de l'Amérique des années 50 à aujourd'hui, et en particulier des petites bourgades rurales de l'Iowa. On est loin, ici, des descriptions de la vie trépidante des grandes mégapoles de la côte Est ou de la Californie, loin aussi des paillettes des séries télévisées ou des clichés des grandes villes, on est aussi à des années lumière d'Hollywood et du "rêve américain". Le lecteur est au contraire transporté dans l'Amérique rurale profonde, dure, et ce livre, rien que pour ça, mérite le détour. Que le prétexte de ce détour soit un chat rend le voyage plutôt pittoresque. 
Cette lecture est une belle découverte, donc, même si elle ne restera pas pour moi la meilleure de l'année. Un grand, grand merci à BOB et aux éditions Jean-Claude Gawsewitch pour ce joli partenariat !

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Daniel Garcia.
Paru aux éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2010. ISBN : 978-2-35013-241-9.

dimanche 26 décembre 2010

Sasmira, tome 1 : L'Appel, de Laurent Vicomte

Edition de 1997 (Les Humanoïdes Associés)
Edition de 2008 (Glénat)
En 1997, j’ai découvert, dans une librairie de Dijon, un petit bijou de la bande dessinée qui venait de sortir: le tome 1 de la série "Sasmira", de Laurent Vicomte, dont le titre est "L’Appel". J’ai dévoré cet album, je l’ai lu, relu, et relu encore, jusqu’à le connaître presque par cœur, en attendant de lire la suite. Et j’ai interrogé les libraires à chaque fois que l’occasion se présentait: qu’en est-il du tome 2 ?
La réponse a toujours été la même : "On ne sait pas, on attend aussi, il n’est pas annoncé".
J’avais fini par presque oublier cet album, malgré la magie qu’il dégage. Jusqu’à la fin de l’année 2008, où j’ai découvert qu’il était réédité chez Glénat. Se pourrait-il qu’il y ait une suite ?
Quand le projet "Nuée frivole" a vu le jour, j’ai bien sûr écrit un article sur cette bande dessinée, qui a fait et fait encore couler beaucoup d’encre dans le petit monde de la bd. Parce que oui, la suite est en cours. Elle arrive, même, à la fin de l'année 2011. Laurent Vicomte, pour ce tome 2, est toujours au scénario, mais c’est Claude Pelet qui est au dessin. Son site vous donnera des informations fiables et magnifiques : croquis, progrès de l'album, informations sur sa rencontre avec Vicomte, sur sa reprise de ce travail commencé il y a bien longtemps... J'ai contacté le dessinateur par mail, qui m'a confirmé que l'album progressait bien. Il devrait sortir d'ici un peu moins d'un an. Notre patience de lecteurs aura donc été récompensée. Il faut dire que presque 14 ans entre deux tomes d’une série, c’est long, très long, surtout quand on sait que Vicomte a écrit la totalité de la série il y a bien longtemps déjà, et que le souci vient de la réalisation… A croire que cet auteur est tellement perfectionniste qu’il ne peut pas se résoudre à dessiner Sasmira… Le mystère reste pour moi entier, mais la sortie prochaine de ce tome 2 me laisse pleine d’espoir… et me fait trépigner d’impatience !
En attendant, vous pouvez lire ici ma chronique sur le tome 1, en attendant de pouvoir vous livrer celle du tome 2.

Paru aux éditions Humanoïdes associés, 1997. ISBN : 2-7316-1261-4
Réédité aux éditions Glénat, 2008. ISBN : 978-2-7234-6586-1

samedi 25 décembre 2010

Un Soir de décembre, de Delphine de Vigan

Après la lecture de ce roman (le troisième de Delphine de Vigan que je lis, mais pas le troisième qu'elle a écrit), un mot s'est imposé dans ma tête : tactile. Roman tactile. Il est ici question d'ascension, de descente aux enfers, de reconstruction, de rencontre, de retrouvailles par lettre. Alors pourquoi "tactile" ? Parce que ce sens est présent en arrière plan dans tout le roman. Ce n'est pas le sujet du livre, mais tout au long du roman, le toucher est extrêmement présent, au point que j'ai eu envie de caresser les pages, tant l'aspect contact physique était important à la lecture. Les mots ont parfois un pouvoir étonnant.
Matthieu est marié, père de deux garçons. Il travaille dans une entreprise privée, dans la mode, mais rien n'est précis sur sa fonction ou son métier. Il est peut-être dans la communication, dans la publicité. En tout état de cause, il est passionné par les corps féminins: c'est un "homme à femmes", jusqu'à sa rencontre avec Elise, "la" femme de sa vie.
Et il se met un jour à écrire. Un roman qui connaît tout de suite un immense succès. Commence alors la vie publique (interviews, télévision, radios...) et les lettres des fans. Parmi elles, une lettre retient son attention : cette femme le connaît personnellement. De lettre en lettre, Matthieu change, cherche cette femme, se souvient, se remet à écrire, s'éloigne de sa femme et de ses enfants...
C'est un roman sur l'intime, sur l'intimité d'un homme mais aussi de Sara, l'auteur des lettres. C'est surtout un roman sur l'écriture, son rôle d'exutoire, mêlé de solitude, la solitude nécessaire à l'auteur devant son roman, quitte à blesser ses proches.
Delphine de Vigan écrit ici sur l'introspection, l'intime, et donne à lire un roman plein de non-dits, de demi-mots...
Le dernier thème est celui du corps, physique, touché, fantasmé, caressé, rêvé, qui m'a donné l'image d'un roman "tactile" où le toucher, la caresse, sont très très présents, donnant ici une ambiance étrange, conférant parfois à l'érotisme, allant jusqu'au glauque à certains moments, sans pour autant aller jusqu'à la vulgarité. Un roman prenant, qui fait peu rêver mais ne laisse pas indifférent.

Paru aux éditions Seuil, 2007 (Points). ISBN : 978-2-7578-0271-7.

vendredi 17 décembre 2010

La Montée des eaux, de Thomas B. Reverdy

Au mois de novembre, j’ai joué sur le blog de Clara à un jeu qui m’a permis de gagner un roman que j’ai dévoré et terminé ce matin. Voici une petite chronique « à chaud », écrite en attendant l’ouverture du magasin pour les courses hebdomadaires (eh oui, il faut rentabiliser le temps passé en voiture et en déplacements, surtout quand il neige !).

C’est un roman à la fois étrange, bien écrit, et construit de manière étonnante, quoique classique finalement.
Au niveau de l'écriture tout d'abord, les phrases sont très typées. Certaines sont extrêmement longues (plus d'une page pour l'une ou l'autre, au moins une demi-page pour beaucoup), rendant le récit dense, voire difficile, parce que beaucoup de propositions, d'incises, nécessitent dans certains cas une relecture du début de la phrase pour que le lecteur sache qui parle, et de quoi. Ce qui peut nuire à la lecture mais la rend aussi très touffue, dense, avec un côté inextricable, urgent. Le choix des mots est fait tout en finesse, dans le détail, et c'est surtout avec ces détails que l'atmosphère est rendue. D'autres phrases, au contraire, sont très courtes, voire quasi-inexistantes : hachées, parfois sans sujet ou sans verbe, elles donnent au texte une urgence également, ainsi qu’un rythme qui contraste avec le temps long qui s'écoule dans d'autres parties du roman.
Le temps, d'ailleurs, semble être un élément fondamental du roman : le temps qui s'écoule, lentement, mais qui n'est jamais nommé. De nombreuses questions n'ont d'ailleurs aucune réponse : à quelle époque ce roman se déroule-t-il ? Sur combien de temps porte-t-il ? Rien n’est dit, ou presque, si ce n’est quelques bribes ici et là, mais ne permettant jamais une chronologie complète des événements, d’autant que le texte semble aller, pour une part, à rebours des événements passés. De quoi perdre un peu plus le lecteur dans ses conjectures sur ce temps qui s’écoule…
Mais plus que du temps qui s’écoule, il s'agit en réalité du temps qu'il fait. Il pleut beaucoup, tout le temps. L'atmosphère décrite est de ce fait noire, pluvieuse, orageuse, violente dans les éléments qui se déchaînent. Ce n’est pour autant pas un roman sur la météo.
Le titre, "La Montée des eaux", fait penser à un roman d'anticipation qui se déroulerait après le réchauffement climatique annoncé. Mais l'auteur ne parle pas de cela, laissant ce possible événement en toile de fond pour s'attacher à son (ou peut-être « ses » ?) personnage. Le temps météorologique est fondamental dans ce roman, semble y avoir la première place, tout en étant toujours en arrière-plan, comme s’il était un élément du décor uniquement, alors que tout tourne autour de cette météo : les affects des personnages sont particulièrement liés au soleil ou à la pluie, rendant cet aspect du livre très important.
Le récit est écrit en alternance, sous deux formes narratives différentes. Un chapitre sur deux, le récit est écrit à la première personne du singulier, par un homme dont on ne connaît pas l'identité. Il y parle, au présent, de sa vie, de ses amis et rencontres, de sa rencontre avec une jeune femme, de l'état dans lequel il se trouve avec elle, de son bonheur, puis de son malheur... Le chapitre suivant est écrit à la troisième personne du singulier, par un narrateur "omniscient", qui décrit la scène où se joue le drame d'un homme qui vient d'enterrer sa mère, et seuls quelques indices permettent de lui donner un nom.

C'est un roman sur la perte, la mort, la séparation, l'amour, la mémoire, peut-être aussi la recherche de sens, d'un sens aux événements qui arrivent dans une vie. Un beau roman, plutôt exigeant  parce que beaucoup dans le non-dit, justement, où un mot, un seul, permet de lier les deux récits, sans pour autant donner jamais la certitude de la justesse de cette explication. Sans être difficile au niveau écriture, la construction du récit et des phrases en fait une lecture un peu moins facile que d'autres, mais très plaisante !

Une belle découverte, en tout cas, et qu’il me soit ici permis de remercier Clara et les éditions Points, pour ce jeu concours qui m’a permis de découvrir un nouvel auteur vers lequel je ne serais peut-être jamais allée sans cela !

Paru aux éditions Points, 2010. ISBN : 978-2-7578-1948-7.

dimanche 5 décembre 2010

Je suis deux, de Marietta Ren et Eugény Couture


 
Je suis deux est une petite merveille, tant au niveau graphique que par les textes. Il s’agit ici d’une nouvelle en trois actes, illustrée à merveille par Marietta Ren.
Je suis deux, c’est l’histoire d’une femme qui se dissociée : Soma, le corps, d’un côté, Enoïa, l’esprit, de l’autre. Enoïa se protège de l’extérieur, construit une sorte de cage dans laquelle elle se cache, s’isole… Soma, elle, s’expose au départ, puis se laisse enfermer dans une tour, pour ne pas faire n’importe quoi. Il faudra l’arrivée de Lui, l’homme, pour faire changer les choses et réunifier Elle.
Les illustrations sont uniquement en noir et blanc, sous forme de traits blancs sur fond noir ou noirs sur fond blanc. Les traits des personnages sont plutôt froids car minimalistes, mais en ce sens collent parfaitement avec le texte, puisqu’Enoïa cultive la hauteur, la solitude, l’isolement de manière à se protéger du monde extérieur, des Amants, de la Mère des hommes et des trois sœurs de Elle. Ce qui est formidable avec ces dessins, c’est que tout y est dit sans aucun décor, sans aucun artifice : uniquement le dessin des personnages tout en rondeurs de Marietta Ren. Ce dessin épuré est construit autour de lignes verticales et horizontales, toutes issues des cheveux de Soma et d’Enoïa. Les rares éléments de décor (la tour où est enfermée Soma en particulier) sont constitués de mains qui s’enchevêtrent et se chevauchent.

Cette nouvelle en trois actes est donc un très beau poème magnifiquement illustré. Les dessins sont aériens, sobres, parfois enchevêtrés, et l’absence quasi-totale de décor est compensée par les lignes pures des corps qui, sur certaines vignettes, forment elles-mêmes ce décor manquant. Une très belle réussite, présentée sous coffret en carton, en faisant en plus un objet précieux.

Paru aux éditions Ankama, 2010. ISBN : 978-2-35910-035-8

samedi 4 décembre 2010

Le Bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh

Bande dessinée ou roman graphique ? Par la présentation, la mise en page, les cases bien délimitées, nous sommes bien ici en présence d’une bande dessinée. Mais l’histoire, sa construction nous plongent dans un vrai roman d’amour.
Finalement, peu importe. Que cet ouvrage appartienne à tel ou tel genre n’est qu’accessoire.
J’ai découvert cette bande dessinée il y a quelques mois, grâce à un article de Pearl sur le projet Nuée Frivole (nuage de blogs dont je suis l’une des rédactrices, dont je vous avais déjà parlé dans les premiers billets de ce blog). Compte-tenu du thème, l’homosexualité, je l’ai acheté pour la bibliothèque où je travaille (dans le domaine social), et je n’ai pas pu m’empêcher, quand je l’ai reçue, de m’y plonger. J’ai du coup commandé un exemplaire pour moi, histoire de pouvoir lire et relire cet ouvrage sans le faire sur mon temps de travail, et donc sans culpabiliser.
Bien m’en a pris, ce livre est un petit bijou.
Graphiquement, d’abord, parce que le dessin est doux, parfois minimaliste et épuré. D’entrée de jeu, le lecteur est plongé à la fin de l’histoire. Clémentine, l’une des deux héroïnes est morte, et dès la première page, le lecteur fait connaissance avec Emma, son amie, sa compagne, son amour. Le récit alterne alors les moments du présent et la lecture d’Emma, à qui Clémentine a légué ses journaux intimes. L’auteur utilise la couleur pour le présent et le noir et blanc pour le passé, avec uniquement la couleur bleue des cheveux d’Emma au moment de leur rencontre, couleur qui donne son nom à l’album. Le dessin contraste parfois avec l'histoire, qui peut paraître parfois violente, difficile ou crue : avec ses couleurs, ses fonds dégradés, il est surtout très réaliste, extrêmement expressif et d'une grande finesse, très abouti.
Pour l’histoire, c’est essentiellement la découverte de l’homosexualité d’une adolescente de 16 ans, que l’on suit jusqu’à sa mort à 30 ans. Le propos est celui de la découverte de la différence, de l’homosexualité, de la difficulté que ressent Clémentine à accepter cette sexualité aux antipodes de ce qu’elle imaginait. Il y est question aussi du rejet par les autres, à cause de cette différence, de la honte, puis de l’acceptation de soi, du regard des autres. C’est une histoire de souffrance, finalement, mais surtout l’histoire de deux jeunes femmes qui se découvrent, s’aiment et luttent, ensemble ou l’une contre l’autre, pour vivre.

Les luttes des lobbies gays et lesbiens sont présentes dans cette bande dessinée, mais en toile de fond uniquement. La lecture est donc très équilibrée, et évite l’écueil de la revendication à tout crin, que ces revendications soient légitimes ou non. Ce n’est en effet pas du tout là la question. L’auteur se place clairement sur le plan personnel et non pas politique, même si cette question n’est pas absente du propos.  Il n'y a donc là aucun militantisme, et Julie Maroh nous offre ici toute la complexité de cette question de l’homosexualité, en dépassant les dogmes, les lois et les règles, et parle de la personne. Les ambiguïtés dans les comportements ne sont pas éludés, et finalement, on ne peut que voir en ces deux jeunes femmes des êtres humains qui se cherchent, tentent de se trouver, de s’accepter, elles-mêmes d’abord, et l’une l’autre ensuite. Rien que des personnes normales donc.
Cet ouvrage ne laisse pas indifférent. Finalement, la différence fait peur, que cette différence soit liée à la sexualité ou au handicap par exemple. Si revendication il y a, c’est uniquement pour demander que tous soient regardés d’abord comme des êtres humains, et non pas en fonction de leur handicap ou de leur sexualité.

Pour en savoir plus, vous pouvez aller voir le blog de Julie.

Paru aux éditions Glénat, 2010. ISBN : 978-2-7234-6783-4.

vendredi 3 décembre 2010

Le Carré de la vengeance, de Pieter Aspe

Cela faisait un moment que je n’avais plus lu de roman policier. Lorsque j’ai demandé, un peu par hasard, un partenariat avec Blog-o-Book, et que ce livre m’a été attribué, j’ai vu avec surprise qu’il se passait à Bruges, une magnifique ville du pays Flamand Belge que j’ai visitée  il y a un peu plus de deux ans.
J’avais donc un a priori positif vis-à-vis de ce roman, d’autant plus que, pendant longtemps, les romans policiers ont été quasiment ma seule lecture romanesque. C’était donc en quelque sorte un retour à mes premières amours.
Eh bien je n’ai pas été déçue le moins du monde.
Le lecteur est plongé directement dans l’intrigue par la découverte fortuite d’un cambriolage dans la bijouterie la plus chic et la plus chère de la ville, tenue par Ghislain Degroof. Il fait par la même occasion la connaissance du Brigadier Versavel, du substitut du Procureur du Roi Hannelore Martens et surtout du commissaire-adjoint Pieter Van In. Leur enquête conjointe les conduit dans les méandres de la politique et du pouvoir, mais aussi dans une sombre histoire de famille. Le rythme est échevelé, sans aucun temps mort dans la narration, avec de multiples rencontres, des pistes, vraies ou fausses, mais jamais artificielles où l’on sent qu’elles ne sont là que pour perdre le lecteur. Il n’y a ici rien d’inutile ou de surfait, tous les personnages étant à la fois acteurs dans l’intrigue et une part de la réponse au mystère. Par ailleurs, le lecteur suit également les coupables, dont il apprend assez vite l’identité. Mais, comme dans tout roman policier qui se respecte, ce n’est que dans les dernières pages, dans les dernières lignes, que les pièces du puzzle se mettent place.

Une lecture facile, réjouissante aussi parce que non dénuée d’humour, fait de ce roman un moment plus qu’agréable, qui nous plonge dans la Belgique de la fin du XXe siècle, dans le cadre enchanteur mais actuel, loin des peintures du Moyen-âge, de la ville de Bruges.
Un grand merci à BOB* et aux éditions LGF**-Le Livre de Poche pour ce partenariat qui m’a permis de découvrir cet auteur Flamand qu’est Pieter Aspe !

Paru aux éditions LGF, 2010 (Le Livre de Poche). ISBN : 978-2-253-12703-1.

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BOB : Blog-O-Book pour les habitués de ce site
LGF : Librairie Générale Française, éditeur de la collection Le Livre de Poche

samedi 27 novembre 2010

Gonzo Lubitsch ou l'incroyable odyssée, de Nick Harkaway

Gonzo Lubitsch est un roman assez inclassable, comme promis à la lecture de la 4e de couverture. Inclassable, car il touche au roman d’aventures, aux arts martiaux, avec une bonne dose d’humour sans pour autant être une parodie, c’est aussi un roman d’anticipation sans appartenir réellement au genre dit "fantastique"… Inclassable, donc, mais surtout passionnant. L’auteur, d’ailleurs, n’en fait pas mystère, puisqu’il a "voulu, avec ce livre, [nous] dérober une journée de [notre] vie".
Il m’aura fallu plus d’une journée pour le lire. Ce roman, en effet, est dense, il fourmille de détails, qui peuvent sembler parfois saugrenus, inutiles… et ne le sont pourtant pas tant que cela. La lecture est assez facile, mais le récit, à la première personne, est parfois haché. L’auteur utilise en effet beaucoup les digressions de son personnage principal (le narrateur), pour alimenter son récit.
Au premier abord, la construction du roman semble simple : le premier chapitre pose la situation dans laquelle se trouvent les personnages. Les sept chapitres suivants permettent au lecteur de comprendre comment ils en sont arrivés là, et le neuvième chapitre résout l’énigme ou en tout cas le problème posé au premier chapitre. Le roman aurait donc pu s’arrêter là, la boucle étant bouclée. Oui, mais… non.
Il reste en gros 250 pages, soit sept chapitres où le lecteur voit l’intrigue repartir, se complexifier, et aller dans une direction tout à fait différente, tout à fait surprenante aussi.
C’est réellement dans cette deuxième partie que le monde imaginé par Nick Harkaway se révèle au lecteur, avec tout ce qu’il comporte d’horreur, de noirceur, d’inhumanité, d’inconnu, d’étrange. Cette deuxième partie voit aussi les acteurs de cette histoire devenir vraiment eux-mêmes, et la vérité, surprenante, participe en tout point à l’intérêt de l’intrigue, malgré quelques longueurs dues en particulier aux digressions du narrateur. On aurait envie de le voir comprendre plus vite ce qu’il en est, d’autant plus que c’est de plus en plus évident au cours de la lecture. Mais le nœud de l’énigme n’étant pas là où on l’attend, ces artifices participent également à perdre le lecteur et à donner davantage de densité au récit. La narration à la première personne donne au lecteur de "vivre" l’action en même temps que le narrateur, de suivre ses raisonnements, ses doutes, ses émois, ses étonnements… et ses surprises !

En définitive, j’ai beaucoup apprécié ce roman, pour son univers foisonnant, son écriture drôle même si le sujet ne l’est pas, pour le rebondissement inattendu du récit en son milieu, pour la façon dont l’auteur parvient à agencer de manière certes quelque peu tirée par les cheveux, mais bien vue malgré tout et surtout bien amenée, les différents éléments évoqués depuis le début du récit, donnant donc le sentiment que tout est logique, naturel, normal. Un roman où je me suis bien amusée, donc !

Un grand, grand merci aux éditions Robert Laffont et à Blog-o-book pour ce partenariat !

Traduit de l'anglais par Viviane Mikhalkov.
Paru aux éditions Robert Laffont, 2010. ISBN : 978-2-221-11035-5

lundi 22 novembre 2010

Microbes, de Diego Vecchio

Cet ouvrage est étrange. Il s’agit d’une série de 9 textes, présentés comme une anthologie de maux corporels, de maladies, de tares… On y voit par exemple une femme atteinte de tuberculose, deux sœurs siamoises, un écrivain fumeur, une jeune femme anorexique, un homme atteint d’hallucinations… C’est donc à première vue une série de textes sur diverses maladies.
Mais pas uniquement. Parce que tous ces textes ont un rapport plus ou moins évident avec la littérature, avec l’écriture en particulier : la tuberculeuse guérit les maladies infantiles en écrivant des contes ; le jeune homme halluciné traduit un texte d’Hippocrate sous la dictée d’outre-tombe de ce dernier ; les deux siamoises se voient devenir serveuses dans le transsibérien parce que l’une d’elles est condamnée à cause de ses pièces de théâtre… L’auteur mêle ici le réalisme des descriptions des maladies à la fantasmagorie et au fantastique des situations dans lesquelles il met ses personnages.
Et c’est bien ça qui m’a le plus dérangée dans la lecture de ces nouvelles. Chacune d’elle commence plus ou moins par une situation tout à fait crédible, historiquement située au début du 20e siècle ou à la fin du 19e. Et assez rapidement, le récit part dans une direction inattendue, un peu dingue, voire totalement fantasque. Le réalisme du début, allié à l’humour de l’auteur, pourraient faire mouche s’ils n’étaient décrédibilisés par le dénouement parfois abrupt, voire incompréhensible, de ces textes. Ce n’est pas le côté fantastique des récits qui m’a le plus posé problème, mais bien leur côté totalement absurde, ou plutôt aberrant. Rien n’est crédible, et, pire, ces procédés narratifs sabotent le début des textes, pourtant très réalistes et basés, semble-t-il, sur de véritables connaissances médicales et scientifiques.
Les critiques que j’avais lues de ce recueil étaient élogieuses, parlant de textes drôles, hilarants, même. Personnellement, si j’ai beaucoup souri lors de la lecture de la première nouvelle, cela n’a pas été le cas par la suite, sans doute parce que l’effet de surprise est absent des textes suivants, qui obéissent tous aux mêmes ressorts narratifs et « humoristiques ».
A la lecture de ce recueil, je me dis que manier, dans l’écriture, l’absurde, le fantastique, et une bonne intrigue n’est pas à la portée de tout le monde.
Une lecture à mon sens décevante, donc, que je vais tâcher de vite oublier en passant à autre chose.

Traduit de l’espagnol par Denis Amutio.
Paru aux éditions L’Arbre Vengeur, 2010 (Forêt invisible). ISBN : 978-2-916-1414-8-0

lundi 15 novembre 2010

Schizomètre, petit manuel de survie en milieu psychiatrique, de Marco Decorpeliada


Marco est un jeune homme hospitalisé en hôpital psychiatrique pendant plusieurs années. Ce livre est tout simplement la transcription de son journal, écrit durant son hospitalisation, avant sa mort. Ecrit d’abord sur un cahier à spirale, ancien livre de comptes de sa mère, puis sur l’ordinateur offert par sa jeune sœur habitant Vancouver, et enfin un dernier e-mail envoyé depuis le Mexique.
Le récit foisonne de mots, de jeux de mots, sur la folie de Marco, sur l’hôpital, son fonctionnement, les médecins, le personnel… Marco garde tout, il collectionne les paquets de cigarette vides, les canettes bues, les tickets de métro…, il établit aussi un parallèle osé entre le DSM IV (la classification des maladies mentales) et le catalogue des surgelés Picard. Le code 60.0, par exemple, signifie « Personnalité paranoïaque » dans le DSM IV, mais aussi « Pommes rissolées XL », et se met à manger en fonction du diagnostic posé.
L’ouvrage se termine par dix « fiches de survie », où Marco donne des conseils au lecteur, censés lui permettre de s’en sortir lors d’une hospitalisation en psychiatrie : lire Perec, sympathiser avec les agents d’entretien, apprendre à lire à l’envers…
Le récit est drôle, bien mené, parfois critique vis-à-vis de l'institution, et on se demande souvent qui, du médecin ou du malade, est le plus fou, le plus lucide. C'est une lecture vraiment réjouissante, enthousiasmante, même… jusqu’à ce que le lecteur, curieux de voir l’œuvre de Marco, mette le DVD qui accompagne le livre dans le lecteur… et apprenne la vérité.
En définitive, je suis assez mitigée sur ce livre : autant l’écrit est enthousiasmant, autant le DVD qui révèle la vérité casse l’impression première… dommage. Mais je suis malgré tout heureuse de savoir ce qu’il en est exactement !
Paru aux éditions Epel, 2010. ISBN : 978-2-35427-013-1

vendredi 12 novembre 2010

Personne, de Gwénaëlle Aubry

Ce roman est non conventionnel à plus d’un titre. Il s’agit d’un portrait, en vingt-six lettres, d’un homme, François-Xavier Aubry, père de l’auteur. Un abécédaire pour dire qui était cet homme, sans autre logique que celle de l’ordre des lettres de l’alphabet.

A travers le roman écrit par son père maniaco-dépressif, qu’elle découvre après sa mort, l’auteur tente de mettre de l’ordre dans le désordre. A ce titre, le choix de l’abécédaire est tout à fait pertinent en ce qu’il reflète à la fois la tentative et l’impossibilité qui’ y a à la mener à bien. La construction par « lettre » empêche toute chronologie, et donne un roman éclaté, où l’histoire est décousue, telles les pièces d’un puzzle qui ne parviennent pas à reconstituer le décor. Il est donc impossible de reconstituer l’histoire en elle-même, mais l’important semble être ailleurs.

Au niveau de l’écriture elle-même, ce roman est assez perturbant, dans la mesure où l’auteur utilise des phrases très longues, avec de nombreuses énumérations, des apartés, qui donnent parfois l’impression de fouillis et entravent la compréhension du texte. Mais là encore, ce parti-pris permet d’entrer dans la confusion des sentiments de cette femme pour son père. Elle a souffert par lui, à cause de lui, de sa maladie. Elle l’a aimé infiniment aussi. Les choix du processus d’écriture et de la construction du récit illustrent donc ici tout autant que les mots la confusion du père et les efforts que fait sa fille pour le comprendre, pour réapprendre qui il était.

C’est en définitive ce que je retiendrai de ce récit : il s’agit d’un cri d’amour d’une fille pour son père, malgré la déchéance, malgré la maladie, la souffrance et la mort. Reste la douleur et l’avenir, la reconstruction.

Paru aux éditions Mercure de France, 2009 (Bleue). ISBN : 978-2-7152-2929-7

lundi 8 novembre 2010

Le Bruit des trousseaux, de Philippe Claudel


J’avais déjà lu, du même auteur, « La Petite fille de monsieur Linh », que j’avais beaucoup, beaucoup aimé. Ici, j’ai retrouvé le style de Claudel, à la fois poétique et sensible, même si le récit est totalement différent. Parler de « récit », d’ailleurs, semble inapproprié, puisqu’il s’agit plutôt là d’une sorte de liste, de catalogue sans classement, sans ordre apparent. L’auteur témoigne ici de ses onze années en tant que professeur en prison. Onze années durant lesquelles il a dispensé ses cours aux détenus, mineurs comme majeurs. Il y parle des cours, ou plus exactement des conditions dans lesquelles il donnait ses cours, des détenus, de la prison, des gardiens, de la vie quotidienne, des mots de la prison… il la décrit de l’intérieur, avec un œil extérieur. D’ailleurs, il le dit lui-même, il s’agit ici d’un « faux témoignage » : « Il me manque quelque chose d’essentiel pour parler de la prison, c’est d’y avoir passé une nuit. » Comme si son témoignage était incomplet, qu’il n’avait pas pu, malgré onze années passées à y donner des cours, à y rencontrer les détenus et à échanger avec eux, saisir l’essence même de ce qu’est la prison, l’incarcération ; comme si son témoignage n’était pas, et ne serait jamais assez complet pour décrire la réalité de la prison.

Un beau récit malgré tout : si effectivement le lecteur ne peut percevoir à travers ces lignes qu’un pâle reflet de la vie derrière les barreaux, le texte a au moins l’immense mérite de tracer une sorte de portrait très nuancé, peut-être un peu flou mais malgré tout sans doute ressemblant de cette vie enfermée. Et en tout cas, Claudel y raconte son expérience, et uniquement celle-ci, sans prétendre à autre chose. Et ce n’est déjà pas si mal.

Paru aux éditions LGF, 2008 (Le Livre de Poche). ISBN : 978-2-253-07297-3

vendredi 5 novembre 2010

La Peur, de Stefan Sweig

J'ai commandé récemment à l'ISSM un petit livre de Stefan Sweig, "La Peur", qui est en réalité un recueil de 6 nouvelles. J'étais très curieuse de lire ces textes, n'ayant encore jamais rien lu de cet auteur. Eh ben je n'ai pas été déçue du voyage ! Car c'est à un véritable voyage dans l'espace et le temps que nous convie Sweig. Voyage dans le Paris des années 30, dans la Vienne d'avant-guerre, en Allemagne... Ces nouvelles mettent toutes en scène des personnages étranges : une inconnue qui semble tout savoir de l'héroïne de "La Peur", un pickpocket, une servante, une femme dont on ne saura jamais le nom, un bouquiniste, un collectionneur...
Le ton est à l'étonnement. Le narrateur est là en observateur, en découvreur, en dépositaire d'une histoire étrange, hors du commun, celle de ces personnages étranges, hors du commun.
Ces textes forment un tout extrêmement cohérent, où l'écriture fourmille d'images, de détails, d'odeurs, d'atmosphères variées, étonnantes, suffocantes, affolantes.
Dans "La Peur", la première et la plus longue des six nouvelles, la plus emblématique aussi, tout y est : le personnage mystérieux, l'ambiance étouffante, suffocante, les sentiments exacerbés, l'incompréhension, le mystère, le piège... la densité de l'écriture, enfin, qui donne à ce récit comme aux autres leur force brutale, à la fois tendre et terrifiante. Il se dégage de ces textes une profonde humanité, car l'auteur y décrit la vie, les sentiments, l'imaginaire, les illusions, la folie presque des gens simples qui se battent simplement pour vivre leur vie, leurs rêves.
De très beaux textes, émouvants, chaleureux même si les sujets sont douloureux, parfois sordides.
Stefan Sweig y peint tout simplement à merveille les passions humaines.

Paru aux éditions LGF, 2002 (Le Livre de Poche)(réimpression 2009, avec une autre couverture). ISBN : 978-2-253-15370-2

jeudi 28 octobre 2010

Pas ce soir, je dîne chez mon père, de Marion Ruggieri


Voilà une lecture légère et réjouissante. Marion a trente ans, son père en a cinquante-cinq, mais il se comporte avec sa fille comme si elle était au moins aussi âgée que lui, ou plutôt comme s’il était aussi jeune qu’elle. Et elle, du coup, a l’impression d’être beaucoup, beaucoup plus âgée qu’elle ne l’est en réalité. Ce court roman raconte les déboires amoureux de cette jeune femme qui cherche sa place entre sa mère absente et infidèle et son père coureur de jupons de plus en plus jeunes.

Je me suis beaucoup amusée à la lecture de ce roman. Non pas qu’il soit comique, mais plutôt que l’humour incisif de l’auteur jaillit au détour d’une phrase, donnant un tour surréaliste à la scène décrite. Un roman sur les relations entre un père et sa fille, sur le fait de grandir, de devenir adulte, sur la crainte de ne plus être aimée par celui qu’elle aime et admire le plus, malgré elle d’ailleurs. L’écriture est volontiers provocatrice, et j’ai parfois eu l’impression de lire les propos d’une adolescente attardée plutôt que d’une trentenaire, par le ton, les mots employés. A aucun moment je ne me suis ennuyée, et si la construction du roman, avec des allers-retours dans le passé de plus en plus fréquents, n’est pas toujours simple à suivre, on s'y retrouve toujours très bien, tant cette histoire pourrait être celle de beaucoup. L’auteur joue volontiers aussi sur la confusion des personnes : à la fin, on ne sait plus vraiment de qui elle parle : de son ami « officiel » ? de son père ? de son amant ? Mais c’est pour mieux faire entendre au lecteur le propos sous-jacent de ce livre, qui parle avant tout de l’immaturité de certains adultes, de la confusion des rôles dans notre société, voire de leur inversion parfois : les enfants doivent rester à leur place d’enfant, encore faut-il que les parents ne les mettent pas à une autre place que celle où ils doivent être… Un roman autobiographique à la fois tendre, drôle et cruel, sur cette obsession du jeunisme qui concerne finalement bien du monde dans nos sociétés actuelles.

Paru aux éditions LGF, 2009 (Le Livre de poche). ISBN : 978-2-253-12665-2

Paru aux éditions Grasset, 2008. ISBN : 978-2-246-70831-5

lundi 25 octobre 2010

Concerto à la mémoire d'un ange, d'Eric-Emmanuel Schmitt


Ce livre m’a été prêté par ma collègue, et j’ai eu beaucoup de mal à l’ouvrir. Je n’avais tout simplement pas envie de le lire. J’avais déjà lu, de cet auteur, «Oscar et la dame rose», et «L’Evangile selon Pilate», deux romans qui m’avaient bouleversée. J’aurais dû être plus enthousiaste quant à la lecture de ce recueil de nouvelles, mais c’était sans compter le temps qui passe et les a priori qu’on peut avoir sur un auteur ou un autre. J’aimais bien le style d’Eric-Emmanuel Schmitt, et j’étais légèrement déçue de voir le personnage qu’il semblait être devenu, le succès aidant. Du coup, je n’avais plus grande envie de lire ses écrits, parce que le personnage de l’auteur m’énervait un peu. L’auteur m’énerve toujours, mais il arrive un moment où on doit dépasser ses humeurs et regarder l’œuvre.
Globalement, j’ai bien aimé ces nouvelles. Les histoires sont prenantes, les personnages décrits sobrement mais très fortement (oui, l’économie de mots, indispensable dans les nouvelles, n’empêche pas le détail, si tant est que les mots sont bien choisis pour le faire), les intrigues bien menées. Pour le coup, les nouvelles m’ont donc plu, mais il y manque un petit quelque chose. Malgré leurs indéniables qualités, elles ne resteront pas forcément dans ma mémoire comme de grands moments de lecture. Juste des moments agréables, mais qui ne me marqueront pas durablement. C’est dommage, parce que les thèmes abordés sont passionnants et prometteurs. Il y est question, de bout en bout, de l’évolution d’une personne. Que ce soit dans la première nouvelle ou dans les autres, il est toujours question d’une personne qui a le choix, qui peut faire le bien ou le mal ou se repentir et assumer ses erreurs («L’empoisonneuse», «Concerto à la mémoire d’un ange»), qui change avec le temps et l’expérience («Le Retour»), qui peut trouver le bonheur, pour peu qu’elle accepte de faire confiance («Un amour à l’Elysée»). L’auteur décrit l’évolution d’une ou de plusieurs personnes, en fonction des actes posés, des peurs, des questionnements, des aléas de la vie. Seulement ces nouvelles laissent peu de place à l’espérance et à la vie, justement: leur conclusion est toujours noire, même si la dernière, malgré le dénouement tragique, est légèrement différente.
En définitive, ce qui m’a le plus parlé, c’est le journal d’écriture qui se trouve à la fin de l’ouvrage, après les nouvelles. L’auteur y parle de son rapport à l’écriture et à ses personnages, de la naissance des nouvelles, du contexte dans lequel elles ont été écrites… et c’est finalement cet aspect du livre qui m’a le plus touchée. J’y ai retrouvé certains de mes doutes et de mes soucis quant à l’écriture. Ca ne règle pas les problèmes mais permet de comprendre qu’ils sont une phase normale dans le processus de l’écriture.

Paru aux éditions Albin Michel, 2010. ISBN : 978-2-226-19591-3

dimanche 24 octobre 2010

Un Père pour mes rêves, d'Alan Duff


Dans le cadre de mon travail, je suis amenée à lire un certain nombre d’ouvrages que je n’aurais sans doute pas découvert autrement, tant ils sont aux antipodes de mes lectures habituelles. Celui-ci fait partie de ces découvertes, et c’en est une très heureuse.
Alan Duff est un auteur néo-zélandais qui vit en France une partie de l’année. Ce roman fait la part belle à son pays d’origine.
Henry, guerrier Maori, revient en Nouvelle-Zélande à la fin de la Seconde guerre mondiale. Il y retrouve Lena, sa femme, et leur fille Mata, ainsi qu’un petit garçon dont il ne peut être le père, Mark, que tous au village de Waiwera surnomment « Yank ». Yank, pour Yankee, car Mark est le fruit de l’amour entre Lena et un soldat américain, qui a passé quelques semaines en Nouvelle-Zélande au cours du conflit mondial.
Ce roman est une histoire de famille, de père, de fils, de recherche d’identité : Yank doit vivre avec son père adoptif qui le rejette de tout son être, il doit faire face aux humiliations, à l’injustice, à la différence de traitement entre ses demi-sœurs et frère et lui. Mark grandit en idéalisant son père biologique, son héros. Un jour, sa mère lui révèle son identité. Devenu adulte et musicien professionnel, Mark commence un voyage initiatique aux Etats-Unis, dans le Mississipi des années 1960, où être né Noir est un crime puni des pires façons par les « bons » Blancs du Ku-Klux-Klan.
Alan Duff signe là un roman puissant, violent, subversif, sans concessions, où la musique a la part belle et où les hommes se battent pour leurs libertés et leurs droits. On y entend les cris des damnés, des souffrants, des hommes punis pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils ont fait. Un roman d’une profonde humanité.
Traduit de l’Anglais par Pierre Furlan.
Paru aux éditions Actes Sud, 2010. ISBN : 978-2-7427-8931-3

dimanche 26 septembre 2010

Le Crieur de nuit, de Nelly Alard



Alors là, attention, chef-d’œuvre !

Ce livre très court est époustouflant, et m’a énormément touchée, pour beaucoup de raisons.

Il s’agit d’une histoire en sept chapitres, en sept jours. Sept jours entre le moment où Sophie, la narratrice, apprend le décès de son père, en Bretagne, et celui où elle rentre chez elle à Paris, apaisée, après les obsèques. Sept jours qui lui permettent de parler à son père comme jamais elle n’a pu le faire de son vivant, sept jours pour lui dire qui elle est vraiment, comment elle a grandi, combien elle a souffert, combien elle l’a aimé aussi. Sept jours pour commencer le chemin qui la mène à la guérison, sept jours pour le laisser partir, pour lui pardonner. Le personnage du père est en effet un homme odieux, un véritable tyran domestique, qui a terrorisé ses trois enfants, Isa, Eric et Sophie, durant toute leur enfance, allant jusqu’à leur donner envie de le voir mourir. Parkinsonien pendant trente ans, ses enfants assistent à sa déchéance, à sa mort lente, qui se conclut par la mort véritable. Ce roman tout en finesse raconte donc l’enfance meurtrie, mais aussi l’attachement de Sophie envers son père, contre toute logique, contre toute vraisemblance. C’est en fait l’histoire d’un amour filial qui va au-delà de la souffrance, jusqu’au pardon.

Outre l’histoire formidable, j’ai été touchée à un tout autre titre, parce que ce roman se passe dans le Finistère Nord, et que les souvenirs de Sophie parlent de lieux que je connais bien (Brest, Fouesnant, le Cap Coz en particulier, Lorient, Cléder…). D’autre part, tout au long du récit, comme venant en appui ou en complément de l’histoire elle-même, des passages du livre « La Légende de la Mort chez les Bretons Armoricains », d’Anatole Le Braz, sont cités et illustrent parfaitement le propos de l’auteur. Ces passages l’éclairent aussi d’un jour nouveau, ajoutant la poésie, la féérie, les contes des Anciens avec tout ce qu’ils ont de merveilleux et de précieux, à une histoire forte, bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Plus j’avançais dans la lecture, moins les rapports entre les personnages me semblaient simples et évidents. Au fil du temps qui passait se tissaient des liens complexes, rendant humain cet homme tyrannique qu’était le père, et ce sentiment est exacerbé par les extraits de « La Légende de la Mort », qui mettent en parallèle les anciennes légendes et ce que nous savons aujourd’hui de la vie et de la mort. Ce livre d’Anatole Le Braz fait partie des monuments de la littérature bretonne, un des incontournables avec le Barzaz Breizh. On y trouve toute la substance des anciennes croyances bretonnes, celles d’avant le christianisme, qui ont perduré après l’évangélisation de la région. On y retrouve la figure des Lavandières de la nuit, de l’Ankou bien sûr, et celle, moins connue, mais non moins redoutable, du Crieur de nuit. En intitulant son roman de la sorte, l’auteur le place d’emblée dans la lignée de ces légendes sans âge et fait entrer le merveilleux des anciennes croyances dans le quotidien du 21e siècle.

Ce livre à peine refermé, je n’ai qu’une envie : le rouvrir, le savourer, et ressortir « La Légende de la Mort » de ma bibliothèque pour me replonger dans ces contes et légendes bretons qui ont en partie construit mon imaginaire.

Paru aux éditions Gallimard, 2010. ISBN : 978-2-07-012911-9.

Et pour les curieux :

Anatole le Braz : La Légende de la mort chez les Bretons armoricains, paru aux éditions Terre de Brume, 1991 (Bibliothèque celte). ISBN : 978-2-908021-30-1

mercredi 22 septembre 2010

Nulle et Grande Gueule, de Joyce Carol Oates


Ursula est mal dans sa peau, dans son corps démesuré, mal dans son équipe de basket. Matt est dans le même établissement scolaire qu’elle, il joue sur sa personnalité de « Grande Gueule » pour amuser ses copains… mais un jour, la plaisanterie va trop loin. Il est accusé de vouloir faire sauter son lycée. La Nulle, Ursula, a assisté à la scène et sait bien que ce n’est pas vrai. Par simple souci de la vérité et de la justice, elle sera la seule à défendre Matt, qu’elle ne connaît que très peu.

De fil en aiguille, de trahison en enlèvement, les deux adolescents américains vont se rapprocher et se découvrir.

Ce roman a été publié au départ dans une édition pour adolescents, et personnellement, je l’ai bien aimé, avec quelques réserves. Au fil de ma lecture, j’imaginais sans peine ma fille, quand elle serait adolescente, lire ce livre et s’identifier soit à Ursula, soit à Matt. Il ne faisait aucun doute lors de ma lecture qu’elle l’aimerait beaucoup. C’est un récit tendre, même si les sujets abordés sont un peu difficiles : il y est question de la suspicion, de la honte de soi, de la solitude, de la mise au ban, du rejet, du mal-être allant jusqu’à la volonté d’en finir. Mais justement, ce que je reproche à ce roman, c’est précisément le fait que les différents thèmes sont tous très intéressants, mais pas suffisamment développés. La mère de Matt, par exemple, va de plus en plus mal, on sent qu’elle est détruite par le déroulement des événements, mais le récit, s’il aborde les dégâts infligés à la famille de Matt, n’insiste pas assez à mon goût sur ces aspects difficiles et ne les développe pas suffisamment… En fait, ce roman est trop gentillet. Compte-tenu du sujet, l’histoire aurait mérité un traitement plus musclé : cela n’aurait pas empêché de garder le côté tendre qu’on perçoit déjà très bien. Les chapitres reprenant les textes des messages électroniques que les deux jeunes gens s’envoient (ou hésitent à s’envoyer) mutuellement éclairent d’un jour nouveau le récit lui-même : si Ursula est la narratrice, à la première personne, ces messages électroniques sont le moyen utilisé par l’auteur pour nous faire pénétrer dans l’intimité de Matt, dans ses sentiments. Or Internet, les emails, les blogs, sont utilisés justement par les adolescents pour s’exprimer, comme des journaux intimes, et cet aspect est parfaitement rendu dans ce roman.

Paru aux éditions Gallimard (Folio), 2004. ISBN : 978-2-07-042571-6

mardi 31 août 2010

L'Homme que l'on prenait pour un autre, de Joël Egloff


Ce livre m’a été conseillé par une collègue, qui l’avait lu et l’avait trouvé très drôle.
Autant le dire tout de suite, je n’ai pas du tout été de son avis. Au mieux, les premières pages m’ont fait sourire, mais ne m’ont absolument pas fait rire.

Ce roman est l’histoire d’un homme au visage tellement commun qu’il est sans cesse pris pour quelqu’un d’autre : pour un ancien compagnon de cellule, pour le traître d’une bande de voyous, pour le mari de la voisine du dessous ou l’amant d’une inconnue… Ce roman se laisse lire car il est bien écrit. Tout au long de l’histoire, le lecteur n’a qu’un seul point de vue, celui de cet homme dont on ne connaît pas le vrai nom, mais qui est appelé par les autres « Pierre Simon » ou « Le Pouilleux », ou autre. Le lecteur est ainsi promené d’une rue à l’autre, d’un appartement à la boutique du cordonnier, de la rue à la maison de retraite… sans jamais savoir de qui, finalement, il suit les pas. De ce point de vue, le roman est très bien monté, laissant jusqu’à la fin le mystère sur celui dont on lit les déboires.
Pour le reste, c’est un roman plutôt décevant en ce qu’il ne donne aucun dénouement. Qui est cet homme ? Que s’est-il passé dans son appartement ? Lui a-t-on pris sa vie ? A-t-il pris la place de quelqu’un d’autre ? Est-il tout simplement fou ? Amnésique ?

Les questions se bousculent et restent sans réponse. C’est donc un roman qui interpelle, qui interroge… mais qui, en ce qui me concerne en tout cas, ne restera pas dans mes souvenirs très longtemps, car il sera chassé par une autre lecture que j’espère plus enthousiasmante. Je ne me suis pas ennuyée, non. Mais on m’avait présenté ce roman comme plein d’humour et très drôle, ce qui n’est à mon avis pas le cas. Ceci dit, pour qui aime la loufoquerie, c’est sans doute un roman à lire !

Paru aux éditions Buchet/Chastel, 2008.
Paru aux éditions Pocket, 2009. ISBN : 978-2-266-18431-1

vendredi 27 août 2010

Pourquoi j'ai mangé mon père, de Roy Lewis


Voici un roman étonnant à plus d'un titre, que j'ai découvert récemment dans le cadre de mon travail. Il s'agit d'un roman écrit au tout début des années 1960 et fortement inspiré des découvertes archéologiques de l'époque.
L'histoire se passe à la fin du pléistocène, à l'époque où l'homme ne sait pas encore parler, connaît le feu mais ne le maîtrise pas, vit dans les cavernes, mange plus ou moins cru, chasse, et se trouve confronté à la faune terrestre, lions, antilopes, et autres animaux aujourd'hui disparu. Nous sommes ici propulsés dans cette fin de pléistocène et assistons aux efforts du héros, Edouard, pour domestiquer le feu et élever les pithécanthropes au rang d'êtres humains. Edouard est un "subhumain" qui a beaucoup d'idées et beaucoup d'ambition pour sa horde. Il est très inventif, il est aussi cachotier et cherche à élever ses enfants, Oswald, Ernest, William, Alexandre et Tobie, pour en faire des "humains". Pour cela, il n'hésite pas à employer des moyens radicaux, comme aller sur un volcan pour en ramener le feu, au risque de se tuer, va jusqu’à mettre toute sa horde en danger. Outre son récit comique, dont le ressort est essentiellement l’anachronisme du discours, ce roman est une excellente entrée en matière pour qui s’intéresse un peu à l’évolution de l’homme. En effet, les différentes expériences d’Edouard sont extrêmement bien documentées et décrivent d’une manière très précise les découvertes de cette époque : description de la taille d’un silex, passage de l’endogamie à l’exogamie, étapes successives dans la domestication du feu, techniques de chasse, habitat, tous ces aspects de la vie quotidienne et bien d’autres sont décrits de manière vivante et drôle, rendant la préhistoire amusante et rapprochant quelque peu ces premiers hominidés de nous.

On m’avait décrit ce roman comme très drôle. Personnellement, si je n’ai pas ri aux éclats, je me suis malgré tout beaucoup amusée. La lecture est facile, plaisante, drôle effectivement, instructive sans en avoir l’air, et les références à notre monde actuel (à la bombe atomique par exemple) sont vraiment de purs moments comiques. Edouard semble avoir une conscience aiguë de l’avenir de l’homme, il est une sorte de visionnaire. Ses fils développent chacun des aptitudes particulières, pour la chasse, l’art, et autres, et donnent là les prémisses de l’évolution de l’homme, qui par la suite découvrira la domestication des animaux jusque là sauvages, inventera les peintures rupestres, développera des techniques de chasse de plus en plus élaborées, ou encore explorera son inconscient, ses rêves, finira par croire en une puissance supérieure (Dieu ?) et ensevelira ses morts. Ce roman est empli de personnages typiques, comme l’oncle Vania, réactionnaire qui milite pour le retour aux arbres, ou encore Griselda, la belle-fille, fine tacticienne, qui donnent au récit une atmosphère à la fois drôle et enthousiasmante.

C’est donc ici une jolie découverte, qui, s’il ne fait pas partie de mes romans préférés, mérite le détour.


Traduit de l'anglais par Vercors et Rita Barisse, Préface de Vercors.
Paru aux éditions Actes Sud, 1990.
Paru aux éditions Pocket, 2004. ISBN : 978-2-266-14307-3

jeudi 19 août 2010

Kétala, de Fatou Diome



Fatou Diome est Sénégalaise, immigrée en France, à Strasbourg. Pour moi, son roman a donc le double goût de l’exotisme de l’Afrique et du Sénégal en particulier, et celui de l’Alsace, où se déroule une bonne partie de l’intrigue. Fatou Diome mêle en effet dans son récit la tradition à la fois orale et coutumière de son pays d’origine, et la modernité de son époque, de son pays d’adoption et des modes de vies d’ici.

Mémoria est morte. La tradition au Sénégal, à la mort de quelqu’un, est de l’enterrer très vite (dans les heures qui suivent son décès). Et huit jours après, a lieu le Kétala, l’héritage : les proches du défunt se partagent ses biens, après les huit jours de deuil prescrits par la tradition et la religion (le partage est fait par l’imam local). Tout le roman se déroule pendant ces huit jours d’attente, et le lecteur est plongé au cœur même de la vie de Mémoria, à travers la parole et les questionnements de ses meubles, vêtements et objets personnels. Dans la perspective de leur dispersion, les meubles et objets, en effet, sont tristes d’être séparés. Sous la présidence de Masque, hérité des ancêtres de Mémoria et représentant la sagesse des anciens, les membres de cette assemblée peu commune vont donc, au fil de ces huit jours, égrener leurs souvenirs de la défunte, afin de reconstituer ensemble la vie de leur maîtresse. Le lecteur se retrouve donc spectateur de cette assemblée, riche de l’histoire et des souvenirs de Mémoria. Nous assistons donc à sa naissance, à son enfance, sa jeunesse, son mariage, son exil, sa vie en France, sa déchéance, sa mort… à travers les questionnements, les souvenirs et les récits de Montre, Canapé, Ordinateur, Coumba Djiguène, Chasseur, Masque, Assiette, Mouchoir, Marinière…

Ce roman aurait pu être morbide, larmoyant, trash… Il n’en est rien. Il aurait pu aussi être pudibond, mièvre, à l’eau de rose… mais ce n’est pas le cas non plus. Avec beaucoup de finesse, de retenue, de pudeur, de tendresse, et surtout de poésie, l’auteur nous fait entrer dans les affres et les souffrances de cette jeune femme. La seule chose que je reproche à ce roman, c’est sans doute la plus grosse ficelle du récit, à savoir les interventions de Mouchoir, trop idiot pour être honnête, qui servent immanquablement à provoquer une bagarre entre les meubles et à mettre fin provisoirement au récit, pour pouvoir passer au chapitre suivant. C’est plutôt drôle la première fois, c’est très lourd par la suite. Mais ce petit défaut est compensé en grande partie par la qualité du récit lui-même, la complexité des faits et des sentiments de Mémoria, et l’analyse fine des comportements humains, vus par les meubles et objets qui, eux, n’ont qu’une vision partielle, voire parcellaire, de la vie de leur propriétaire. Leurs questionnements mettent le doigt sur l’absurdité de certains de nos comportements, et permettent aussi de voir à quel point nos vies sont compliquées alors que tout pourrait être si simple. Mais il s’agit là de la nature humaine, magnifiquement décrite par l’auteur.

Ce récit laisse un goût étrange : il est empreint d’une sorte de sagesse millénaire, que l’on sent transmise par les générations qui ont précédé celle de Fatou Diome : l’art de la transmission orale transparaît dans tout le roman, et pas uniquement du fait de cette « assemblée » des meubles, reflet de l’assemblée des hommes sous l’arbre à palabres, au village. Le lecteur sent en effet dans le discours que l’auteur est à la fois l’héritière des sages, des anciens et des traditions de son pays, mais aussi un exemple de réussite d’intégration dans son pays d’adoption, puisqu’elle a su allier son héritage et la culture européenne d’aujourd’hui. Mais le ton dans certains passages du roman laissent un goût étrange, comme si la maturation de l’auteur n’était pas accomplie : j’ai en effet parfois eu l’impression de lire des disputes entre gamins, qui m’ont passablement énervée à la lecture (en particulier les interventions de Mouchoir et d’autres). Est-ce le ton employé ? La répétition du procédé ? C’est plutôt difficile à analyser. En tout cas, ce roman est malgré cette petite réserve une véritable découverte, qui se lit de bout en bout sans le moindre problème, dans une belle langue, qui fait danser les mots et joue avec leur poésie.

Paru aux éditions Féryane, 2006. ISBN : 978-2-84011-731-5

Paru aux éditions J’ai lu, 2007. ISBN : 978-2-290-00154-7

dimanche 15 août 2010

Best Love Rosie, de Nuala O'Faolain



J’ai emprunté ce roman, et attendu un certain temps avant de l’ouvrir. J’avais avant des lectures utilitaires que je me suis dépêchée de terminer, histoire de pouvoir savourer celle-ci. J’avais déjà lu, du même auteur, "L’Histoire de Chicago May", enquête de type journalistique sur la vie de cette prostituée américaine, que j’avais trouvée passionnante.
Dans ce roman, le dernier écrit par Nuala O’Faolain avant sa mort, c’est une plongée dans l’Irlande profonde à laquelle le lecteur est convié.
Rosie a la cinquantaine et se pose beaucoup de questions sur cette nouvelle étape de sa vie. Elle sort en effet d’une relation désastreuse avec Léo ; elle a beaucoup voyagé dans le passé, pour son travail essentiellement ; elle revient aujourd’hui au pays auprès de Min, sa tante, qui l’a élevée et a pris soin d’elle et de son père jusqu’à la mort de celui-ci.

Nuala O’Faolain nous entraîne donc ici dans la vie de ces deux femmes, Rosie et Min, et de tous les changements que le retour de Rosie provoque : Min, à la surprise de sa nièce, réalise enfin ses rêves et devient indépendante alors même que Rosie était rentrée pour elle, inquiète pour sa santé. Rosie, quant à elle, se lance dans un projet de livre, mais en profite pour tenter de trouver les réponses à de nombreuses questions qu’elle se pose sur son histoire familiale, ses liens avec son père, la vie de sa mère, la présence de Min dans cette équation…
Finalement, il se dégage de ce roman un sentiment d’apaisement, de grande sérénité, malgré les bouleversements majeurs que vont connaître ces deux femmes. Tout se passe en définitive comme si elles prenaient enfin le temps de se connaître, de se retrouver, et surtout de se voir enfin elles-mêmes, d’assumer réellement qui elles sont et ce qu’elles veulent faire de leur vie. C’est donc un roman sur l’acceptation, de soi, de son âge, des évolutions dans sa vie, un livre sur le vieillissement aussi, et une très belle peinture de l’Irlande contemporaine. Le discours est fluide, les mots empreints de poésie, l’histoire et la vie de Rosie se déroulent sous les yeux du lecteur qui contemple avec elle la maison de l’enfance de Min, la mer qui s’étale au loin… La description du décor que fait l’auteur est magnifique, à la fois brute et forte comme l’est l’Irlande, et emplie de toute la tendresse de l’auteur pour son pays, tendresse qu’elle sait admirablement transmettre au lecteur.

Pour aller plus loin : cliquez ici.

Paru aux éditions Sabine Wespieser, 2008. ISBN : 2-84805067-5
Paru aux éditions 10/18, 2010 (Domaine étranger). ISBN : 978-2-264-04994-0

mercredi 11 août 2010

Au Bon Roman, de Laurence Cossé



Ce livre est là encore un vrai coup de cœur, découvert un peu par hasard au fil des commandes d'ouvrages à l'ISSM. Je me doutais bien qu'il me plairait, je ne savais pas à quel point. Je vous laisse découvrir ma chronique sur La Nuée, où elle est publiée in extenso, mais nous reparlerons de ce roman ici même, c'est certain ! Parce qu'un tel roman ne peut pas être passé sous silence, pour qui aime la littérature...

Paru aux éditions Gallimard, 2010 (Folio). ISBN : 978-2-07-041998-2

samedi 7 août 2010

Fever, de Leslie Kaplan



Ce roman est un livre sur un crime. Mais ce n'est pas un roman policier. Il n'y a pas besoin d'enquête pour que le lecteur apprenne qui est le coupable, il le sait depuis le début. En revanche, ce qui pose question, c'est le "pourquoi", la question du mobile qui a motivé le meurtre.

J'étais très curieuse de lire ce livre, qui abordait l'histoire dans le sens inverse de celui de mes habituelles lectures. Mais lorsque je suis arrivée à la fin de la lecture de ce roman, mon impression a été très mitigée.

Ce n'est pas un roman policier. Il y a bien meurtre, mais pas d'enquête, pas de suspense, rien qui tienne le lecteur en haleine, en tout cas pas dans les deux premiers tiers de l'ouvrage. Dans le dernier tiers, un parallèle osé entre l'acte des coupables et les collaborateurs français du régime de Vichy, leur rôle dans la déportation de milliers de Juifs semble donner un début de réponse : les deux jeunes coupables sont-ils héritiers malgré eux de la culpabilité du grand-père de Damien, que l'on finit par supposer "collabo" ? La folie meurtrière est-elle héréditaire ? Malheureusement, à la fin, il n'y a toujours pas de réponse... en tout cas rien de clair, de tangible. Les hypothèses ne sont même pas suggérées : il revient totalement au lecteur de s'imaginer ce qui a pu amener ces deux jeunes gens à fomenter un tel crime. Ce livre est donc décevant pour qui s'attend à comprendre ce qui pousse un criminel à agir. Bien entendu, des indices sont disséminés tout au long du livre et le lecteur apprend à mieux connaître les différents protagonistes et les éventuelles motivations qui peuvent les habiter. Mais tout ceci laisse un goût d'inachevé. Le lecteur attend plus. Et cette impression est renforcée par la présence d'un personnage très secondaire, une jeune femme prénommée Zoé. Elle apparaît de temps en temps dans le récit et semble être l'un des protagonistes importants de l'histoire. En effet, les chapitres où elle intervient donnent au lecteur le sentiment qu'elle est "la" personne qui pourrait le représenter dans l'histoire, avec sa vision de ce qui s'est passé et sa volonté de connaître la vérité. En définitive, elle est très transparente, spectatrice du drame. Elle n'est pas le catalyseur que le lecteur attend, elle n'est finalement qu'une spectatrice parmi d’autres, à la différence près qu’elle a un prénom. La question que l'on se pose alors, c'est "que vient-elle faire dans cette histoire ?"

Au niveau de la forme et du style d'écriture, le roman heurte quelque peu : l'écriture est hachée, les phrases rapides, vives, répétitives, donnant à la fois un sentiment d'urgence et de piétinement. Le parti-pris de mêler sans repères narration et dialogues perturbe la lecture, puisqu'il faut parfois relire certains passages pour comprendre si on est dans un dialogue ou dans la tête du personnage. Ceci dit, ce style narratif "fonctionne", si l'ambition est de mettre le lecteur mal à l'aise. Et à la limite, il exprime presque mieux que les mots l'enlisement mental dans lequel se trouvent les deux jeunes criminels dont on suit l'évolution du début à la fin du livre.

Cette chronique n'est donc pas un "coup de cœur", mais un article très mitigé sur ma vision de ce roman. L'intérêt, à mon avis, réside surtout dans ce qui est écrit entre les lignes. Ce qui est suggéré plutôt que ce qui est réellement dit. Il est question en filigrane de la folie, du secret de famille, des non-dits, des apparences. Beaucoup d'indices font penser que le jeune Damien, qui est à l'origine du meurtre, devient totalement fou après son acte. Mais les apparences sont telles qu'il semble parfaitement normal. La question que l'on peut se poser après la lecture de ce roman, c'est aussi : "Qu'est-ce qui, finalement, sépare la folie de la normalité ?" "A partir de quand devient-on fou ?" Il n'y a ni remords, ni regrets, ni doute, ni compassion. Si le lecteur n'était pas dans la tête des meurtriers durant tout le roman, ceux-ci deviendraient à ses yeux des monstres. Et c’est peut-être justement l’effet recherché ? Redonner leur humanité à des monstres dont on sait pertinemment qu’ils sont aussi des êtres humains ? Oui, l'impression que laisse ce livre est étrange, car il bouleverse les codes d'écriture habituels, mais en tout cas, il ne laisse pas indifférent.

Ce livre est le cinquième volet de la série romanesque "Depuis maintenant", qui comprend également : "Miss Nobody Knows" (1996), "Les Prostituées philosophes" (1997), "Le Psychanalyste" (1999) et "Les Amants de Marie" (2002).

Paru aux éditions P.O.L., Paris, 2005. ISBN : 2-84682-053-8.

mardi 3 août 2010

Sawaba, de Ludovic Falandry




J'ai beaucoup, beaucoup aimé ce roman, malgré le sujet difficile. Il y est question d'exclusion, de mort... Mais ce roman est aussi une très belle peinture de l'Afrique rurale.
L'auteur est médecin, spécialiste de ce fléau que sont les fistules obstétricales, qui conduisent de très jeunes filles (d'environ 12 ans) à vivre recluses, dans la honte, rejetées par leur communauté, leur famille, leur mari, parce qu'elles étaient enceintes trop tôt et n'ont pas reçu les soins qu'elles auraient dû avoir au moment de l'accouchement. Cette "maladie" touche un nombre incroyable de femmes dans le monde, en particulier en Afrique et en Asie. Ces femmes sont en fait victimes des traditions, en particulier celles qui veulent que l'accouchement se fasse à domicile, et que la femme accepte la douleur sans sourciller.

Je vous conseille vivement la lecture de ce roman nécessaire, brutal, violent, mais aussi empli de poésie, et de douceur. Pour mieux comprendre ce que vivent ces femmes au quotidien, et pour que cette maladie soit enfin éradiquée. Car elle n'est pas, loin sans faut, une fatalité.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire aussi ma chronique sur La Nuée, et lire des extraits ici.

Paru aux éditions L'Harmattan, 2009 ISBN : 978-2-296-08941-9