Jérôme Guillement fait partie de ces innombrables enfants qui ont été abusés sexuellement durant leur enfance. Et circonstances aggravantes pour l’auteur des abus : il était prêtre. Il n’était pas seul, car Jérôme a aussi été abusé par des camarades de classes, mais ceux=ci étaient mineurs. Cela n’excuse rien, mais le problème ne se pose pas dans les mêmes termes dans ce second cas d’abus.
Pour ce qui est du prêtre, la responsabilité est énorme : il fait partie, normalement, de ces figures de confiance auxquelles les parents confient leurs enfants sans problème, en toute confiance, justement. Et là, cette confiance a été trahie. Mais les parents de Guillaume n’en sauront rien avant que ce dernier ne décide de lever le secret, suite à une retraite dans une abbaye où sa rencontre avec un moine sera décisive dans son cheminement vers la lumière.
Ce livre aurait pu être un énième témoignage à charge contre ces prêtres abuseurs. Ces témoignages sont essentiels, tant pour permettre la levée du secret que pour qu’une reconstruction soit possible pour l’enfant abusé, la plupart du temps devenu adulte. Je pensais trouver dans ce livre la rage, la colère, le désespoir face aux actes dont l’auteur a été victime.
Mais non. Pas de règlement de comptes, ici, mais la description – tortueuse, comme l’a été le cheminement de l’auteur – des démarches et recherches qui lui ont permis de sortir du déni, du secret et de la honte. Ce livre décrit non seulement les abus, mais aussi les effets sur la santé, sur le corps de Jérôme. Ce corps qui a gardé en mémoire la moindre trace de ce que l’enfant avait subi et mis volontairement de côté. Quand le mal subi est caché, quand il est volontairement mis sous le tapis, quand il n’est pas révélé, exprimé verbalement, alors il faut au corps trouver un autre moyen de l’exprimer. C’est exactement ce qui est arrivé à Jérôme et qui le conduira à consulter d’innombrables thérapeutes pour « aller mieux ».
Le « mieux » passe par la révélation des abus, mais aussi par la confrontation avec l’évêque de son diocèse qui, enfin, parce que la CIASE est passée par là, écoute cette jeune victime d’un prêtre diocésain, mort depuis quelques années au moment où Jérôme révèle son secret.
J’ai été frappée par le ton employé par l’auteur de l’ouvrage. Le récit est sobre, dur dans la description des faits comme dans les conséquences physiologiques et psychologiques des abus, mais il n’y a pas de déferlement de colère ou de haine. Simplement un cheminement, durant lequel le lecteur peut sentir l’apaisement progressif qui va de pair avec l’avancement dans le processus de guérison. Car il s’agit bien de ça : Jérôme s’est construit avec cette blessure profonde, son corps a manifesté des dysfonctionnements importants suite à ces abus, mais le jeune homme s’en « sort » malgré tout, moyennant des recherches multiples dans des directions non moins nombreuses : psychanalyse, psychothérapie, aromathérapie et autres font partie de son arsenal thérapeutique qui lui ont permis d’aller mieux.
Aujourd’hui, il a changé de métier. Après avoir travaillé dans le monde de l’imprimerie, il exerce comme psycho-praticien d’orientation Jungienne. Il est toujours engagé dans la vie chrétienne, en tant qu’organiste et choriste, preuve qu’il est possible, même quand on a subi l’innommable, de parvenir à faire la part des choses et de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Jérôme a été victime du vice d’un homme, et a ensuite pu être soutenu tant par sa famille que par l’Église qui a permis – tardivement, certes, mais a permis tout de même – un chemin de résilience et de réparation.
Puisse ce livre en aider d’autres : qu’ils puissent y apprendre que le chemin, s’il est long, tortueux et délicat, n’en est pas moins possible et peut les guider vers la lumière.
Paru aux éditions Nouvelle Cité, 2023. ISBN : 978-2-37582-540-2.