samedi 21 septembre 2024

En mon corps meurtri : Chemins de résilience, de Jérôme Guillement

 


Jérôme Guillement fait partie de ces innombrables enfants qui ont été abusés sexuellement durant leur enfance. Et circonstances aggravantes pour l’auteur des abus : il était prêtre. Il n’était pas seul, car Jérôme a aussi été abusé par des camarades de classes, mais ceux=ci étaient mineurs. Cela n’excuse rien, mais le problème ne se pose pas dans les mêmes termes dans ce second cas d’abus.

Pour ce qui est du prêtre, la responsabilité est énorme : il fait partie, normalement, de ces figures de confiance auxquelles les parents confient leurs enfants sans problème, en toute confiance, justement. Et là, cette confiance a été trahie. Mais les parents de Guillaume n’en sauront rien avant que ce dernier ne décide de lever le secret, suite à une retraite dans une abbaye où sa rencontre avec un moine sera décisive dans son cheminement vers la lumière.

Ce livre aurait pu être un énième témoignage à charge contre ces prêtres abuseurs. Ces témoignages sont essentiels, tant pour permettre la levée du secret que pour qu’une reconstruction soit possible pour l’enfant abusé, la plupart du temps devenu adulte. Je pensais trouver dans ce livre la rage, la colère, le désespoir face aux actes dont l’auteur a été victime.

Mais non. Pas de règlement de comptes, ici, mais la description – tortueuse, comme l’a été le cheminement de l’auteur – des démarches et recherches qui lui ont permis de sortir du déni, du secret et de la honte. Ce livre décrit non seulement les abus, mais aussi les effets sur la santé, sur le corps de Jérôme. Ce corps qui a gardé en mémoire la moindre trace de ce que l’enfant avait subi et mis volontairement de côté. Quand le mal subi est caché, quand il est volontairement mis sous le tapis, quand il n’est pas révélé, exprimé verbalement, alors il faut au corps trouver un autre moyen de l’exprimer. C’est exactement ce qui est arrivé à Jérôme et qui le conduira à consulter d’innombrables thérapeutes pour « aller mieux ».

Le « mieux » passe par la révélation des abus, mais aussi par la confrontation avec l’évêque de son diocèse qui, enfin, parce que la CIASE est passée par là, écoute cette jeune victime d’un prêtre diocésain, mort depuis quelques années au moment où Jérôme révèle son secret.

J’ai été frappée par le ton employé par l’auteur de l’ouvrage. Le récit est sobre, dur dans la description des faits comme dans les conséquences physiologiques et psychologiques des abus, mais il n’y a pas de déferlement de colère ou de haine. Simplement un cheminement, durant lequel le lecteur peut sentir l’apaisement progressif qui va de pair avec l’avancement dans le processus de guérison. Car il s’agit bien de ça : Jérôme s’est construit avec cette blessure profonde, son corps a manifesté des dysfonctionnements importants suite à ces abus, mais le jeune homme s’en « sort » malgré tout, moyennant des recherches multiples dans des directions non moins nombreuses : psychanalyse, psychothérapie, aromathérapie et autres font partie de son arsenal thérapeutique qui lui ont permis d’aller mieux.

Aujourd’hui, il a changé de métier. Après avoir travaillé dans le monde de l’imprimerie, il exerce comme psycho-praticien d’orientation Jungienne. Il est toujours engagé dans la vie chrétienne, en tant qu’organiste et choriste, preuve qu’il est possible, même quand on a subi l’innommable, de parvenir à faire la part des choses et de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Jérôme a été victime du vice d’un homme, et a ensuite pu être soutenu tant par sa famille que par l’Église qui a permis – tardivement, certes, mais a permis tout de même – un chemin de résilience et de réparation.

Puisse ce livre en aider d’autres : qu’ils puissent y apprendre que le chemin, s’il est long, tortueux et délicat, n’en est pas moins possible et peut les guider vers la lumière.


Paru aux éditions Nouvelle Cité, 2023. ISBN : 978-2-37582-540-2.

mardi 10 septembre 2024

Le Crépuscule et l'aube, de Ken Follett


 

Dans le sud de l’Angleterre, au tournant du premier millénaire de notre ère, le jeune Edgar, fils surdoué du charpentier de marine de la ville de Combe, voit sa vie, ses projets, sa famille voler en éclats au moment de l’attaque de la petite ville par une horde de Vikings. Contraints de quitter Combe dévastée, Edgar, ses deux frères et leur mère arrivent sans rien à Dreng’s Ferry où, très vite, ils vont être confrontés à Dreng, le tavernier et chef du hameau, cousin de l’ealdorman – c’est-à-dire le seigneur – du comté.

Aldred, jeune moine de la ville de Shiring, chef-lieu du comté, arrive quant à lui à Cherbourg où il est venu chercher des livres pour la bibliothèque du monastère. Intelligent et érudit, il ne plaît pas à tous ses frères moines, en particulier à cause de ses prises de position envers l’évêque du lieu, Wynstan, frère de l’ealdorman. Il rencontre à Cherbourg la jeune Ragna, fille du Comte Hubert. Belle et intelligente, fine stratège et diplomate, cette dernière tombe amoureuse de l’ealdorman Wilwulf, venu négocier avec Hubert une alliance afin d’empêcher les vikings de s’en prendre aux anglais.

Ces trois personnages sont au cœur d’un récit de mille pages, situé au milieu du Moyen-Âge. La couverture du livre indique « Avant les Piliers de la Terre », en référence à un autre roman de Ken Follett, écrit en 1989 et situé, lui, au temps des bâtisseurs de cathédrales, c’est-à-dire plutôt aux XIIe – XIIIe siècles, au tournant de l’art roman et de l’art gothique. Le trio est très rapidement aux prises avec la famille de Wilwulf, sa mère et ses deux demi-frères en particulier, pris dans des luttes de pouvoir, d’influence et de richesses. Corruption, violence, agressions, trahisons… tout est bon pour maintenir les prérogatives des puissants, y compris s’il le faut, pour cela, faire fi de la justice, dont l’ealdorman est pourtant le garant sur ses terres.

Du point de vue historique, je ne sais pas vraiment ce que vaut ce roman. Les sources architecturales et textuelles manquent pour cette période de l’An Mil, des deux côtés de la Manche, et on ne peut que faire des suppositions sur bon nombre d’aspects de la vie à ce moment-là. Il semble que la période était moins noire que ce qu’en a retenu l’imaginaire collectif. Loin d’être une ère marquée par l’obscurantisme, on sait aujourd’hui, au contraire, que le Moyen-Âge était une période riche dans les domaines de l’art, des échanges culturels et linguistiques ; c’est la période de la naissance et du développement des universités, des échanges commerciaux, des premières grandes découvertes, de l’art roman, puis gothique…

Mais le Moyen-Âge couvre mille ans de l’histoire de l’Europe et c’est aussi une période qui a connu invastions, épidémies, pauvreté, reculs civilisationnels périodiques, guerres pour le contrôle et l’extension des territoires… On laissera donc le bénéfice du doute à l’auteur pour ce qui est des aspects historiques du roman.

Du point de vue littéraire et romanesque, maintenant, c’est du Ken Follett. Et, tout comme dans « Les Piliers de la Terre », ce que l’auteur décrit est souvent cru, sale, violent. Mais, hormis ce petit bémol (qui n’est pas gratuit et sert l’histoire), l’intrigue est bien construite, haletante et pleine de rebondissements. J’ai eu du mal, le soir, durant cette lecture, à lâcher le livre et à éteindre la lumière. On s’attache très vite aux personnages principaux et, sur un tel nombre de pages, on apprend à les connaître, eux et ceux qui les entourent : amis, serviteurs, esclaves, enfants, ennemis, traîtres, simples « idiots utiles »… Ce roman, tout comme d’autres du même auteur, est construit comme une fresque avec de multiples personnages qui redonnent vie à une époque (réelle ou fantasmée) disparue.

Vous l’aurez compris, j’ai été captivée par ce roman, même si je lui ai préféré la trilogie « Le Siècle », plus proche de nous d’un point de vue historique. C’est donc un bon cru, mais, compte-tenu de la violence qu’il décrit, il est à mettre exclusivement entre des mains adultes.


Paru aux éditions LGF, 2021 (Le Livre de Poche). - ISBN : 978-2-253-07155-6.