Alors là, attention, chef-d’œuvre !
Ce livre très court est époustouflant, et m’a énormément touchée, pour beaucoup de raisons.
Il s’agit d’une histoire en sept chapitres, en sept jours. Sept jours entre le moment où Sophie, la narratrice, apprend le décès de son père, en Bretagne, et celui où elle rentre chez elle à Paris, apaisée, après les obsèques. Sept jours qui lui permettent de parler à son père comme jamais elle n’a pu le faire de son vivant, sept jours pour lui dire qui elle est vraiment, comment elle a grandi, combien elle a souffert, combien elle l’a aimé aussi. Sept jours pour commencer le chemin qui la mène à la guérison, sept jours pour le laisser partir, pour lui pardonner. Le personnage du père est en effet un homme odieux, un véritable tyran domestique, qui a terrorisé ses trois enfants, Isa, Eric et Sophie, durant toute leur enfance, allant jusqu’à leur donner envie de le voir mourir. Parkinsonien pendant trente ans, ses enfants assistent à sa déchéance, à sa mort lente, qui se conclut par la mort véritable. Ce roman tout en finesse raconte donc l’enfance meurtrie, mais aussi l’attachement de Sophie envers son père, contre toute logique, contre toute vraisemblance. C’est en fait l’histoire d’un amour filial qui va au-delà de la souffrance, jusqu’au pardon.
Outre l’histoire formidable, j’ai été touchée à un tout autre titre, parce que ce roman se passe dans le Finistère Nord, et que les souvenirs de Sophie parlent de lieux que je connais bien (Brest, Fouesnant, le Cap Coz en particulier, Lorient, Cléder…). D’autre part, tout au long du récit, comme venant en appui ou en complément de l’histoire elle-même, des passages du livre « La Légende de la Mort chez les Bretons Armoricains », d’Anatole Le Braz, sont cités et illustrent parfaitement le propos de l’auteur. Ces passages l’éclairent aussi d’un jour nouveau, ajoutant la poésie, la féérie, les contes des Anciens avec tout ce qu’ils ont de merveilleux et de précieux, à une histoire forte, bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Plus j’avançais dans la lecture, moins les rapports entre les personnages me semblaient simples et évidents. Au fil du temps qui passait se tissaient des liens complexes, rendant humain cet homme tyrannique qu’était le père, et ce sentiment est exacerbé par les extraits de « La Légende de la Mort », qui mettent en parallèle les anciennes légendes et ce que nous savons aujourd’hui de la vie et de la mort. Ce livre d’Anatole Le Braz fait partie des monuments de la littérature bretonne, un des incontournables avec le Barzaz Breizh. On y trouve toute la substance des anciennes croyances bretonnes, celles d’avant le christianisme, qui ont perduré après l’évangélisation de la région. On y retrouve la figure des Lavandières de la nuit, de l’Ankou bien sûr, et celle, moins connue, mais non moins redoutable, du Crieur de nuit. En intitulant son roman de la sorte, l’auteur le place d’emblée dans la lignée de ces légendes sans âge et fait entrer le merveilleux des anciennes croyances dans le quotidien du 21e siècle.
Ce livre à peine refermé, je n’ai qu’une envie : le rouvrir, le savourer, et ressortir « La Légende de la Mort » de ma bibliothèque pour me replonger dans ces contes et légendes bretons qui ont en partie construit mon imaginaire.
Paru aux éditions Gallimard, 2010. ISBN : 978-2-07-012911-9.
Et pour les curieux :
Anatole le Braz : La Légende de la mort chez les Bretons armoricains, paru aux éditions Terre de Brume, 1991 (Bibliothèque celte). ISBN : 978-2-908021-30-1
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