samedi 13 avril 2019

Requiem pour Nagasaki : Biographie de Takashi Nagai, le « Gandhi japonais », de Paul Glynn




Mon ancien accompagnateur spirituel m’avait demandé, au mois d’octobre dernier, de me renseigner sur Takashi Nagai, médecin militaire japonais, mort quelques années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. J’ai bien sûr commencé par Internet, en première exploration : qui était cet homme ? Avait-il écrit des ouvrages ? Une biographie existait-elle ? Et j’ai trouvé immédiatement beaucoup de réponses. Takashi Nagai, radiologue, a survécu à l’explosion de Fatman, la bombe qui est tombée sur la ville de Nagasaki, le 9 août 1945, trois jours après celle qui a détruit en grande partie Hiroshima.
De mes souvenirs d’histoire, je gardais en mémoire la martyre d’Hiroshima, les images de l’horreur absolue, la colère face aux destructions et surtout à l’atroce massacre d’innocents, immédiat, mais aussi à retardement, lié aux radiations. Jamais je n’avais osé ouvre cette fenêtre, ne voulant pas voir l’horreur en face.
Et voilà que ça m’était demandé par mon accompagnateur spirituel, comme quelque chose qui me permettrait d’avancer dans la foi.
Le « jeu », dans l’accompagnement, consiste, pour moi, à obéir à ce qui m’est demandé et de voir où cela me conduit, quitte à tout arrêter si c’est trop dur ou à différer si je ne suis pas prête. Ces arrêts, définitifs ou temporaires, font partie d’ailleurs de l’accompagnement.
Concernant Takashi Nagai, j’ai d’abord lu des résumés de sa vie et des extraits de son livre « Les Cloches de Nagasaki », me familiarisant peu à peu avec cet homme. Jusqu’à commander ce livre d’occasion, puisque introuvable neuf à des prix raisonnables.

Et j’ai commencé ma lecture.
Paul Glynn livre là plus qu’une biographie, puisqu’il retrace (succinctement, puisque ce n’est pas l’objet premier du livre) les vies du grand-père et du père de Takashi Nagai, vies indispensables à connaître pour comprendre Takashi lui-même. Mais il donne également de nombreuses clés pour permettre à l’occidentale que je suis de pouvoir un peu comprendre aussi la mentalité japonaise. Sans ces éléments, le récit brut de la vie de Takashi Nagai serait totalement incompréhensible, tant la mentalité japonaise du milieu du XXe siècle est éloignée de la nôtre, occidentaux.

Takashi Nagai est un jeune étudiant en médecine, athée, au moment où éclate la guerre sino-japonaise durant les années trente. Juste avant sa mobilisation, il avait trouvé un logement dans la maison des parents de Midori, à Nagasaki, dans le quartier chrétien d’Urakami. Cette famille, chrétienne, sera le point d’ancrage de Takashi et lui permettra de vivre un début de conversion au catholicisme à Noël 1932, quelques temps avant d’être envoyé comme médecin militaire sur le front chinois.
Après la guerre sino-japonaise, Takashi se convertit et épouse Midori. De leur union naîtront un fils puis une fille.

Takashi Nagai est ensuite devenu médecin radiologue, qui travaille d’arrache-pied pour permettre aux nombreux malades de la tuberculose de pouvoir bénéficier, grâce aux radios thoraciques récemment mises au point, d’être diagnostiqués puis traités à temps. Il étudie du même coup les radiations elles-mêmes et, le 8 août 1945, il apprend à sa femme, Midori, qu’il est atteint de leucémie, contractée suite à une trop grande et trop fréquente exposition aux radiations. Il n’a plus qu’une espérance de vie très limitée mais il repart à l’hôpital pour y assurer sa garde qui doit durer jusqu’au lendemain soir.
Le lendemain matin, 9 août, c’est l’explosion de la bombe sur Nagasaki, dont les effets vont être dévastateurs.
Takashi est à l’hôpital au moment de l’explosion, dont il va être protégé des effets directs, contrairement à nombre d’étudiants et, surtout, à Midori qui a été brûlée vive à 11h, ce matin-là.

Ce qui m’a frappée dans ce récit, c’est la personnalité de Takashi. Toute sa vie, après la bombe, a été éclairée par sa foi lumineuse. Takashi Nagai a, dans un premier temps, porté secours aux malades et aux mourants au sein même des ruines de l’hôpital où il se trouvait au moment de l’explosion. Ce n’est qu’au bout de trois jours qu’il a pu se rendre à l’endroit où se trouvait auparavant sa maison, où il n’a retrouvé que les cendres de son épouse, ainsi que son chapelet, intact. Par la suite, le docteur Nagai a organisé les secours dans les villages alentours, puis la reconstruction, en commençant par la cathédrale d’Urakami, lieu important pour la population de la ville, à majorité chrétienne. Son intervention et sa foi ont aussi permis que la haine n’envahisse pas les cœurs des survivants. À tel point que la perception du drame, sans en oublier ni en minimiser l’horreur, a été durablement différente de ce qui s’est passé à Hiroshima.

« Hiroshima crie, Nagasaki prie. »

Aujourd’hui encore, plus de soixante-dix ans après, cette vision pacifique de Takashi Nagai imprègne encore les lieux mémoriels de Nagasaki.

Ce qui m’a frappée, c’est en particulier la lumière et la paix qui émaillent toute la vie de Takashi Nagai, en dépit des drames auxquels il a du faire face. Loin d’une sorte de « méthode Coué » qui l’aurait empêché de voir la réalité en face, il a observé, durant les cinq ans qui lui restaient à vivre après l’explosion de la bombe, en scientifique, les effets des radiations tant sur les sols que sur la végétation, les animaux ou les êtres humains. Et il s’observait lui-même en premier… Il était donc parfaitement conscient de ce qui se passait autour de lui, et en lui. Pourtant, cette paix intérieure et cette joie ne l’ont pas quitté. À la fin de sa vie, il s’est installé dans un minuscule abri tout proche de l’épicentre de l’explosion, où il n’a cessé d’écrire et de recevoir des visiteurs. Il était lumineux. Sa vie et celle de Midori disent beaucoup, en creux, de ce que peut être une réponse à la vocation des époux chrétiens. Ou comment la Foi parvient à transcender l’horreur absolue.

Paru aux éditions Nouvelle Cité, 1994. ISBN : 2-85313-267-6.

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