samedi 27 avril 2019

Le Siècle, tome 3 : Aux portes de l'éternité, de Ken Follett




Ce troisième tome de la trilogie « Le Siècle », « Aux portes de l’éternité », débute en 1961, à Berlin où le lecteur retrouve Rebecca, fille adoptive de Carla (fille de Maud et Walter von Ulrich) et de Werner Frank, industriel et ancien résistant. Rebecca est mariée, enseignante, et au moment où débute ce troisième opus, elle découvre que son mari est membre de la Stasi, la police secrète allemande, et qu’il a profité de sa situation pour mieux espionner la famille Frank, très engagée politiquement. La situation des Frank va singulièrement se compliquer avec la construction du Mur de Berlin et la fermeture de la frontière entre le monde communiste à l’Est et le monde capitaliste à l’Ouest.

Tout le roman se trouve finalement ancré dans cette opposition Est-Ouest.
En Allemagne, la famille Frank se retrouve coupée en deux par le mur, Lily (la jeune sœur de Rebecca et Walli) restant à Berlin Est avec ses parents. Contraint de fuir, Walli, le jeune frère de Rebecca, se retrouve à Hambourg chez sa sœur aînée, où il survit grâce à la musique. Il y rencontre Dave Williams, anglais, le fils de Lloyd et Daisy Williams, avec qui il va connaître le succès, en Europe et aux États-Unis.

Aux USA, au même moment, George Jakes, le fils illégitime de Greg Pechkov et de Jacky Jakes, serveuse noire, a terminé ses études de droit à l’université et il s’engage aux côtés de Robert Kennedy, ministre de la justice de son frère, John F. Kennedy, pour la défense des droits civiques. Dans l’Amérique des années 1960, être de couleur noire est en effet un sérieux handicap, en particulier dans les États du Sud. Les actions militantes de George le mèneront sur les traces de Martin Luther King et de son assistante, Verena Marquand, fille de riches mécènes noirs. George rencontre aussi Maria Summers, promise à une brillante carrière au sein de la haute administration à Washington.
De son côté, Woody Dewar, le fils de Gus, a eu deux enfants, Cameron et Ursula. Cameron s’engage lui aussi en politique, pendant que sa sœur fait la rencontre de Dave Williams et de Walli Frank.
C’est également en Amérique qu’on retrouve Jasper Murray, le fils d’Eva Murray, allemande expatriée en Angleterre (cf tome 2) et mariée à un officier anglais. Jasper est attiré par le journalisme alors qu’il est encore étudiant et s’expatrie en Amérique pour tenter sa chance à la télévision. Il va se retrouver, bien malgré lui, enrôlé dans l’armée américaine et envoyé au Vietnam où il découvrira tant les horreurs de la guerre que les mensonges proférés dans la presse pour éviter une prise de conscience de la population. Il n’aura de cesse, une fois démobilisé, de rétablir la vérité. Sa sœur, Anna, travaille, elle, dans l’édition où elle est spécialisée dans les œuvres littéraires de l’Est.
C’est grâce à elle que Tania Dvorkine, journaliste et petite-fille de Grigori Pechkov, parvient en secret à faire éditer les écrits d’un ami dissident. Son frère jumeau, Dimka, est conseiller au Kremlin et évolue rapidement vis-à-vis de l’idéologie communiste, appelant de ses vœux un assouplissement et une réforme du régime soviétique.

Dans ce roman, on suit pas à pas la crise des missiles à Cuba, la lutte pour les droits civiques aux USA, le combat des Allemands de l’Est pour la liberté, la guerre froide entre les USA et l’URSS, la Glasnost et la Perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, la chute du Mur de la Honte à Berlin et du Communisme en général… en même temps que l’on assiste à la mort de John F. Kennedy et de Martin Luther King et à l’avènement d’une société qui s’émancipe des carcans d’avant-guerre, une société de fête où règne la libération sexuelle, la libération des mœurs et l’usage immodéré des drogues… Le tour de force de l’auteur est de parvenir à mêler faits historiques, personnages réels et personnages de fiction. On imagine sans peine l’incroyable travail de documentation qui a présidé à une telle trilogie.

Cette partie du « Siècle » est foisonnante et m’a touchée, parce que je me souviens encore de certains de ces événements que j’ai pu vivre via la télévision : la chute du Mur de Berlin, en 1989, celle de Nicolae Ceausescu, l’élection de Jean-Paul II au trône de Saint Pierre, les luttes des Polonais de Solidarnosc pour la liberté, tous ces événements (qui en réalité ne concernent que les dernières pages du roman) sont gravés dans ma mémoire visuelle. Mais tous ces événements de la fin de la guerre froide résonnent aussi en moi parce que j’ai grandi, dans mes premières années, dans ce monde porteur de terreur où la menace nucléaire n’était jamais bien loin, même si le spectre de la guerre nucléaire s’éloignait à grands pas durant mon enfance. Ken Follett ne parle pas de Tchernobyl, ni du féminisme, ni de la construction européenne ou de la création de l’État d’Israël, par plus qu’il n’aborde les conflits du Moyen et du Proche-Orient qui ont endeuillé la fin du XXe siècle… Peut-être que ces « coupes » ont été rendues nécessaires pour une meilleure compréhension du contexte, sachant qu’à ce moment-là de l’Histoire, la mondialisation grandissante des échanges et des politiques rend le monde extrêmement complexe...
Sans doute aurait-il pu malgré tout évoquer le bouleversement connu par le monde lors des attentats du 11 septembre 2001. Ces attentats ont en effet fait basculer le monde entier dans un nouveau siècle, tout comme l’avait fait l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’empire Austro-Hongrois, à Sarajevo, un siècle plus tôt, propulsant le monde dans le premier conflit mondial…

Symboliquement, les dernières pages évoquent l’élection de Barak Obama, premier Président Noir aux États-Unis, comme le résultat d’une évolution lente et laborieuse vers plus d’égalité, plus de fraternité.
Avec le recul et les événements de ces dernières années (et, en France, de ces derniers mois), on ne peut que constater que rien n’est gagné. La corruption règne toujours, le pouvoir de l’argent est plus important que jamais, même si certaines manipulations semblent moins grossières et moins visibles qu’avant… Il y a encore du travail pour que ces rêves d’égalité et de fraternité, mais aussi de dignité pour tous, particulièrement pour les plus fragiles, deviennent réalité.

Ce livre se termine en fait comme un point virgule. L’histoire n’est pas achevée, contrairement à ce que les omissions volontaires dans les dernières décennies (entre 1989 et 2008) laissent entendre. L’histoire, elle, s’écrit jour après jours, sous nos yeux. Le monde est en mutation, tout comme il y a presque soixante ans. À l’heure où une nouvelle crise économique majeure se prépare, où notre niveau de vie et surtout nos modes de vie délirants doivent nous faire réfléchir à nos habitudes, sommes-nous prêts à faire les sacrifices qui s’imposent ? Quand on regarde l’urgence climatique, on se rend compte qu’il s’agit là sans doute d’une question de survie. Mais en avons-nous réellement conscience ?

Paru aux éditions LGF, 2016 (Le Livre de Poche), 1273 p. ISBN : 978-2-253-12597-6.

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