mercredi 27 août 2025

Alix, tome 16 : La Tour de Babel, de Jacques Martin

Alix et Enak, avec Yoko Tsuno, ont peuplé mon enfance, et m'ont introduite dans l'histoire ancienne, celle de l'Antiquité, des Romains, des Gaulois et... dans le mystère, les enquêtes et les aventures. Sauf qu'enfant, j'ai dû choisir, parce que mon petit pécule était bien insuffisant pour acquérir toutes les bandes dessinées que je voulais lire au fur et à mesure qu'elles sortaient en librairie. D'ailleurs, je crois que j'ai mis un certain temps à comprendre que je pouvais les acheter ! Pendant longtemps, je ne les lisais qu'à la bibliothèque... Bref.

J'ai découvert cet album très récemment, quand mon mari a décidé de me l'offrir pour Noël (oui, j'ai du retard dans mes chroniques de lectures... on ne se refait pas!) Donc, dans cet album, Alix et Enak sont à Jérusalem, où ils ont rendez-vous avec un homme mystérieux, envoyé par Oribal, qu'Alix a autrefois aidé à conquérir le trône qui lui revenait. Ici, Oribal a à nouveau besoin de l'aide d'Alix, parce qu'il est menacé de perdre son royaume, voire sa vie : sa jeunesse l'a amené à commettre des erreurs et les nobles et les prêtres de son royaume lui en veulent. Sous la protection de l'armée, il en désormais prisonnier et espère l'aide d'Alix pour sortir de cette situation épineuse et dangereuse pour lui. Les deux amis prennent donc la route avec l'envoyé d'Oribal pour Babylone, afin de venir en aide au souverain. Et bien sûr, tout ne va pas se passer aussi simplement que prévu. Un mystérieux homme en noir semble les surveiller... voire les suivre.

Ce que j'aime bien dans les bandes dessinées de Jacques Martin, c'est la complexité des intrigues. J'avoue ne pas toujours comprendre ce qui s'y passe à la première lecture, et devoir m'y reprendre à deux fois pour saisir le sens de l'histoire. Mais malgré tout, le réalisme des dessins, le sens du rythme, l'évolution rapide du scénario sont prenants et me transportent à chaque fois dans l'univers antique décrit. Peu importe que ce soit réaliste ou non, le sujet n'est pas là. Il s'agit ici d'aventures, de complots, d'amitiés fortes et fidèles. Jacques Martin a le chic pour montrer tout cela et plus encore. Son œuvre, via les personnages principaux, respire la noblesse des sentiments et le courage. Alix est un archétype du héros au grand cœur, qui respecte son adversaire jusqu'au bout, particulièrement quand celui-ci est vaincu. Il y a derrière ce personnage une vision presque christique du héros : celui qui se bat pour la justice, la vérité, quitte à aller jusqu'au sacrifice personnel, si cela est nécessaire. Alors comme Alix est le héros, il ne meurt pas, mais il y est prêt, c'est indéniable.

Dans cet album, ce qui m'a particulièrement intéressée, c'est l'alliance de l'histoire et du mythe de Babel, cette tour mentionnée dans l'Ancien Testament, construite par les hommes et visitée par Dieu. Celui-ci, voyant que l'objectif des hommes était tout simplement de bâtir une tour plus haute que toutes les autres, afin de gagner le ciel sans Dieu, a simplement « mélangé » les langues de manière à ce que les hommes ne puissent plus se comprendre entre eux et que le projet soit stoppé. Cette tour de Babel a donné son nom à l'extraordinaire ville de Babylone et au royaume dont elle était la capitale. Dans la Bible, Babylone sera, plus tard, le lieu de déportation des Juifs, événement traumatisant qui permet à ce peuple, par la suite, de réfléchir à son histoire et de s'ancrer, enfin, en Dieu...

Pour ce qui est de l'histoire, eh bien... je vous laisserai la découvrir, pour ceux qui ne la connaissent pas encore !


Paru aux éditions Casterman, 1981. ISBN : 978-2-203-31216-6.


lundi 25 août 2025

Conclave, de Robert Harris


Mon fils m'a offert pour mon anniversaire le Blu-ray du film « Conclave », cette année. Et bien entendu, juste après l'avoir vu en famille, je suis tombée sur le roman qui a inspiré le film. Ni une, ni deux, j'ai lu le roman et... il m'a beaucoup plu !

Le timing est parfait ! Le printemps 2025 a en effet vu la mort, le lundi de Pâques 21 avril, du Pape François. Nous avons donc vécu « en direct » un conclave en vue de l'élection du nouveau pape de l’Église catholique, élu le 8 mai sous le nom de Léon XIV. C'est dans ce contexte que j'ai vu le film (fin mai) et lu le roman (début juin).

Si on peut faire quelques reproches au film (notamment l'escamotage quasiment systématique des temps de prière), ceux-ci sont bien présents dans le roman. En général, je préfère les livres aux films qui en sont tirés, parce que justement l'écrit permet d'aller plus loin dans les descriptions, les introspections, le contexte... que ne le permet le film. Et là, il faut bien avouer que j'ai beaucoup, beaucoup apprécié les deux, pour des raisons totalement différentes d'ailleurs.

Le roman, donc, relate le conclave qui a lieu à la suite de la mort du pape, dont le nom n'est d'ailleurs jamais évoqué dans le roman. Cet artifice permet de ne pas situer le récit historiquement. La seule chose que l'on sait, c'est que le pape qui vient de mourir vient après Jean-Paul II et Benoît XVI. S'agit-il de François ? Ou d'un de ses successeurs ? Le récit ne le dit bien sûr pas, et ce fait empêche donc de dater l'action du roman. Celle-ci peut avoir lieu en 2025 ou après...

L'histoire est connue, le film étant particulièrement fidèle au roman. Le pape en exercice vient de mourir, et le doyen du collège cardinalice (c'est-à-dire du groupe des cardinaux dont ceux qui sont âgés de moins de 80 ans éliront le prochain pape lors du conclave) est chargé de l'organisation dudit conclave. Cette responsabilité, le cardinal Lomeli n'en voulait pas et a tenté de démissionner de son poste. Mais le défunt pape avait refusé sa démission, sans donner au doyen les clés pour comprendre pourquoi il tenait à ce que ce soit lui qui se charge de cette mission. Lomeli va donc devoir mener à bien sa tâche, en tenant compte des événements imprévus qui s'invitent dans le cadre fermé du Vatican, après la clôture des portes. Les cardinaux, réunis au Vatican, sont en effet isolés de l'extérieur, afin de ne pas être influencés par les informations qui circulent, en particulier dans les médias. Mais ce conclave-ci est mouvementé : les cardinaux « papabili » étant tour à tour éliminés et les jeux de pouvoir et d'influence sans cesse renouvelés. Les cartes sont donc en permanence rebattues, jusqu'au dernier tour de l'élection, et il faut toute la sagacité de Lomeli pour déjouer les pièges que ce conclave comporte... Un pape est néanmoins élu... Qui est-il ? Ne comptez pas sur moi pour vous révéler son nom, si vous n'avez pas encore vu le film ou lu le roman !

C'est bien écrit (et bien traduit !) et très prenant, comme un véritable roman policier, genre que j'affectionne particulièrement d'ailleurs !

Paru aux éditions Pocket, 2018. ISBN : 978-2-266-24860-7.


vendredi 22 août 2025

Rejoins-moi à Marylebone, de Mathieu Vervisch



Mathieu Vervisch est un de mes cousins, et j'ai déjà eu l'occasion de chroniquer ici une des bandes dessinées de son frère, Frédéric Vervisch. Je n'ai pas eu l'occasion de lire les autres romans de Mathieu, faute de temps, malheureusement.

Mathieu m'a gentiment envoyé le PDF de son roman, afin que je puisse l'évaluer, et je me suis donc empressée de le lire. En fait, je n'ai pas eu du tout à m'empresser de lire quoi que ce soit. Il se trouve que ce roman est bien écrit, avec une intrigue prenante, joyeuse et riche de personnages hauts en couleur et très attachants. Du coup, j'ai carrément eu le problème inverse : c'est arrêter ma lecture qui s'est avéré impossible... Je vais commencer par une petite critique, comme ça c'est fait et on n'en parle plus : je mettrais un tout petit bémol à ce roman, du point de vue formel : ce livre aurait gagné à bénéficier d'une relecture plus attentive (même si je sais à quel point il est difficile, quand on a écrit un roman, de voir les erreurs qui pourtant sautent aux yeux du lecteur qui découvre le texte) : on y relève plusieurs erreurs d'orthographe et quelques phrases qui ont visiblement été retravaillées, où il manque un mot ou, au contraire, il y en a un de trop... Un peu dommage quand on voit la qualité du récit par ailleurs. Voilà, c'est le seul petit truc qui m'a gênée.

Donc, ce roman ? Laure Chaplain est une jeune femme de 31 ans, passionnée de littérature, mais timide et dotée d'un caractère assez volcanique, ce qui, contrairement aux apparences, n'est pas du tout antinomique, mais simplement le reflet de l'effet « cocotte-minute ». Mais bon, peu importe. Toujours est-il que, dès les premières pages, Laure se trouve rapidement dans la panade, avec la perte de son travail, puis de son logement, de son amie et, enfin, des difficultés financières et une mère quelque peu « compliquée »... Un peu perdue et surtout en manque d'argent, Laure rend visite à sa grand-mère et tombe par hasard sur une lettre datant de 1992, d'un certain Edward, donnant un rendez-vous à Isabelle Chaplain, la maman de Laure, à Marylebone, devant une librairie. Laure n'a jamais connu son père et il ne lui faut pas longtemps pour faire le calcul : cet Edward pourrait être son géniteur. Ni une, ni deux, elle prend l'Eurostar et se retrouve à Londres, devant la librairie en question, bien décidée à retrouver l'auteur de la lettre. Bien sûr, l'enquête va s'avérer assez complexe à mener à bien, mais la jeune femme rencontre de nombreuses personnes qui vont l'aider dans sa quête, autant qu'elle-même les aidera à résoudre leurs problèmes : il se trouve que la librairie est menacée, et ça, c'est inacceptable, pour Laure comme pour Annie, la propriétaire.

Outre les personnages hauts en couleurs, attachants et très bien campés, j'ai bien aimé le jeu des apparences qui, ici, s'avèrent particulièrement trompeuses. Jusqu'à la fin, même si certains ressorts sont assez rapidement repérables, jusqu'à la fin, donc, de nombreuses surprises attendent le lecteur dans cette quête plutôt improbable. Entre l'énigme policière et la quête de justice, ce livre est aussi une jolie comédie romantique très agréable à lire. Alors si vous avez envie de passer un bon moment, n'hésitez pas : Marylebone vous attend les bras ouverts !


Auto-édition, 2025. ISBN : 9798296497154

mercredi 20 août 2025

Les mondes de Thorgal : Louve, tome 2 : La main coupée du Dieu Tyr, de Roman Surzhenko et Yann


Louve, fille de Thorgal, se retrouve coincée dans un monde étrange, avec d'autres hommes et femmes qui, comme elle, ont vu leur agressivité, leur sauvagerie, leur être retirée par la magie d'Azzalepstön. Au moment où l'histoire commence, le lecteur retrouve la part « sauvage » de la petite fille en pleine lutte dans un autre monde, où elle a été envoyée pour remplir une mission bien précise. Mais cela, la part « calme » de Louve l'ignore encore. Seulement, la petite fille sait qu'elle ne peut pas rester indéfiniment dans le joli monde où Azzalepstön la garde prisonnière : elle est bien trop rebelle pour cela et elle se rend compte que, peu à peu, sa combativité la fuit et qu'elle perd de plus en plus sa vitalité... Elle décide donc de quitter ce « monde » et est aidée dans son entreprise par Vigrid, l'un des dieux d'Asgard, qui ne peut que la rendre attentive au fait que, pour retrouver la part d'elle-même qui lui a été enlevée, elle va devoir mener à bien la mission confiée à sa double « sauvage », sous peine de rester à jamais l'enfant qu'elle est...

Ce deuxième tome est tout aussi bien que le premier de la série, et confirme le talent des auteurs. Tous les codes de la série « Thorgal » sont présents, et de nombreux ponts sont faits avec les autres albums. On n'est donc pas perdu à la lecture de cette nouvelle série (même si elle n'a plus rien de nouveau après 13 ans ! Mais il n'y a que moi pour découvrir aussi tardivement ces albums, on ne se refait pas!), et j'avoue que j'y prends beaucoup de plaisir !


Paru aux éditions Le Lombard, 2012. ISBN : 978-2-8036-3103-2.


lundi 18 août 2025

Louis XVI et ses frères : histoire d'une tragédie familiale, d'Emmanuel de Valicourt


J'ai acheté ce livre pour ma fille aînée, royaliste, parce que j'ai pensé que le sujet l'intéresserait. Et je n'ai bien entendu pas pu résister : je l'ai lu avant de le lui offrir. Et je ne le regrette pas : j'ai appris énormément de choses.

Ce livre retrace la vie du dernier Roi de l'Ancien Régime, Louis XVI, qui n'a dû son trône qu' à la mort précoce de son père et de son frère aîné. Au départ, c'était l'aîné qui était élevé comme futur roi. Mais, avant l'âge de dix ans, le futur Louis XVI se retrouve dans la position de l'héritier du trône, ce qui change totalement les relations dans sa famille, en particulier avec ses deux frères plus jeunes.

L'auteur retrace donc la vie de la famille royale, depuis Louis XV, son grand-père, jusqu'à la mort du roi Louis XVI, en janvier 1793, en pleine Terreur. Mais ce qui est particulièrement intéressant, c'est que cette biographie familiale est aussi un ouvrage sur les relations qu'entretenait Louis XVI avec ses deux jeunes frères, le Comte de Provence et le Comte d'Artois. Ce « zoom » sur la vie familiale permet de mieux percevoir aussi ce qu'est la vie de la cour, les occupations quotidiennes, les jeux de pouvoir et d'influence, le tout basé sur différents types de documents, en particulier sur les lettres échangées entre Marie-Antoinette et sa mère ou son frère, ou entre Louis XV et ses petits-enfants, ou encore entre le roi et ses conseillers...

Ce qui m'a beaucoup touchée, c'est de percevoir derrière l'Histoire de France en cette période troublée de la Révolution Française, les petites histoires d'une famille – presque – normale.

Du point de vue formel, ce livre est relativement facile à lire, moyennant le recours aux nombreuses notes dont beaucoup restituent le contexte ou donnent des explications supplémentaires. Un bon livre, donc, pour mieux comprendre ce qui s'est joué à la fin du XVIIIe siècle dans notre pays.


Paru aux éditions Tallandier, 2024. ISBN : 979-10-210-5549-0.

mercredi 13 août 2025

Les mondes de Thorgal : Louve, tome 1 : Raïssa, de Roman Surzhenko et Yann


La série « Louve » fait partie des trois séries « spin-off » issues de la saga Thorgal, que je suis depuis de nombreuses années maintenant. J'avoue avoir quelque peu « lâché » l'affaire, devant la multiplication des séries et des albums, même si j'aime beaucoup l'univers de Thorgal, mais cette année, j'ai décidé de rattraper un peu mon retard en la matière, en commençant par « Louve », parce qu'il faut bien commencer par quelque part. Non ?

Ce premier tome nous donne à voir Louve, la fille de Thorgal,dans son village. Thorgal est absent, Aaricia, son épouse, attend son retour. Louve, quant à elle, vit sa vie de petite fille en s'entraînant au tir à l'arc. Et c'est là que tout bascule : les garçons du village la houspillent, la cherchent, mais, en digne fille de Thorgal, elle n'a pas peur d'eux et ne se laisse pas faire. Au cours d'une dispute avec le fils du chef du village, qui lui cherche des noises, Louve se retrouve contrainte de quitter le village, guidée par un mystérieux loup que les garçons avaient pris comme souffre-douleur, et que Louve entendait bien défendre.

Tout cela la mène à rencontrer Raïssa, la louve cheffe de meute, et pas vraiment pour son plus grand bonheur...

Pour un début de série, j'avoue que je suis plutôt contente. J'avais craint de me retrouver face à une simple « suite » de la série-mère, dont les auteurs n'ont d'autre ambition que de surfer sur la vague du succès de l'original. Ici, ce n'est pas le cas, probablement grâce au talent des deux auteurs. Je suis donc bien contente d'avoir commencé par là, d'autant plus que le personnage de Louve est vraiment très intéressant et que j'avais quand même hâte de la voir évoluer autrement qu'en tant que petite fille qui encombre Thorgal dans la série-mère. C'est donc une belle découverte, et je suis contente d'avoir tout de suite investie dans le tome 2 !


Paru aux éditions Le Lombard, 2011. ISBN : 978-2-8036-2863-6.


lundi 11 août 2025

Il est venu le temps des producteurs, de Tatiana Ventôse.


Tatiana Ventôse est une vidéaste et analyste politique qui œuvre sur les réseaux sociaux, et dont je suis le travail sur Youtube depuis 2018-2019 approximativement. Je trouve son analyse pertinente, dérangeante parfois, et particulièrement intéressante. Issue d'une famille ouvrière de gauche, elle est intellectuellement brillante et ce n'est pas pour rien qu'elle a fait partie des cadres du parti de Jean-Luc Mélenchon : elle a des choses à dire, et ça se sent.

Son livre « Il est venu le temps des producteurs », dont je viens de terminer la lecture, m'attirait depuis sa sortie, l'an dernier, parce que je suis atterrée de voir ce que devient la France (mais pas uniquement la France, le constat vaut pour de très nombreux pays, en Europe et ailleurs). Pour résumer très grossièrement la thèse de cet ouvrage, on peut dire qu'il s'agit d'une analyse de la politique, particulièrement économique, de notre pays depuis les cinquante dernières années. Depuis l'arrive de Valéry Giscard D'Estaing au pouvoir en France, en gros, le paradigme a changé, et nous sommes progressivement passés d'un pays dirigé par une bourgeoisie industrielle (les anciens capitaines d'industries du XIXe siècle) à une domination par la bourgeoisie financière, mondialisée, dans le dernier quart du XXe, et surtout au XXIe siècle. Ce basculement d'une élite à l'autre s'est fait au détriment du peuple : les intérêts de la classe de la bourgeoisie industrielle étaient, au départ, les mêmes que ceux de la population française. Mais les intérêts de la bourgeoisie financière sont, eux, contraires à ceux du peuple.

Vous observez une déconnexion de plus en plus grande entre nos hommes politiques, nos « élites » et nous ? Vous ne comprenez pas pourquoi ces mêmes « élites » passent leur temps, et avec une constance rare, à scier la branche sur laquelle nous sommes tous assis ? Vous trouverez ici une réponse plutôt convaincante à ces questions. Le bon sens semble avoir purement et simplement déserté l'esprit de nos dirigeants économiques et politiques.

La principale qualité de ce livre est de poser des constats clairs et de permettre au lecteur d'engager une réflexion personnelle en faisant un « pas de côté », c'est-à-dire en permettant de regarder la réalité dans laquelle nous vivons d'une autre manière, en s'affranchissant du gloubi-boulga médiatique bien-pensant que nous servent à longueur de temps les media main-stream. Et ça, ça fait un bien fou. Se rendre compte qu'il y a une autre manière de voir, un autre point de vue, et qu'on n'est pas forcément fou quand on pense autrement. Rien que pour ça, je voudrais remercier l'auteur de ce livre : ce type d'analyse permet de libérer la pensée, de s'autoriser à réfléchir et à penser autrement, en-dehors des cadres. C'est libérateur.

Je mets quand même plusieurs bémols, parce que je suis gênée par un aspect de ce livre, qui me semble tomber dans les mêmes travers que ceux des communistes en leur temps, qui ont mené aux horreurs maoïstes et staliniennes du XXe siècle. Un être humain est bien plus qu'une bouche à nourrir et des bras pour travailler. Et Tatiana Ventôse en est elle-même le parfait exemple.

Dans ses vidéos et dans son livre, en moins « frontal », toutefois, elle semble considérer les producteurs (entendre par là ceux qui produisent quelque chose de leurs mains : agriculteurs, ouvriers, artisans, travailleurs manuels comme les plombiers, couvreurs, électriciens...) comme les seuls à même de redresser le pays, parce que leurs intérêts de classe sont les mêmes que ceux de la population française. C'est sans doute vrai du point de vue économique, et je fais partie de ceux qui appellent de leurs vœux une véritable réindustrialisation de la France, avec du travail pour tous, afin de redonner à notre pays les moyens de vivre dans le monde. Au moment où j'écris ces lignes, le premier ministre François Bayrou vient d'annoncer des mesures économiques et budgétaires qui en présagent d'autres, bien plus dures et violentes, parce que notre pays, pourtant l'un des plus taxés au monde, croule sous la dette.

Mais depuis trois ans maintenant, je suis frappée de voir, à l'hôpital où je travaille comme aumônier, la soif spirituelle des patients que je rencontre, et ce quelle que soit leur religion – ou leur absence de religion d'ailleurs. Ce qui me fait penser que Tatiana Ventôse oublie, omet une caractéristique fondamentale de l'être humain dans son analyse : le besoin de transcendance.

Je ne parle pas ici forcément de Dieu, mais de spiritualité, au sens plus large. De ce qui permet à l'homme d'avancer et de s'engager dans la vie, qui lui donne le moteur et la puissance nécessaire : ce besoin de sens, dans les deux sens du terme : celui de la direction à suivre, et celui de la signification, du but de ce que l'on fait, le « pourquoi » de nos actes. Pourquoi on se lève le matin pour aller travailler. Et pourquoi certains ne se lèvent plus. Ce qui me frappe, dans notre monde, c'est ça : en sécularisant autant nos sociétés, on a perdu le sens de nos vies. Il faut bien, alors, en trouver un autre. Celui qu'a trouvé la bourgeoisie financière décriée par Tatiana Ventôse est tout simple et terriblement banal. Il était déjà décrié et dénoncé par Jésus dans les Évangiles il y a deux mille ans : Mammon. L'argent.

« Nul ne peut servir deux maîtres ». C'est Dieu ou l'argent, pas les deux. En ce sens, remplacer la bourgeoisie financière par les producteurs sans redonner de la transcendance à notre société ne peut conduire qu'à remplacer une dictature par une autre. C'est exactement ce qui s'est produit avec le communisme de Mao et de Staline au XXe siècle, et qui se produit actuellement avec notre « élite » mondialisée, qui n'a d'autre Dieu que l'argent et son profit personnel.

Autre question que soulève ce livre, c'est celle de la mondialisation, justement. Dans le monde actuel, où fleurissent les conflits armés (Ukraine, Palestine, Iran pour ne citer que les plus proches géographiquement), il est peut-être quelque peu suicidaire de faire voler en éclats les instances gouvernantes, si délétères soient-elles. Sortir de l'Union Européenne au moment précis où le monde tel qu'il est organisé depuis cinquante ans explose, avec une démondialisation violente (émergence de blocs tels que les BRICS, lutte pour l'hégémonie américaine contre la Russie ou la Chine, émergence de l'Asie), est sans doute dangereux pour un petit pays (géographiquement et économiquement) comme la France.

Autant, donc, je suis très enthousiaste à cette lecture en ce que Tatiana Ventôse donne du sens, justement, à ce qui se passe actuellement du point de vue économique, autant je suis sceptique quant aux solutions proposées. Mon mari me dit régulièrement « Tout ça, c'est parce qu'il n'y a plus la foi ». Pendant des années, j'ai « lutté » contre cette idée, pensant naïvement que la question de la foi est personnelle et ne peut pas être un critère de compréhension du monde en général. Mais je ne peux que constater sa justesse : remettre Dieu au cœur de nos vies changerait absolument tout. Dieu ne s'impose pas. Nous sommes libres de l'accueillir ou de le rejeter. Le mouvement de conversion observé, en France et ailleurs, au travers de l'augmentation du nombre de baptêmes d'adultes et d'adolescents est peut-être un signe que quelque chose est en train de changer en profondeur. Pour sortir du marasme dans lequel nous sommes, il nous faut retrouver le sens et redonner du sens à notre vie. L'argent n'y suffit pas, le plaisir individuel ne parvient qu'à nous isoler les uns des autres et à détruire la communauté humaine que nous sommes sensés être quand nous vivons sur le sol d'un même pays. Les familles sont atomisées, décomposées, recomposées et précarisées. Quels sont nos lieux, ceux où aujourd'hui nous faisons corps ? Où nous faisons société ? Pour ma part, je trouve dans ma foi ce corps dont j'ai besoin pour vivre, qui donne une direction et une signification à ma vie. Je crois que si nous redonnions individuellement une place à Dieu dans notre vie, notre relation aux autres en serait collectivement transformée. Nous pourrions alors faire société, avec une place pour chacun : jeune, vieux, banquier comme livreur, agriculteur comme enseignant... Je pense que chacun a sa place, son rôle à jouer dans notre monde, même un rôle modeste. Et qu'il ne sert à rien, après l'avoir viré de partout (espace public, hôpitaux, écoles, et jusque de nos maisons) de crier vers Dieu en lui demandant pourquoi il ne fait rien pour que le monde aille mieux. Soyons cohérents : la soif de Dieu est inscrite au plus profond de nos âmes, même si nous n'en avons pas tous conscience. Laissons-lui une place, afin qu'il puisse agir dans nos vies. Et alors, peut-être qu'une autre société sera possible.


Paru aux éditions Le Fil d'Actu, 2024. ISBN : 978-2-487-560-00-0.