mercredi 20 juillet 2011

L'Enfant bleu, de Henry Bauchau


Henry Bauchau, qui a d'abord étudié le droit, n'a jamais pu exercer pour cause de mobilisation au début de la Seconde guerre mondiale. Après le conflit, il a entamé une psychanalyse qui l'a transformé. Il mêle dans ce très beau roman la tendresse et la poésie, pour nous emmener dans la tête d'Orion, à la frontière entre l'art et la folie.
Orion, en effet, est un jeune psychotique (autiste), pris en charge en hôpital de jour. Il est muré dans sa psychose, et est sujet à de violentes crises dues aux "rayons" du "démon de Paris". Un jour, Véronique, poète, biologiste et "psycho-prof-un-peu-docteur" comme dit Orion, débarque à l'hôpital de jour, et commence la prise en charge d'Orion.
Des liens très forts se tissent entre le jeune garçon et sa thérapeute, à travers l'art sous toutes ses formes : dessin, peinture, sculpture, mais aussi poésie, musique...
Leur "relation" va durer 13 ans. 13 ans qui sont égrainés dans le roman au fil des progrès et des régressions d'Orion.
Orion, malgré (ou peut-être à cause de ?) sa violence sous-jacente, est un personnage très attachant. Il est seul, visiblement démuni devant des crises d'angoisse qu'il sent être "mauvaises", mais dans lesquelles, malgré tout, on sent qu'il prend un plaisir non dissimulé. L'utilisation de nombreux termes n'appartenant pas au langage français "normal" (bazardifié, déconstructionner, et ce ne sont que deux exemples) le rendent "crédible" aux yeux du lecteur, et lui permettent de "rentrer" dans la relation qui s'établit entre Orion et Véronique. Ces termes, d'ailleurs, permettent d'ajouter du sens au discours parfois décousu d'Orion : ils mettent des images sur les sentiments d'angoisse, de terreur qui habitent le jeune homme, et donnent au récit un aspect "visuel" très présent par ailleurs dans la description des œuvres que peint ou sculpte Orion.
Avec beaucoup de délicatesse et de retenue, Henry Bauchau est capable de donner à voir la sensualité d'une statue de bison, la détresse d'un Minotaure ou la musicalité d'une "harpe éolienne", que, pour autant, le lecteur ne pourra pas se représenter bien précisément. C'est bien là la magie de l'écriture : parvenir à susciter dans l'imagination du lecteur la création d'images mentales qui donnent toute leur saveur aux mots et aux récits. L'art, la folie, le rêve, l'imaginaire sont des éléments très présents dans "L'Enfant Bleu", à tel point que le lecteur se laisse prendre au "jeu" : "Et si c'était vrai ? Si Orion voyait vraiment des choses que le commun des mortels ne peut voir ?" Qu'est-ce qui, finalement, fait qu'une œuvre d'art en est une, et pas un vulgaire "truc" ? C'est parce qu'Orion est angoissé, handicapé, "fou", qu'il parvient, grâce à son don, à exposer ses œuvres où il exprime ses terreurs, ses envies, ses rêves... La création artistique, littéraire, n'est-ce pas aussi ça, permettre au monde de découvrir ce qui habite l'auteur ?
Ce roman se veut aussi en partie réaliste : un cas aussi grave qu'Orion ne peut pas sortir du handicap en deux temps trois mouvements. Il n'y a donc pas de happy end... Mais la fin donne un espoir immense en ce jeune homme, qui a déjà tellement avancé, qui a encore tellement de chemin à faire, et toute la vie devant lui...

Paru aux éditions Actes Sud, Paris, 2004. ISBN : 978-2-7427-5139-6
Paru aux éditions J'ai Lu, Paris, 2007. ISBN : 978-2-290-34839-0

3 commentaires:

  1. je le note celui-ci ! Quand, ça je ne sais pas, mais il sera dans mon carnet, au cas où... Tu en parles très bien !!^^

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  2. Mon préféré de Bauchau. J'ai beaucoup apprécié la dimension artistique, les créations d'Orion.

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  3. C'est aussi cet aspect que j'ai particulièrement apprécié dans ce roman, en plus de l'originalité des mots du vocabulaire d'Orion !

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