samedi 7 août 2010

Fever, de Leslie Kaplan



Ce roman est un livre sur un crime. Mais ce n'est pas un roman policier. Il n'y a pas besoin d'enquête pour que le lecteur apprenne qui est le coupable, il le sait depuis le début. En revanche, ce qui pose question, c'est le "pourquoi", la question du mobile qui a motivé le meurtre.

J'étais très curieuse de lire ce livre, qui abordait l'histoire dans le sens inverse de celui de mes habituelles lectures. Mais lorsque je suis arrivée à la fin de la lecture de ce roman, mon impression a été très mitigée.

Ce n'est pas un roman policier. Il y a bien meurtre, mais pas d'enquête, pas de suspense, rien qui tienne le lecteur en haleine, en tout cas pas dans les deux premiers tiers de l'ouvrage. Dans le dernier tiers, un parallèle osé entre l'acte des coupables et les collaborateurs français du régime de Vichy, leur rôle dans la déportation de milliers de Juifs semble donner un début de réponse : les deux jeunes coupables sont-ils héritiers malgré eux de la culpabilité du grand-père de Damien, que l'on finit par supposer "collabo" ? La folie meurtrière est-elle héréditaire ? Malheureusement, à la fin, il n'y a toujours pas de réponse... en tout cas rien de clair, de tangible. Les hypothèses ne sont même pas suggérées : il revient totalement au lecteur de s'imaginer ce qui a pu amener ces deux jeunes gens à fomenter un tel crime. Ce livre est donc décevant pour qui s'attend à comprendre ce qui pousse un criminel à agir. Bien entendu, des indices sont disséminés tout au long du livre et le lecteur apprend à mieux connaître les différents protagonistes et les éventuelles motivations qui peuvent les habiter. Mais tout ceci laisse un goût d'inachevé. Le lecteur attend plus. Et cette impression est renforcée par la présence d'un personnage très secondaire, une jeune femme prénommée Zoé. Elle apparaît de temps en temps dans le récit et semble être l'un des protagonistes importants de l'histoire. En effet, les chapitres où elle intervient donnent au lecteur le sentiment qu'elle est "la" personne qui pourrait le représenter dans l'histoire, avec sa vision de ce qui s'est passé et sa volonté de connaître la vérité. En définitive, elle est très transparente, spectatrice du drame. Elle n'est pas le catalyseur que le lecteur attend, elle n'est finalement qu'une spectatrice parmi d’autres, à la différence près qu’elle a un prénom. La question que l'on se pose alors, c'est "que vient-elle faire dans cette histoire ?"

Au niveau de la forme et du style d'écriture, le roman heurte quelque peu : l'écriture est hachée, les phrases rapides, vives, répétitives, donnant à la fois un sentiment d'urgence et de piétinement. Le parti-pris de mêler sans repères narration et dialogues perturbe la lecture, puisqu'il faut parfois relire certains passages pour comprendre si on est dans un dialogue ou dans la tête du personnage. Ceci dit, ce style narratif "fonctionne", si l'ambition est de mettre le lecteur mal à l'aise. Et à la limite, il exprime presque mieux que les mots l'enlisement mental dans lequel se trouvent les deux jeunes criminels dont on suit l'évolution du début à la fin du livre.

Cette chronique n'est donc pas un "coup de cœur", mais un article très mitigé sur ma vision de ce roman. L'intérêt, à mon avis, réside surtout dans ce qui est écrit entre les lignes. Ce qui est suggéré plutôt que ce qui est réellement dit. Il est question en filigrane de la folie, du secret de famille, des non-dits, des apparences. Beaucoup d'indices font penser que le jeune Damien, qui est à l'origine du meurtre, devient totalement fou après son acte. Mais les apparences sont telles qu'il semble parfaitement normal. La question que l'on peut se poser après la lecture de ce roman, c'est aussi : "Qu'est-ce qui, finalement, sépare la folie de la normalité ?" "A partir de quand devient-on fou ?" Il n'y a ni remords, ni regrets, ni doute, ni compassion. Si le lecteur n'était pas dans la tête des meurtriers durant tout le roman, ceux-ci deviendraient à ses yeux des monstres. Et c’est peut-être justement l’effet recherché ? Redonner leur humanité à des monstres dont on sait pertinemment qu’ils sont aussi des êtres humains ? Oui, l'impression que laisse ce livre est étrange, car il bouleverse les codes d'écriture habituels, mais en tout cas, il ne laisse pas indifférent.

Ce livre est le cinquième volet de la série romanesque "Depuis maintenant", qui comprend également : "Miss Nobody Knows" (1996), "Les Prostituées philosophes" (1997), "Le Psychanalyste" (1999) et "Les Amants de Marie" (2002).

Paru aux éditions P.O.L., Paris, 2005. ISBN : 2-84682-053-8.

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