lundi 16 mai 2011

Celles qui attendent, de Fatou Diome


Vous connaissez, comme moi, les affres de la lecture : parfois, on n'accroche pas vraiment à un bouquin, d'autres fois, il nous tient tellement qu'on ne peut pas le lâcher, ou bien il est plaisant mais sans être obsédant pour autant, d'autres fois encore, il nous habite, nous hante, nous interpelle...
Ce roman de Fatou Diome, le dernier paru, fait partie de la catégorie "livre qu'on ne peut pas lâcher, mais tellement fort qu'il faut s'arrêter régulièrement pour le digérer".
Autant le dire tout ce suite, c'est un roman que j'ai vraiment, vraiment beaucoup aimé. Un vrai coup de coeur, quoi. Et pourtant, je suis plutôt mesurée ces derniers temps dans mes billets. Mais là, c'est difficile de faire dans le mitigé.

Arame et Bougna sont deux mères de famille, habitant sur un île sénégalaise. Elles manquent de tout, aimeraient une autre vie, se battent chaque jour pour simplement faire en sorte que les enfants qui dépendent d'elles aient de quoi manger. Arame semble résignée. Elle a perdu son fils ainé, vit très mal son mariage avec un homme bien plus âgé qu'elle, et élève seule les enfants de son fils, leurs mères étant parties ailleurs refaire leur vie. Il lui reste son fils cadet, Lamine, qui échoue régulièrement dans ses recherches de travail et ne peut soutenir financièrement sa mère et ses neveux et nièces.
Bougna, elle, fulmine régulièrement quand elle voit les réussites de sa coépouse et de ses enfants, et ne peut, elle, assurer son tour de cuisine. Son fils Issa, ami de Lamine, est un bon pécheur, mais sa mère a d'autres ambitions pour lui et rêve de montrer à sa coépouse que son fils aussi peut réussir : pour elle, c'est une question d'honneur, de fierté, de principe.
Pour sortir de leur situation financière désastreuse, les deux mères n'hésitent pas à chercher toutes les solutions possibles, laissant des ardoises grandissantes chez Abdou, l'épicier du village, ou vendant le bois ou les fruits de mer qu'elles récoltent sur la grève. Elles vont s'engager aussi dans la création d'entreprise grâce au micro-crédit, mais leur "solution", c'est l'immigration clandestine de leurs fils. Elles vont donc tout faire pour réunir l'argent nécessaire à leur départ. Pour s'assurer de leur retour, elles disposent de moyens imparables : faire en sorte que les femmes qu'ils aiment les attendent sur l'île. Issa et Lamine se marient donc avant leur départ, et Coumba et Daba, en bonnes épouses, viennent habiter auprès de leurs belles-mères en attendant le retour de leurs maris.

Fatou Diome a gagné en maturité avec ce nouveau roman. J'ai littéralement été transportée sur cette île, auprès de ces femmes qui attendent leurs hommes, fils ou maris. Une véritable plongée au coeur des traditions ancestrales, au coeur de la vie et des coutumes de ce village où tout le monde se connaît, où une nouvelle apprise le soir est aussitôt sue de tous. Il est question, bien sûr, d'immigration clandestine. Du départ des hommes. Mais curieusement, les hommes sont étrangement absents de cette histoire. Le point de vue qui nous est donné est celui des femmes, discrètes, dépendantes de ces hommes, alors que ce sont elles qui les font vivre. Il est question de l'attente, du deuil, de la misère, de fierté, d'honneur, d'amour aussi et surtout.
Fatou Diome signe là un vrai chef-d'oeuvre de pudeur, de retenue, mais aussi de révolte : j'ai été frappée par le ton employé, par la critique qui reste malgré tout toujours respectueuse de ces modes de vie, de ces coutumes et traditions. J'ai lu ce livre en ayant envie de l'entendre. J'ai imaginé l'auteur en train de le raconter, de le lire. Pour avoir vu sur Internet quelques extraits de rencontres entre Fatou Diome et ses lecteurs, j'ai pu apprécier sa capacité à captiver un auditoire, à raconter. Cette auteur est faite pour l'oralité : tout dans ce roman le crie.
Un livre magnifique, que j'ai déjà envie de rouvrir pour le savourer encore...


Paru aux éditions Flammarion, 2010. ISBN : 978-2-08-124563-1.

4 commentaires:

  1. Je viens de terminer un beau livre qui a aussi (en partie) le Sénégal pour cadre et après son magnifique "ventre de l'Atlantique" , il me tarde de retrouver Fatou Diome.

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  2. Je viens de lire le Ventre de l'Atlantique aussi (le billet est pour bientôt), et franchement, j'ai préféré "Celles qui attendent" : plus mature peut-être ?

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  3. J'ai lu également ce magnifique bouquin. Puis il y a deux jours j'ai cherché "inassouvies..." sans le trouver.
    Si celui-ci est le plus abouti, est-ce que lire ses livres dans le sens inverse va être aussi intéressant ?

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  4. @ Jean-Charles : Je ne sais pas si c'est aussi intéressant de les lire dans le sens inverse. Mais j'ai lu son premier roman après son dernier, sans pour autant être déçue par le premier ! A tenter ? Mon avis est plus mitigé pour "Inassouvies, nos vies", mais on y retrouve toute la poésie et l'art du conte de Fatou Diome...

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